Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 3 juillet 1996 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-380 DC)
B. - Sur l'atteinte portée au fonctionnement du service public, à la protection de la propriété publique et à l'inaliénabilité du domaine public
Le point 2 du nouvel article 1er-1 introduit par la loi déférée dans la loi du 2 juillet 1990 prévoit que « les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France Télécom sont transférés de plein droit, au 31 décembre 1996, à l'entreprise nationale France Télécom (...).
Les biens de la personne morale de droit public France Télécom relevant du domaine public sont déclassés à la même date ».
On comprend bien que la nouvelle personne morale de droit privé que constitue France Télécom aux termes de la loi déférée ne pouvait posséder un domaine public. Mais rien n'empêchait le législateur de décider que les biens relevant du domaine public de la personne morale de droit public France Télécom faisaient retour à l'Etat, auquel ils appartenaient d'ailleurs jusqu'en 1990 et qui les aurait mis à la disposition de l'entreprise nationale sur le modèle du domaine public ferroviaire. Ainsi le fonctionnement du service public et la protection de la propriété publique eussent-ils été convenablement garantis.
Bien au contraire, la loi déférée procède d'un trait de plume à la plus considérable opération de déclassement de dépendances du domaine public jamais entreprise en droit français. C'est de toute évidence au nom de la même prétendue logique de l'internationalisation du marché qu'une des garanties les plus fondamentales de la continuité du service public, la pérennité des biens affectés à son exploitation, disparaît ainsi entièrement et radicalement.
Or on sait « qu'il incombe au législateur lorsqu'il modifie les dispositions relatives au domaine public de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l'existence et de la continuité des services publics auxquels il est affecté » (décision no 94-346 DC, rendue le 21 juillet 1994 par le Conseil constitutionnel, recueil p. 96). Ce sont précisément, en l'espèce, ces garanties légales que supprime la loi déférée. L'occasion est donc particulièrement bienvenue de consacrer la valeur constitutionnelle du principe d'inaliénabilité du domaine public et, à tout le moins, de censurer l'atteinte portée aux conditions les plus élémentaires de mise en oeuvre de la continuité du service public.