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Article (Avis n° 2002-AC-1 du 19 mars 2002 de la Commission des participations et des transferts relatif à une prise de participation de Nissan Finance Co. Ltd dans le capital de Renault)

Article (Avis n° 2002-AC-1 du 19 mars 2002 de la Commission des participations et des transferts relatif à une prise de participation de Nissan Finance Co. Ltd dans le capital de Renault)


La commission émet l'avis suivant :
I. - Par lettre en date du 23 novembre 2001, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a saisi la commission, en application de l'article 3 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 modifiée, en vue de la mise en oeuvre d'un nouvel accord entre Renault et Nissan prévoyant notamment que Nissan prendra une participation de 15 % dans le capital de Renault, en souscrivant à une augmentation de capital réservée.
Aux termes des dispositions de l'article 4 de la loi du 6 août 1986 modifiée susvisée, la procédure suivie dans cette opération étant celle d'une cession de gré à gré dans le cadre d'un « accord de coopération industrielle, commerciale ou financière », la commission est appelée à rendre un avis, dont la conformité est requise, sur le choix de l'acquéreur et sur l'ensemble des conditions de sa prise de participation.
En application de l'article 1er (1°) du décret n° 93-1041 du 3 septembre 1993 modifié, un avis relatif au projet d'entrée d'une société au capital de la société Renault a été publié au Journal officiel du 23 février 2002. La commission a été informée que cette publication n'a pas suscité de réaction.
Le capital de Renault a été introduit en bourse en 1994 et la majorité en a été transférée au secteur privé en juillet 1996. Avant l'opération examinée par le présent avis, l'Etat détient 43,8 % du capital de Renault.
II. - Renault est en 2001, avec une part du marché de 26 % en France, la première marque automobile et le deuxième groupe constructeur national. L'Europe occidentale constitue le principal marché de Renault (79 % de ses ventes) et il y est un des cinq premiers groupes automobiles, avec une pénétration supérieure à 11 % en 2001.
Au cours des dernières années, dans un environnement international de plus en plus concurrentiel, Renault a dû s'adapter à l'évolution de la demande des consommateurs, a rendu ses outils de production plus flexibles et a élargi sa présence à l'étranger. L'activité internationale a été développée tant par croissance organique - notamment en Amérique latine - que par acquisitions (Samsung Motors en Corée en 2000, Dacia en Roumanie en 1999). En mars 1999, Renault a pris une participation de 36,8 % dans le capital de Nissan Motor. En 2001, une importante restructuration a consisté en la cession de Renault Véhicules industriels à Volvo, dont désormais Renault détient 20 % du capital.
La branche financière de Renault, la Compagnie financière Renault, dont les missions consistent à proposer le financement des ventes de véhicules et à participer à la gestion de la trésorerie du groupe ainsi qu'à son financement, a connu une forte croissance et constitue un important centre de profit récurrent pour le groupe.
Au cours de l'exercice 2001, Renault a augmenté son chiffre d'affaires de 6,1 % à périmètre constant et a maintenu un résultat net un peu supérieur à 1 milliard d'euros dont la contribution de Nissan (mis en équivalence) a représenté près de la moitié. L'amélioration de la rentabilité de Renault est attendue du prochain renouvellement de sa gamme de voitures particulières et de véhicules utilitaires.
Les capitaux propres de Renault s'élèvent à 10 milliards d'euros et le ratio d'endettement financier net a été réduit à 39 % à fin 2001.
III. - Renault a conclu en mars 1999 une alliance avec Nissan, alors deuxième constructeur automobile japonais, qui connaissait des difficultés importantes, notamment sur le plan financier.
Cet accord reposait sur une analyse faisant apparaître les fortes complémentarités des deux groupes :
- sur le plan géographique, Nissan étant principalement implanté en Asie et en Amérique et Renault en Europe ;
- en ce qui concerne les lignes de produits et les gammes de véhicules ;
- en matière d'implantation des sites de production ;
- quant à leurs domaines d'expertise réciproques.
Aux termes de cet accord, Renault prenait une participation de 36,8 % du capital de Nissan Motor par voie d'augmentation de capital réservée, au prix de 400 yens par action. Renault entrait directement au capital de Nissan Diesel et acquérait les sociétés de financement de Nissan en Europe. L'ensemble représentait un investissement proche de 5 milliards d'euros.
De plus, Renault recevait des bons de souscription d'actions (warrants), au prix d'exercice de 400 yens, lui permettant de monter à tout moment à 39,9 % du capital de Nissan puis à 44,4 % de juin 2003 à mai 2004. La possibilité était reconnue à Nissan d'entrer le moment venu dans le capital de Renault.
Afin de gérer leur alliance, Renault et Nissan ont mis en place des structures de coopération. Le comité stratégique de l'alliance, instance de direction composée paritairement, a quantifié les synergies à horizon de cinq ans et a défini les projets visant à concrétiser celles-ci dans les domaines suivants : structure commune d'achat, coopération géographique régionale, mise en place d'une plate-forme industrielle commune, développement et mise en commun de composants. Les objectifs fixés pour les deux premières années ont été effectivement atteints.
Des échanges de personnel ont été effectués ; le directeur général de Nissan est issu de Renault.
Dès 1999, Nissan définissait et mettait en pratique un plan de redressement (« Nissan Revival Plan ») dont les objectifs ont été dépassés avec un an d'avance, permettant le lancement anticipé en février 2002 d'un nouveau plan de croissance des ventes, d'augmentation des marges et de remboursement de la dette.
Nissan est actuellement le 8e constructeur automobile mondial et dispose de parts de marchés significatives dans les trois grandes zones géographiques (Japon, Etats-Unis, Europe). Après plusieurs années déficitaires durant la décennie 1990, Nissan est redevenu bénéficiaire dès l'exercice mars 2000-mars 2001 avec un résultat net de plus de 330 milliards de yens, traduisant un rétablissement rapide de la marge opérationnelle. Les analystes s'attendent à un résultat supérieur pour l'exercice mars 2001-mars 2002. Ce redressement a été atteint grâce principalement aux réductions des coûts et à la restructuration de l'appareil industriel. Dans le même temps, l'endettement a été fortement réduit par la cession d'actifs non stratégiques.
En conséquence de cette évolution, le cours de Nissan a progressé de plus de 50 % depuis l'accord de mars 1999, alors que celui des autres groupes automobiles nippons baissaient à la Bourse de Tokyo. La capitalisation boursière de Nissan est aujourd'hui de 31,5 milliards d'euros.
IV. - Le succès de leur alliance conduit les partenaires à franchir une nouvelle étape, en accélérant la mise en oeuvre des accords financiers de mars 1999 et en donnant à leur coopération un cadre structurel qui se rapproche davantage du modèle d'un groupe binational.
Le principe du nouvel accord a été annoncé le 30 octobre 2001. L'accord-cadre de l'alliance (« Alliance Master Agreement ») a été signé par les parties le 20 décembre 2001.
Cet accord comprend les principales clauses suivantes :
Dispositions financières :
D'une part, Renault obtient le droit d'exercer de façon anticipée ses bons de souscription d'actions de Nissan, au prix initialement convenu de 400 yens par action. Cet exercice est effectivement intervenu le 1er mars 2002 alors que l'action de Nissan cotait les jours précédents près de 900 yens à la Bourse de Tokyo. Renault détient depuis lors 44,4 % du capital de Nissan.
D'autre part, l'accord prévoit l'acquisition par Nissan France Co. Ltd, filiale intégrale de Nissan Motor, de 15 % du capital de Renault dans le cadre d'une augmentation de capital réservée à intervenir en 2002, ou, à défaut, par achat d'actions en bourse avant le 28 mai 2004. Conformément à la réglementation française, les droits de vote attachés à ces actions ne pourront être exercés.
Les deux parties se sont engagées à ne pas modifier, sauf accord mutuel, les niveaux de leurs participations réciproques jusqu'à fin 2004. Chacune accorde à l'autre le droit de participer à toute augmentation de capital afin de maintenir les niveaux de participation convenus.
Il est également prévu une augmentation de la représentation de chaque partie au conseil d'administration de l'autre.
Organisation de l'alliance :
L'accord crée une société Renault-Nissan BV (« RN BV »), détenue à parité par Renault et Nissan. Cette société sera dirigée par un conseil comprenant huit membres à parité entre les deux groupes. Le président en sera le directeur général de Renault et le vice-président le directeur général de Nissan. Le président et le vice-président disposeront chacun de trois voix et le président aura voix prépondérante en cas de partage.
RN BV aura pour fonction de prendre les décisions concernant les plans stratégiques, les politiques relatives aux produits et à la mise en commun des moyens et des produits, les principes de politique financière et la gestion des filiales et équipes communes. RN BV disposera également d'un droit de proposition exclusif sur les investissements, les changements de périmètre, les coopérations stratégiques avec des tiers. Les sociétés Renault SAS et Nissan Motor conserveront par ailleurs l'entière responsabilité de leurs opérations, de leurs résultats et de leurs politiques de dividendes.
Afin de rendre possible cette construction au regard du droit français, Renault SA est conduit à apporter l'ensemble de son activité automobile à une filiale intégrale ayant la forme de société anonyme simplifiée, dite « Renault SAS », dont les statuts reconnaîtront à RN BV les pouvoirs ci-dessus mentionnés.
Enfin, les parties créent une fondation de droit néerlandais (stichting) qui sera susceptible de prendre le contrôle dans certains cas et pour une période limitée de RN BV, afin de rendre plus difficile une prise de contrôle rampante par un tiers sur l'une des parties.
La souscription de Nissan de 15 % au plus du capital de Renault ramènera la participation de l'Etat français dans Renault de 43,8 % à 37,2 %.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à l'occasion de l'annonce de l'opération, a rendu publique l'intention de l'Etat de réduire ultérieurement sa participation dans Renault à environ 25 % du capital, le calendrier de cette cession n'étant pas encore arrêté et dépendant des conditions du marché.
V. - La commission a disposé du texte de l'accord-cadre de l'alliance et des projets, dans leur version finale, des statuts de RN BV, de Renault SAS, de la Fondation néerlandaise et du contrat entre RN BV et la Fondation néerlandaise.
Ces textes incluent l'ensemble des modifications apportées au projet d'origine pour répondre aux observations émises par les autorités concernées par l'accord et par la commission. En particulier, le Conseil des marchés financiers, dans sa décision du 18 janvier 2002 susvisée, a estimé, au vu des précisions et aménagements apportés, que le projet « n'aura pas pour conséquence une déperdition des droits des actionnaires ou un amoindrissement de leurs intérêts qui rende pertinente la mise en oeuvre à leur intention d'une offre publique de retrait ».
Des mesures spécifiques ont été incluses dans le projet en vue d'assurer à l'égard des actionnaires de Renault SA la transparence du fonctionnement de Renault SAS et le contrôle d'éventuelles modifications statutaires de Renault SAS ou de RN BV.
Les droits de l'Etat français, actionnaire important de Renault SA, ne se trouvent pas juridiquement affectés et il conserve la liberté de cession de sa participation selon les différentes modalités prévues par les lois relatives aux privatisations.
Plusieurs des actes juridiques de l'accord relevant du droit néerlandais, la commission a disposé à sa demande d'une étude qui établit que les dispositions retenues n'ont pas de caractère inusuel et n'engendrent pas de risque particulier pour le patrimoine de l'Etat.
VI. - La commission a relevé les résultats importants atteints par la mise en oeuvre de l'accord entre Renault et Nissan de mars 1999, grâce à la coopération qui s'est instaurée entre les deux groupes et au spectaculaire redressement de la situation de Nissan.
Le nouvel accord qui est l'objet du présent avis prend acte du succès de la première phase et met en place une deuxième étape de l'alliance entre Renault et Nissan afin de lui donner une impulsion stratégique supplémentaire.
Concrètement, les plates-formes communes devraient être multipliées avec des plans par produits coordonnés, une plus grande partie des achats devrait être prise en charge par la structure dédiée à cet effet, davantage de composants et de procédés industriels devraient être développés en commun.
D'un point de vue stratégique, la nouvelle étape renforce la pérennité de l'alliance et la place de Renault dans le capital de Nissan. Elle doit permettre la convergence des objectifs des deux entreprises, dans un environnement toujours plus compétitif, grâce à une procédure efficace de prise de décision et au sentiment des personnels d'appartenance à un même groupe.
VII. - Conformément à la loi, la commission a examiné les conditions financières de l'accord et a notamment disposé à cette fin des rapports d'évaluation des banques conseils.
En pratique, les deux éléments essentiels du point de vue financier sont les suivants :
- la montée de Renault SA au capital de Nissan Motor par souscription d'actions au prix de 400 yens (soit un montant total de 1,88 milliard d'euros) ;
- l'entrée de Nissan Finance Co. dans le capital de Renault SA à une hauteur maximale de 15 % et à un prix égal à la moyenne des cours d'ouverture et de clôture, pondérés par le volume du jour, durant les 20 jours de bourse précédant la veille de la convocation du conseil d'administration de Renault devant décider l'augmentation de capital (sous réserve de l'autorisation préalable de l'assemblée générale extraordinaire qui se tiendra le 28 mars).
Renault SA a informé la commission que le conseil d'administration se réunira le 28 mars, immédiatement après l'assemblée générale, et qu'il sera donc convoqué, dans les délais habituels, le 20 mars 2002. En conséquence, le prix de souscription de l'augmentation de capital a été fixé le 18 mars au soir à 50,39 EUR par action.
S'agissant d'une société cotée, le cours de bourse de Renault constitue un élément important à prendre en considération pour apprécier la valeur de l'entreprise. La commission observe que le prix de 50,39 EUR constitue sur l'historique à cinq ans du cours de l'action de Renault une valeur qui ne peut être considérée comme correspondant à un creux dans la valorisation de l'entreprise par le marché. Il représente une hausse très significative par rapport aux plus bas atteints en septembre 2001 (cours inférieur à 30 EUR). Sur cinq ans, le cours n'a dépassé les niveaux de cours actuels, proches de 55 EUR, que sur des périodes limitées.
On observe que depuis le début de l'année le cours de Renault a progressé de plus de 30 % contre environ 10 % pour ses concurrents directs. Les 20 jours de référence pour le calcul du prix de souscription se situent donc dans une période favorable. La capitalisation boursière de Renault est au 18 mars 2002 de 13,3 milliards d'euros.
A la demande de la commission, les banques conseils ont étudié l'impact financier de l'ensemble de l'opération sur la valeur de l'action de Renault, sur la base de l'intégration proportionnelle de Nissan dans le plan d'affaires de Renault. Cet impact est fortement positif sur les exercices 2002 et 2003 tant en ce qui concerne le bénéfice net que l'actif net par action.
La commission note de plus que l'exercice de ses warrants par Renault n'est pas de nature à accroître son endettement net, l'augmentation de capital réservée à Nissan devant lui procurer les ressources nécessaires.
Les perspectives d'avenir du groupe ont été examinées tant en ce qui concerne l'activité propre de Renault que celle de Nissan. Ces prévisions favorables doivent toutefois prendre en compte le fait que l'industrie automobile est un secteur qui dépend étroitement de la croissance mondiale et qui est sujet à des cycles économiques marqués.
Si l'on considère séparément les deux parties de l'opération, on notera :
- que Renault, conformément à l'accord de 1999, a souscrit au prix très attractif de 400 yens des actions de Nissan qui cotent actuellement 900 yens. Ce prix de souscription est en tout état de cause inférieur à la valeur intrinsèque de Nissan, comme les rapports d'évaluation des banques conseils l'établissent sur une base multicritère ;
- que Nissan souscrira au prix de 50,39 EUR les actions de Renault. Les banques conseils ont étudié sur la base de plusieurs méthodes la valeur de Renault, et en particulier la valeur de sa participation dans Nissan. La commission note que, selon ces rapports, le prix de 50,39 EUR est supérieure à la fourchette de valorisation multicritère de Renault présentée par les banques dans le contexte de la présente opération.
La commission estime qu'au total l'opération qui lui a été présentée respecte les intérêts patrimoniaux de l'Etat.
Pour tous ces motifs, et au vu de l'ensemble des éléments qui lui ont été transmis, la commission émet un avis favorable aux conditions de l'entrée de Nissan Finance Co. Ltd au capital de Renault SA ainsi qu'au projet d'arrêté annexé au présent avis (1).