I. - INTRODUCTION
L'objet de la présente décision est de définir le cadre de régulation ex ante des offres d'accès large bande livrées au niveau national. Il s'agit notamment des offres de France Télécom de plus haut niveau sur les marchés de gros du haut débit. Elles sont utilisées par les opérateurs et fournisseurs d'accès à Internet alternatifs, en complément du dégroupage et des offres d'accès large bande livrées au niveau régional, afin de fournir une prestation d'accès haut débit sur le marché de détail. Le cadre défini par la présente décision pourra être révisé, conformément au code des postes et des communications électroniques, si les conditions de marché le justifient.
Dans un premier temps, l'objet de la présente décision est la délimitation du périmètre du marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, en termes de services et en termes géographiques. Dans un deuxième temps, elle vise également à analyser l'état de la concurrence et son évolution prévisible sur le marché afin de désigner, le cas échéant, le ou les opérateurs y exerçant une influence significative. Enfin, elle porte sur la détermination des obligations imposées à France Télécom, en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché pertinent des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.
I-A. - Contexte et objectifs de la régulation sectorielle
Les objectifs de la régulation sectorielle du secteur des communications électroniques découlent des objectifs fixés par le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, des orientations de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, et plus particulièrement des objectifs de régulation imposés par l'article L. 32-1 II du code des postes et des communications électroniques.
D'une manière générale, la régulation du haut débit vise à la poursuite du développement de la société de l'information, notamment à travers l'augmentation du taux de pénétration du haut débit, en ce qu'il procure un accès aux savoirs et aux contenus mis en ligne et qu'il renforce les capacités de communication des individus et des entreprises.
Le moyen privilégié pour atteindre cet objectif est le développement d'une concurrence effective et loyale, fondée sur les réseaux et l'innovation technologique, permettant à la fois une diversification des services proposés aux clients finals et une baisse progressive des tarifs de détail. Le principal vecteur de cette concurrence, qui doit être privilégié à court et moyen terme, est le dégroupage, qui permet aux opérateurs alternatifs de déployer leur réseau de fibre et d'accéder à la boucle locale cuivre de l'opérateur historique.
Le dégroupage concerne à mi-2005 environ la moitié des lignes principales des ménages et des entreprises, localisées sur moins d'une dizaine de pourcents du territoire. L'extension de cette couverture est un enjeu prioritaire et urgent. Le rythme de croissance du marché du haut débit tendra à se ralentir progressivement, et les déploiements réalisés à court terme seront donc structurellement plus faciles à rentabiliser que ceux effectués dans plusieurs années.
Les exemples français et européens de fonctionnement des marchés du haut débit sur ADSL ont montré que le développement de la concurrence et le déploiement de réseaux alternatifs à ceux de l'opérateur historique reposaient sur deux piliers distincts :
- d'une part, la régulation de l'accès, c'est-à-dire la capacité des opérateurs alternatifs à accéder à la paire de cuivre dégroupée en zone dense et à des offres de gros large bande livrées au niveau régional et infrarégional en zones moins denses dans des conditions efficaces, transparentes et non discriminatoires ;
- d'autre part, l'absence de pratiques anticoncurrentielles de l'opérateur historique, qui dispose des ressources techniques et financières pour évincer ses concurrents ou à tout le moins limiter la rentabilité de leurs investissements dans les réseaux et donc limiter leurs déploiements.
Durant les cinq dernières années (cf. parties II-D-2 et VI ci-dessous), d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles de l'opérateur historique ont été découragées ou, le cas échéant, détectées et corrigées, par le fait que Wanadoo avait été filialisée et par un mécanisme d'homologation tarifaire de l'offre « IP/ADSL » de France Télécom, dite « option 5 », que France Télécom vendait à sa filiale et aux autres fournisseurs d'accès à Internet.
La réintégration de Wanadoo a conduit à une perte de visibilité du régulateur sectoriel mais également des autorités de concurrence sur les conditions et niveaux tarifaires des cessions internes à France Télécom. Il ne saurait ainsi être exclu à ce stade que ces cessions internes soient effectuées à des conditions non réplicables par les opérateurs alternatifs. De fait, depuis un an, les parts de marché de Wanadoo augmentent tendanciellement, et plusieurs acteurs alternatifs majeurs ont choisi de limiter leurs offres aux seuls zones denses.
Dans ce contexte, l'Autorité conduit la présente analyse du marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national et conclut :
- que le marché est pertinent au sens de la régulation sectorielle, analyse qui a par ailleurs été validée par le Conseil de la concurrence dans son avis n° 05-A-03 en date du 31 janvier 2005 ;
- que France Télécom y exerce une influence significative, due notamment aux effets d'échelle dont il bénéficie et à son intégration verticale lui permettant de faire jouer des effets leviers entre les différents marchés de détail et de gros ;
- que l'obligation d'homologation tarifaire en vigueur dans l'ancien cadre peut être levée pour passer à une logique de contrôle a posteriori des tarifs de l'opérateur historique ;
- qu'il est nécessaire en revanche que France Télécom formalise ses conditions de cessions internes entre la branche réseau et la branche services sous forme d'un protocole ; qu'elle transmette ce protocole à l'Autorité et le tienne, le cas échéant, à disposition des autorités de concurrence.
Ce dispositif vise à alléger significativement le cadre réglementaire précédemment en vigueur, France Télécom retrouvant notamment sa liberté tarifaire sans contrôle a priori ou homologation. Il permet de maintenir un mécanisme transitoire de transparence, visant à décourager d'éventuels comportement anticoncurrentiels de l'opérateur historique, et, le cas échéant, à les détecter.
La présente analyse de marché est adoptée pour une durée d'un an, mais pourra être revue avant terme si les conditions de marché venaient à évoluer significativement sur la période.
I-B. - Processus d'analyse des marchés
Conformément à l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, l'Autorité est en charge de la détermination des marchés du secteur des communications électroniques pertinents, susceptibles d'être soumis à une régulation ex ante. Elle conduit une analyse concurrentielle de ces marchés, et désigne le ou les opérateurs réputés exercer une influence significative sur ces marchés. Conformément à l'article L. 37-2, l'Autorité fixe ensuite en les motivant la liste des obligations imposées à ce ou ces opérateurs.
Conformément à l'article D. 301 du même code, l'Autorité a publié le 23 juin 2004 un document de consultation intitulé « Consultation publique sur l'analyse des marchés du haut débit ». Dans ce document, après avoir analysé la situation concurrentielle prévalant sur chacun des marchés de détail et de gros du haut débit, l'Autorité a proposé une délimitation des marchés pertinents. Elle a ainsi proposé une définition du marché du dégroupage de la boucle locale, ainsi que des marchés de gros des offres d'accès large bande livrées aux niveaux régional et national. Sur chacun de ces marchés, l'Autorité a mené une analyse conduisant à la détermination de l'entreprise exerçant une influence significative sur le marché, et a soumis à consultation une liste d'obligations qu'elle estimait proportionné et justifié d'imposer à cette entreprise.
Le 5 octobre 2004, l'Autorité a lancé une consultation additionnelle relative au marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.
Le 5 novembre 2004, après avoir pris en compte l'ensemble des contributions adressées par les acteurs à l'occasion des deux consultations précitées, elle a transmis pour avis au Conseil de la concurrence, dans le respect des dispositions de l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, les documents d'analyse correspondant au marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national.
Le 13 avril 2005, l'Autorité a soumis à une nouvelle consultation publique un projet de décision relatif aux obligations pouvant être imposées à France Télécom, en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché pertinent des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national. Après avoir pris en compte l'ensemble des contributions reçues, l'Autorité a établi un projet de décision en vue de sa notification à la Commission européenne le 27 juin 2005, ainsi qu'aux autorités réglementaires compétentes des autres Etats membres de l'Union européenne. Ce projet a également été soumis en parallèle à consultation publique du 27 juin au 27 juillet 2005.
Les régulateurs des autres Etats membres n'ont pas émis de commentaires sur cette notification. La Commission a adressé à l'Autorité une lettre formulant des observations décrites en partie V. Elles ont conduit l'Autorité à préciser son analyse sur certains points et à en modifier la durée de validité.
Enfin, l'Autorité a reçu des contributions en réponse à la consultation publique menée en parallèle de cette notification. Ces contributions n'ont pas mis en évidence de faits nouveaux par rapport aux éléments transmis par les acteurs à l'occasion des précédentes consultations publiques, et n'ont ainsi pas mené l'Autorité à faire évoluer sensiblement son analyse.
I-C. - Durée d'application de la décision
Conformément aux prescriptions de l'article D. 301 du code des postes et des communications électroniques, l'inscription d'un marché sur la liste de l'ensemble des marchés pertinents « est prononcée pour une durée maximale de trois ans ». L'Autorité doit réviser cette liste, de sa propre initiative « lorsque l'évolution de ce marché le justifie », ou encore « dès que possible après la modification de la recommandation de la Commission européenne » C(2003)497 du 11 février 2003 susvisée.
En outre, en vertu des articles D. 302 et D. 303 du même code, les décisions déterminant l'existence d'une influence significative et imposant les obligations sont réexaminées dans les mêmes conditions.
La présente décision s'applique pour une durée d'un an à compter du jour de sa notification à France Télécom après publication au Journal officiel de la République française.
La Commission souligne, au point 63 des lignes directrices 2002/C 165/03 du 11 juillet 2002 susvisées, que « dans un secteur caractérisé par l'innovation constante et une convergence technologique rapide, toute définition d'un marché actuellement en vigueur risque de devenir inexacte ou désuète dans un proche avenir ».
Il en résulte que, si les évolutions des caractéristiques du marché le justifiaient, l'Autorité réexaminerait pendant cette période le marché de gros des offres d'accès large bande livrées au niveau national et pourrait, le cas échéant, être amenée à prendre une nouvelle décision.
I-D. - Cadre d'analyse et définition des termes employés
I-D-1. Sur les marchés de détail
On entend par « offres d'accès large bande » ou « offres d'accès haut débit » les offres d'accès dont le débit nominal est supérieur ou égal à 128 kbit/s, quels que soient le ou les services proposés à partir de cet accès.
Ces offres se distinguent des offres d'accès bas débit, en ce qu'elles proposent une bande passante supérieure et permettent l'usage simultané du service téléphonique classique.
Plusieurs technologies d'accès large bande sont disponibles en France. La plus répandue est le DSL avec 7,2 millions d'abonnés au 31 mars 2005 (1), suivie par le câble qui comptait environ 450 000 abonnés (2) au 1er janvier 2005. D'autres supports peuvent également être utilisés, comme les réseaux hertziens utilisant des technologies de type RLAN (WiFi), la boucle locale radio, les réseaux de satellites ou encore le réseau de distribution électrique (courants porteurs en ligne) ; le nombre d'accès large bande fondés sur ces technologies reste à ce jour limité à quelques milliers d'accès selon le dernier observatoire du marché de l'Internet publié par l'Autorité (3).
Les offres de détail d'accès large bande peuvent se limiter au seul accès à Internet ou donner accès à une palette de services multimédias comprenant, outre l'accès à Internet, des services diversifiés tels que la téléphonie, la visiophonie, l'accès télévisuel, la vidéo à la demande, dans le cadre de bouquets multiservices.
Les opérateurs et fournisseurs de services proposent aujourd'hui des offres d'accès large bande avec des déclinaisons adaptées à la clientèle résidentielle et à la clientèle professionnelle. Des services spécifiques sont commercialisés en faveur de cette dernière, notamment en termes de débits (débits élevés et garantis, connexions symétriques), de niveau de qualité de service (temps d'intervention et de rétablissement garanti), de protocoles (IP, ATM, Ethernet).