A N N E X E I
AVIS RENDU PAR L'ASSEMBLEE GENERALE
DU CONSEIL D'ETAT LE 7 JUIN 1990
Le Conseil d'Etat, saisi par le ministre d'Etat, ministre de la fonction publique et des réformes administratives, d'une demande d'avis sur les questions suivantes :
1. Est-il possible, compte tenu de spécificités locales ou de niveaux différents d'effectifs, de prévoir la mise en oeuvre d'un double mode de gestion pour les membres d'un même corps :
- déconcentration des actes de gestion au niveau du préfet pour les membres du corps affectés dans une ou plusieurs circonscriptions territoriales déterminées ;
- actes de gestion conservés à l'échelon central pour les membres du corps en fonctions dans les autres circonscriptions ?
Pour les mêmes raisons, la déconcentration des actes de gestion peut-elle être effectuée de manière différenciée selon les circonscriptions territoriales ?
2. Pour opérer une déconcentration des actes de gestion concernant des personnels de corps relevant de différentes administrations mais dotés d'un statut commun (à l'instar par exemple des corps relevant du décret no 58-651 du 30 juillet 1958 relatif aux dispositions statutaires communes applicables aux corps d'agents de bureau et sténodactylographes des administrations centrales et des services extérieurs et de commis des services extérieurs), peut-on utiliser la procédure d'un décret-cadre pris en Conseil d'Etat, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, et qui autoriserait chaque ministre à déléguer au préfet un certain nombre d'actes énumérés dans le corps même du texte, la mise en oeuvre des délégations de pouvoirs ainsi consenties de manière conjointe étant précisée ultérieurement par arrêté interministériel ?
3. Dans la mesure où un préfet aurait reçu de la sorte délégation de pouvoirs de la part de plusieurs ministres pour des corps équivalents dotés d'un statut commun et où il ne souhaiterait pas subdéléguer aux chefs des services extérieurs des administrations civiles de l'Etat les pouvoirs qui lui ont été conférés, serait-il possible d'instituer auprès de l'autorité délégataire une commission administrative paritaire commune regroupant les corps des différentes administrations concernées ?
En effet, tant l'article 13 du décret no 82-389 du 10 mai 1982 relatif aux pouvoirs des commissaires de la République et à l'action des services et organismes publics de l'Etat dans les départements que l'article 11 du décret no 82-390 du 10 mai 1982 relatif aux pouvoirs des commissaires de la République de région, à l'action des services et organismes publics de l'Etat dans la région et aux décisions de l'Etat en matière d'investissement public interdisent au préfet de présider les commissions administratives paritaires locales qui peuvent être instituées auprès des chefs des circonscriptions territoriales des administrations de l'Etat.
4. Peut-on envisager de déconcentrer les actes de gestion ayant un caractère interministériel (détachements prononcés au titre de l'article 14 2o, 4o, 5o, 8o, 9o et 12o du décret no 85-986 du 16 septembre 1985), cette déconcentration s'accompagnant de la délégation au préfet des compétences actuellement dévolues au ministre chargé de la fonction publique et de la délégation au trésorier-payeur général des compétences dévolues au ministre chargé du budget par l'article 16 du décret précité ?
5. Le respect du principe de l'égalité de traitement entre les membres d'un même corps nécessite que les actes de gestion pris à l'échelon local concernent un effectif suffisant de fonctionnaires.
A partir de quel niveau les effectifs peuvent-ils être jugés suffisants pour, par exemple, permettre une prise en compte équitable au plan local des mérites des agents d'un même corps ?
6. La déconcentration des principaux actes de gestion est traditionnellement subordonnée à la mise en place auprès de l'autorité délégataire de commissions administratives paritaires dotées de compétences propres. Or, conformément aux dispositions de l'article 4 du décret no 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires de la fonction publique de l'Etat, l'institution de commissions administratives paritaires locales est elle-même subordonnée à l'importance des effectifs de fonctionnaires en activité dans les circonscriptions territoriales du département ministériel intéressé.
A partir de quel niveau d'effectifs une commission administrative paritaire locale peut-elle être instituée ?
Est-il possible de faire usage, pour la constitution de commissions administratives paritaires locales dotées de compétences propres, des dispositions de l'article 2 du décret précité qui prévoit qu'une commission administrative paritaire commune à plusieurs corps de fonctionnaires peut être instituée lorsque les effectifs de l'un de ces corps sont insuffisants pour permettre la constitution d'une commission spéciale à ce corps et que doit-on entendre par la notion d'effectifs insuffisants ?
Vu la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ensemble la loi no 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu le décret no 82-389 du 10 mai 1982 modifié relatif aux pouvoirs des commissaires de la République et à l'action des services et organismes publics de l'Etat dans les départements ;
Vu le décret no 82-390 du 10 mai 1982 modifié relatif aux pouvoirs des commissaires de la République de région, à l'action des services et organismes publics de l'Etat dans la région et aux décisions de l'Etat en matière d'investissement public ;
Vu le décret no 82-450 relatif au Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, modifié par le décret no 84-611 du 16 juillet 1984, le décret no 87-176 du 13 mars 1987 et le décret no 88-584 du 6 mai 1988 ;
Vu le décret no 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires, modifié par le décret no 84-955 du 25 octobre 1984 et par le décret no 86-247 du 20 février 1986 ;
Vu le décret no 82-452 du 28 mai 1982 relatif aux comités techniques paritaires, modifié par le décret no 84-956 du 25 octobre 1984 ;
Vu le décret no 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions,
Est d'avis de répondre dans le sens des observations suivantes :
1. Sous réserve qu'il ne soit pas porté atteinte aux garanties fondamentales des fonctionnaires ni au principe d'égalité de traitement dans le recrutement et le déroulement de carrière des agents d'un même corps, les ministres peuvent être autorisés, lorsque l'intérêt du service le justifie, en raison notamment de la situation des effectifs ou de situations locales particulières, à déléguer aux préfets dans certaines circonscriptions territoriales des actes de gestion, y compris ceux qui sont relatifs à l'avancement de grade, concernant les personnels d'un même corps tout en conservant le pouvoir de prendre ces mêmes actes pour les personnels de ce corps affectés dans les autres circonscriptions.
Toutefois, pour des raisons tenant au risque d'atteinte au principe d'égalité de traitement des agents d'un même corps, il ne paraît pas possible de différencier selon les circonscriptions territoriales l'étendue de la délégation.
2. I. - Pour autoriser plusieurs ministres à déléguer des actes de gestion concernant les personnels de corps relevant de ces ministres et dotés d'un statut commun, rien ne s'oppose à ce que le Gouvernement prenne un texte unique pour fixer la liste des actes pouvant faire l'objet d'une délégation ainsi que les conditions auxquelles la délégation de ces actes est subordonnée. Une délégation de pouvoirs ayant un caractère réglementaire, ce texte ne peut être qu'un décret.
Aux termes de l'article 13 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : « Le Conseil supérieur connaît de toute question d'ordre général concernant la fonction publique de l'Etat dont il est saisi soit par le Premier ministre, soit à la demande écrite du tiers de ses membres... » ; aux termes de l'article 2 du décret du 28 mai 1982 relatif au Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat : « Le Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat est en outre saisi des projets de décrets ... comportant des dispositions communes à plusieurs corps de fonctionnaires de l'Etat sauf lorsque, par application de l'article 14 du décret no 82-452 du 28 mai 1982, ces projets relèvent de la compétence d'un seul comité technique paritaire ministériel .... La consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat remplace en cette matière la consultation des comités techniques paritaires prévue à l'article 12 du décret no 82-452 du 28 mai 1982 relatif aux comités techniques paritaires... » ; il résulte de ces dispositions que le décret devrait être soumis à l'avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat.
Lorsqu'un ministre délègue ses pouvoirs au préfet, il institue à l'intérieur de son administration une répartition de compétence nouvelle, permanente et exclusive de la répartition antérieure et modifie ainsi l'organisation du service public ; par suite, une telle délégation ne peut être autorisée que par l'autorité qui a qualité pour organiser le service public et fixer les attributions des ministres ; ainsi elle ne peut être prévue que par un décret ayant au moins la même nature juridique que l'acte ayant conféré au ministre lesdits pouvoirs, c'est-à-dire, conformément à l'article 1er du décret du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, un décret en Conseil d'Etat.
II. - La mise en oeuvre de l'autorisation de délégation ainsi accordée serait faite, en ce qui concerne les actes autres que ceux qui doivent être signés par plusieurs ministres, par arrêté du ministre intéressé.
Dès lors que le décret-cadre ne lierait pas la compétence des ministres en matière de délégation de pouvoir, ces arrêtés devraient être soumis à l'avis des comités techniques paritaires ministériels concernés, par application des dispositions de l'article 12 du décret du 28 mai 1982 relatif aux comités techniques paritaires ; ces dispositions prévoient, en effet, que les comités techniques paritaires connaissent « des projets de textes relatifs :
« 1o Aux problèmes généraux d'organisation des administrations, établissements ou services ;
« 2o Aux conditions générales de fonctionnement des administrations et services ; ... »
3. Aux termes de l'article 2 du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires : « Une commission administrative paritaire est créée par arrêté conjoint du Premier ministre et du ministre intéressé pour chaque corps de fonctionnaires .... Par dérogation ... il peut être institué ... une seule commission administrative paritaire commune à plusieurs corps de fonctionnaires lorsque les effectifs de l'un de ces corps sont insuffisants pour permettre la constitution d'une commission spéciale à ce corps » ; aux termes de l'article 4 du même décret : « Les arrêtés prévus à l'article 2 du présent décret peuvent également créer des commissions administratives paritaires locales auprès des chefs des circonscriptions territoriales du département ministériel intéressé quand l'importance des effectifs des fonctionnaires en activité le justifie. »
Ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne permettent de constituer auprès du préfet une commission administrative paritaire locale commune aux corps homologues de plusieurs administrations, dès lors que l'insuffisance des effectifs, au niveau local, qui s'oppose à l'institution d'une commission administrative paritaire propre à chacun des corps dotés d'un statut commun et qui concerne seulement des parties de corps, résulte non d'une situation de fait mais de la déconcentration elle-même.
4. En vertu des dispositions combinées des articles 14, 15 et 16 du décret du 16 septembre 1985 susvisé, le détachement d'un fonctionnaire est, dans certains cas limitativement énumérés, prononcé par arrêté conjoint du Premier ministre, du ministre chargé du budget et des ministres intéressés.
Ces dispositions ont essentiellement pour objet d'assurer la cohérence de la gestion au niveau national en matière de détachement dans les cas qu'elles visent.
La déconcentration des actes de détachement dont il s'agit n'est donc pas compatible avec lesdites dispositions.
5. Le respect du principe de l'égalité de traitement des agents d'un même corps nécessite notamment que les actes de gestion pris à l'échelon local concernent un effectif suffisant de fonctionnaires pour permettre une prise en compte équitable au plan local des mérites respectifs des agents.
Le Conseil d'Etat estime, sous réserve de l'appréciation de la juridiction compétente, qu'il ne serait pas raisonnable de déconcentrer les actes impliquant une appréciation des mérites respectifs des agents d'un même corps lorsque l'effectif de ce corps au niveau local est inférieur à une cinquantaine d'agents.
6. Le sixième point de la demande d'avis n'appelle pas d'autres observations que celles qui ont déjà été formulées dans les paragraphes 3 et 5 qui précèdent.
Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d'Etat dans sa séance du 7 juin 1990.