III-2.2. L'interdiction de pratiquer des couplages abusifs
La décision n° 2005-0571 précise que le lien de couplage entre deux offres peut être d'ordres tarifaire, contractuel et/ou technique ; il renvoie aux ventes liées, désignant l'association d'une offre en monopole ou en quasi-monopole et d'une offre concurrentielle, avec un rabais éventuel. Un couplage n'est pas abusif en soi, il le devient s'il ne comporte aucune justification objective, s'il constitue un obstacle à la commercialisation d'offres concurrentes, ou s'il porte atteinte aux intérêts des clients. En cela, il peut conduire à limiter la demande dont peuvent bénéficier les concurrents, ou à augmenter le coût de l'entrée sur le marché, ce qui peut la rendre impossible.
S'agissant plus précisément de France Télécom, l'Autorité explique en outre dans son analyse que la puissance de l'opérateur sur les marchés de détail et sur les marchés de gros de la téléphonie fixe la place dans une position qui rend possibles des couplages abusifs, soit tarifairement, soit contractuellement, soit techniquement, et qu'il existe un risque particulier que l'opérateur puissant ne cherche, en liant deux produits appartenant à des marchés de détail différents, à tirer avantage de sa puissance sur l'un des marchés de détail pour restreindre, par effet de levier horizontal, la concurrence sur un autre marché de détail.
Sur les marchés de détail de la téléphonie fixe, la vente liée de l'accès au réseau téléphonique public et des communications fixes qui y sont associées a longtemps constitué le risque majeur de couplage abusif par France Télécom. Depuis l'arrivée de la VGAST, qui permet aux opérateurs alternatifs de répliquer ce type d'offre, ce couplage n'est plus considéré comme abusif dès lors que son niveau tarifaire permet à un opérateur alternatif efficace de le répliquer en recouvrant ses coûts.
En outre, le fonctionnement transparent du marché apporte aux opérateurs alternatifs de la visibilité sur les offres que France Télécom lance et leur permet ainsi de proposer des offres basées sur la VGAST, couplant accès et communications, a priori concurrentielles.
Néanmoins, une offre ne peut être considérée comme pleinement réplicable que si certaines prestations associées, telles que, notamment, les mesures assurant une qualité de service équivalente à celle de France Télécom, sont en place et permettent ainsi de proposer des offres sans biais concurrentiel et aux caractéristiques similaires. L'Autorité estime que France Télécom met à disposition des opérateurs alternatifs une offre de VGAST permettant a priori une réplicabilité acceptable de l'offre d'accès qu'elle offre elle-même sur le marché résidentiel, notamment au travers d'un niveau de qualité de service satisfaisant assuré par l'opérateur historique. Elle juge ainsi justifié de lever l'obligation pour France Télécom de ne pas pratiquer de couplages abusifs entre une prestation d'accès et une autre prestation sur le marché résidentiel, France Télécom demeurant par ailleurs soumise au droit commun de la concurrence, qui sanctionne, le cas échéant, les pratiques de couplage abusif.
III-2.3. L'interdiction de pratiquer des tarifs excessifs
Une entreprise est réputée pratiquer des tarifs excessifs notamment lorsqu'elle utilise sa puissance de marché pour élever ses prix significativement au-dessus de ses coûts, ou des coûts d'un opérateur efficace. Les profits dégagés sont alors supérieurs à ceux qui seraient attendus sur un marché concurrentiel et permettent la constitution d'une rente pour l'opérateur puissant, au détriment de l'utilisateur final ou de la concurrence sur d'autres marchés.
Sur le marché des accès résidentiels, le risque actuel que France Télécom pratique des tarifs excessifs est faible. En effet, pour ce qui concerne l'ensemble de prestations relevant du service universel, c'est-à-dire notamment les tarifs de l'abonnement de base, France Télécom est tenue, au titre de l'article L. 35-1 du CPCE, de fournir à tous « un service téléphonique de qualité à un prix abordable » et elle continue d'être régulée à ce titre. Par ailleurs, la pression concurrentielle croissante sur le marché des accès téléphoniques résidentiels, fondée notamment sur la VGAST et les offres d'accès haut débit s'appuyant sur les offres de dégroupage et de collecte régionale, diminue le risque d'une tarification excessive par France Télécom sur ce marché.
L'obligation pour France Télécom de ne pas pratiquer de tarifs excessifs peut donc être supprimée sur le marché des accès résidentiels.
III-2.4. L'interdiction de pratiquer des tarifs d'éviction
Une prestation peut être considérée commercialisée à des tarifs d'éviction lorsqu'elle n'est pas réplicable économiquement par des concurrents aussi efficaces que l'opérateur puissant ou par des concurrents raisonnablement efficaces. Les concurrents d'un opérateur pratiquant des prix d'éviction sont victimes d'un effet de ciseau tarifaire lorsque les coûts des prestations de gros sous-tendant la fourniture d'une prestation de détail sont trop élevés pour maintenir un espace économique viable ; ils sont alors expulsés du marché de détail, ou maintenus hors de ce marché.
Sur les marchés résidentiels, la transparence et la possibilité pour les acteurs de ce marché de saisir le Conseil de la concurrence lorsque des tarifs d'évictions ont été identifiés préviennent la survenance des effets de ciseaux tarifaires et soutiennent une levée de la régulation imposée à France Télécom.
Par ailleurs l'Autorité envisage de faire évoluer son modèle des coûts de fourniture des communications téléphoniques par un opérateur alternatif efficace publié en mars 2006, tant pour la clientèle résidentielle que professionnelle, en y intégrant la fourniture de l'accès. Les concurrents de France Télécom pourront en conséquence s'appuyer entre autres sur cette modélisation pour juger du niveau de ses tarifs et saisir le Conseil de la concurrence dans le cas où l'opérateur historique proposerait des tarifs engendrant un effet de ciseau tarifaire.
L'imposition à France Télécom d'une interdiction de pratiquer des tarifs d'éviction peut donc être levée sur les marchés de détail des accès résidentiels. En outre, dans sa décision n° 2006-0840, l'Autorité a levé l'interdiction pour France Télécom de pratiquer des tarifs d'éviction sur les seules communications résidentielles mais a maintenu cette obligation sur ses offres couplant des prestations d'accès et de communications. La suppression de cette interdiction sur le marché de l'accès par la présente décision implique la levée de l'obligation pour France Télécom de ne pas pratiquer des tarifs d'éviction sur les offres couplant des prestations d'accès et de communications sur les marchés résidentiels.
Concernant la suppression des obligations évoquées dans l'ensemble de la section III-2, plusieurs opérateurs mettent en avant dans leurs réponses à la consultation publique plusieurs risques qui selon eux découleraient de l'allégement prévu par l'Autorité, et notamment le risque de voir France Télécom commercialiser des offres anticoncurrentielles sans que l'Autorité soit en mesure d'intervenir. En particulier, certains opérateurs alternatifs s'inquiètent de ce que France Télécom puisse commercialiser des offres couplées permettant de renforcer sa position dominante, ou encore puisse tarifer de façon agressive ses offres dans des zones ciblées afin d'évincer ses concurrents.
L'Autorité souhaite rappeler que le Conseil de la concurrence veille au respect du droit commun de la concurrence et notamment à la proscription des pratiques anticoncurrentielles telles que les couplages abusifs ou les tarifs prédateurs ciblés.
III-3. Les obligations relatives à la prévention
et à l'identification de pratiques proscrites
III-3.1. L'obligation de communication préalable
France Télécom est actuellement soumise à une obligation de communication préalable de ses tarifs. Les tarifs des prestations définies à l'article 29 de la décision n° 2005-0571 sont soumis à communication préalable selon les dispositions dudit article et les modalités précisées à l'annexe B de la même décision.
Dans son analyse des marchés de la téléphonie fixe, l'Autorité estime que « la simple imposition de l'obligation de non-discrimination et des interdictions de couplages abusifs, de prix excessifs et de prix d'éviction n'est pas suffisante pour que ces obligations soient systématiquement mises en oeuvre par France Télécom. En l'absence d'une procédure de communication préalable, il est probable que France Télécom commercialiserait des prestations qui pourraient ne pas respecter les obligations imposées par l'Autorité et qu'il faudrait attendre l'issue d'une procédure de sanction pour que France Télécom retire ou modifie ces offres, au détriment des acteurs du secteur et des consommateurs ».
Les interdictions de couplages abusifs, de prix excessifs et de prix d'éviction étant levées sur les marchés résidentiels des communications et l'Autorité envisageant de publier une modélisation des coûts d'un opérateur alternatif efficace couvrant la fourniture de l'accès sur le marché résidentiel, la communication préalable des tarifs des prestations relevant de ce marché n'est plus justifiée, et ce d'autant que le droit commun de la concurrence continue de s'appliquer. Comme expliqué par la suite, le respect sur ces marchés de l'obligation de non-discrimination pourra être contrôlé à travers l'obligation de comptabilisation des coûts.
En outre, dans la mesure où l'Autorité lève, par la présente décision, l'interdiction de couplages abusifs, de prix d'éviction et de prix excessifs sur les prestations d'accès, au même titre que sur les prestations de communications, l'obligation de communication préalable visant à vérifier l'application de ces obligations est levée sur les offres résidentielles couplant des prestations d'accès et de communications.
III-3.2. L'obligation de comptabilisation des services
et activités de détail
L'article L. 38-1 (I) du CPCE, par son 3°, dispose que la comptabilisation des coûts des prestations de détail est un outil de vérification, notamment du respect des obligations qui peuvent être imposées à un opérateur puissant sur les marchés de détail.
Par la décision n° 2005-0571, une obligation de comptabilisation spécifique des coûts des prestations de détail est imposée à France Télécom. Cette obligation est jugée nécessaire pour vérifier le respect de l'obligation de non-discrimination et de l'interdiction des couplages abusifs, des prix excessifs et des prix d'éviction. En effet, la comptabilité générale d'un opérateur n'est pas à même de fournir les éléments suffisants eu égard à la complexité des retraitements nécessaires, en termes notamment de rémunération du capital, de distinction des éléments de réseau et des fonctionnalités. Par ailleurs, la décision n° 2005-0571 impose également à France Télécom une obligation de séparation comptable sur les marchés de gros de la téléphonie fixe. La mise en oeuvre de cette obligation est en cours ; dresser aujourd'hui un bilan complet de sa pleine efficacité est encore prématuré.
Comme indiqué dans la décision n° 2005-0571, dans un souci de cohérence et d'homogénéité des obligations imposées à la suite des analyses de marché menées dans le nouveau cadre, cette obligation de comptabilisation des services et activités de détail, comme celle de séparation comptable imposée sur les marchés de gros, est précisée dans la décision n° 2006-1007, conformément à l'article D. 312 du CPCE.
L'Autorité estime justifié de maintenir l'obligation de comptabilisation des coûts des prestations de détail sur l'ensemble des marchés de détail déclarés pertinents, y compris les marchés des accès résidentiels, afin notamment de vérifier le respect de l'obligation de non-discrimination, qui s'applique à l'ensemble de ces marchés. Cette obligation est proportionnée aux objectifs définis à l'article L. 32-1 (II) du CPCE, et en particulier les 2°, 3° et 4°.
Enfin, il apparaît important de maintenir le système de comptabilité réglementaire qui permet, le cas échéant, aux autorités de concurrence d'accéder rapidement à une information sur la structure des coûts, conforme à une norme connue et soumis à un audit.
Dans leurs réponses à la consultation publique, des opérateurs alternatifs soulignent que la mise en oeuvre de la séparation comptable n'est pas encore effective et donc que cet instrument ne peut être mobilisé pour surveiller les pratiques de l'opérateur historique. De même, la comptabilisation des coûts est critiquée par trois acteurs, notamment pour son caractère ex post, qui ne protège pas des effets négatifs que subirait un opérateur alternatif sur le marché avant même toute action corrective. En outre, certains opérateurs demandent la mise en place d'un mécanisme de sauvegarde en attendant que la séparation comptable soit effectivement utilisable par l'Autorité, cela notamment afin de vérifier la réplicabilité des offres de France Télécom et l'absence de prix prédateurs.
L'Autorité rappelle en réponse à ces observations que le Conseil de la concurrence veille au respect du droit commun de la concurrence et que, lorsque la situation le justifie, il a la possibilité de prendre une décision de mesure conservatoire permettant d'agir selon une procédure rapide. En outre, le droit de la concurrence a prouvé en France comme en Europe son efficacité dans la sanction des pratiques anticoncurrentielles. L'Autorité estime enfin que son modèle de coûts de fourniture des communications électroniques par un opérateur alternatif efficace est un des outils qu'elle met à disposition des autorités compétentes leur permettant, le cas échéant, de caractériser d'éventuels abus de position dominante.
III-4. La communication pour information
Conformément au cadre réglementaire, l'Autorité entend favoriser une action sur les marchés de gros tout en s'assurant de la réplicabilité des offres de détail de France Télécom. La plupart des obligations imposées jusqu'ici sur les marchés résidentiels de détail des communications sont donc levées et la communication préalable des tarifs n'est plus exigée de France Télécom sur ces mêmes marchés.
Toutefois, si le pouvoir d'opposition a été mis en place principalement pour vérifier que France Télécom respecte bien ses obligations sur les marchés de détail, celui-ci permet également la surveillance de plusieurs obligations imposées sur les marchés de gros. En particulier, un des outils essentiels permettant de vérifier le respect par France Télécom de l'obligation de non-discrimination sur les marchés de gros est l'observation des offres de détail de France Télécom.
A cet égard, afin de s'assurer que France Télécom respecte bien son obligation de non-discrimination sur les marchés de gros, l'Autorité estime nécessaire d'imposer à France Télécom de lui transmettre pour information ses offres de détail d'accès destinées au marché résidentiel, dans un délai raisonnable avant leur mise en oeuvre. A ce stade, cette obligation de communication pour information imposée sur les marchés de gros au titre de l'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques ne concerne que les offres d'accès et/ou de communications sur les marchés résidentiels pour lesquelles la communication préalable est supprimée.
Une telle obligation est conforme et proportionnée aux objectifs de régulation définis à l'article L. 32-1 (II) du CPCE, et en particulier ceux visant à garantir l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques et l'égalité des conditions de concurrence.
Un opérateur alternatif souligne dans sa réponse à la consultation publique que la suppression de l'obligation de communication préalable entraînerait l'impossibilité pour l'Autorité de vérifier les pratiques anticoncurrentielles de l'opérateur historique. De même, le maintien de l'obligation de non-discrimination et donc de sa vérification par l'Autorité entraîne, selon les commentaires d'un opérateur, la nécessité de maintenir l'obligation de communication préalable. Enfin, un opérateur souhaite que l'ARCEP et les autorités de concurrence collaborent lorsque celles-ci sont saisies notamment sur le constat du caractère anticoncurrentiel d'une offre.
En réponse à ces observations, l'Autorité précise qu'elle considère bien que la levée de l'obligation de communication préalable retire un moyen de contrôle ex ante, mais rappelle toutefois que la régulation des marchés de détail doit être remise en question dès lors qu'une régulation via les seuls marchés de gros sous-jacents serait suffisante. Ainsi, selon l'article L. 38-1 du CPCE, alinéa 1, « les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché de détail du secteur des communications électroniques peuvent, lorsque l'application de l'article L. 38 ne permet pas d'atteindre les objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 (7), se voir imposer une ou plusieurs des obligations suivantes, proportionnées à la réalisation de ces objectifs [...] ». En outre, l'Autorité rappelle aux opérateurs s'inquiétant de l'absence de ses moyens d'intervention dans le cas où une offre anticoncurrentielle serait commercialisée par France Télécom qu'ils ont la possibilité, là aussi, de faire valoir le droit commun de la concurrence auprès des autorités compétentes. Dans ce cas, lors de sa saisine pour avis par le Conseil de la concurrence, l'Autorité lui transmettra les informations pertinentes à sa disposition. L'Autorité rappelle que le cadre réglementaire organise la collaboration entre l'Autorité et le Conseil de la concurrence, chacun saisissant l'autre pour avis.