II-D-1. Mise en place d'un engagement de niveau de service
En premier lieu, France Télécom doit proposer aux opérateurs un « engagement de niveau de service », i.e. un mécanisme qui l'incite au respect des niveaux de qualité de service annoncés dans l'offre de référence afin que ces niveaux soient garantis pour les opérateurs. Ce mécanisme pourra notamment reposer sur un système de pénalités incitatives ou sur la reconnaissance par France Télécom de sa responsabilité commerciale.
Cette obligation se rattache au régime juridique en vigueur en matière d'accès, dans la mesure où la livraison ou la réparation des accès en fonction d'un délai précis constitue une modalité de mise en oeuvre concrète de l'obligation de faire droit aux demandes d'accès raisonnables. Ainsi, l'article D. 310 du code des postes et des communications électroniques prévoit que l'Autorité « définit en tant que de besoin les conditions de mise en oeuvre des obligations [...] de façon à assurer leur exécution dans des conditions équitables et raisonnables ».
En outre, cette obligation d'engagement de France Télécom au respect des niveaux de qualité de service annoncés peut se prévaloir des dispositions relatives à la non-discrimination dans la mesure où elle permet aux opérateurs alternatifs d'obtenir des conditions sur le marché de gros comparables à celles que France Télécom offre à ses services, filiales ou partenaires : cette obligation leur permet, à l'instar de France Télécom, de s'engager auprès des consommateurs sur les marchés de détail.
Enfin, cette modalité de mise en oeuvre des obligations d'accès fait peser sur France Télécom une contrainte limitée. Ce type d'engagement correspond en effet à des pratiques commerciales courantes sur les marchés concurrentiels et s'avère nécessaire pour pallier les éventuelles réticences de France Télécom dans la fourniture à ses concurrents d'une offre satisfaisante en termes de qualité de service. Au demeurant, il est laissé à l'opérateur toute latitude quant à la forme et aux modalités que peut prendre le mécanisme contraignant, à condition cependant qu'il reste suffisamment incitatif.
Cette mesure apparaît donc comme justifiée au regard de l'objectif d'égalité des conditions de concurrence et proportionnée en ce qu'elle constitue la mesure la moins contraignante pour France Télécom, le choix lui étant laissé de la modalité de mise en oeuvre, de remplir l'objectif d'engagement sur des niveaux de qualité de service.
Enfin, elle est conforme à l'article D. 308 du code qui précise que doivent être inclus dans l'offre de référence d'accès à la boucle locale, au titre des conditions de fourniture, notamment :
- les « délais de réponse aux demandes de fourniture de services et de ressources ; accords sur le niveau du service, résolution des problèmes, procédure de retour au service normal et paramètres de qualité des services ;
- les conditions contractuelles types, y compris, le cas échéant, les indemnités prévues en cas de non-respect des délais ; [...] ».
II-D-2. Publication d'indicateurs de qualité de service
En second lieu, afin de s'assurer de l'effectivité du système d'incitation mis en place par France Télécom et de vérifier que les niveaux de qualité de service de l'offre de gros sont non-discriminatoires par rapport à ce que France Télécom propose à ses propres services sur les marchés aval, l'Autorité estime nécessaire que l'opérateur mesure et publie mensuellement des indicateurs de qualité de service pour l'offre de gros, ainsi que pour les offres aval correspondantes.
En application de l'article D. 307 du code, l'Autorité peut en effet imposer à France Télécom de publier des informations concernant les conditions de fourniture des prestations d'accès.
De plus, la publication des indicateurs de qualité de service est un moyen efficace pour s'assurer, en application des dispositions relatives à la non-discrimination prévues à l'article D. 309 du code des postes et des communications électroniques, que la société France Télécom fournit aux autres opérateurs des services et des informations dans les mêmes conditions et avec la même qualité que ceux qu'elle offre à ses propres services, filiales ou partenaires.
La publication d'indicateurs de niveau de service s'analyse comme une obligation non disproportionnée pour France Télécom. La réalisation de mesures et la publication périodique de plusieurs indicateurs de suivi constitue en effet une pratique très courante et constitue la mesure la moins contraignante pour France Télécom permettant à l'Autorité de s'assurer de l'absence de pratiques discriminatoires et au client final notamment d'apprécier les responsabilités de France Télécom d'une part et de l'opérateur alternatif d'autre part dans la qualité de service de l'offre de détail.
Enfin, France Télécom réalise et transmet déjà aujourd'hui à l'Autorité la mesure de certains indicateurs de qualité de service pour le dégroupage ; cette obligation ne devrait donc pas constituer une contrainte importante pour France Télécom.
Une liste d'indicateurs pertinents sera établie par l'Autorité, après consultation de France Télécom et des opérateurs du dégroupage, au regard notamment des indicateurs que France Télécom élabore déjà pour son propre suivi.
Eu égard aux buts qu'elles poursuivent et compte tenu de ce qui précède, ces obligations de qualité de service répondent d'une façon proportionnée aux objectifs de régulation fixés à l'article L. 32-1 (II) du code et en particulier « à l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques », au développement de « l'investissement efficace dans les infrastructures, de l'innovation et de la compétitivité dans le secteur des communications électroniques » ou encore à « l'égalité des conditions de concurrence ».
II-E. - Obligation de contrôle tarifaire
L'article L. 38-I (4°) du code des postes et des communications électroniques prévoit que l'Autorité peut imposer un contrôle tarifaire aux opérateurs disposant d'une influence significative, en particulier sous la forme d'une obligation que les tarifs reflètent les coûts correspondants.
France Télécom, en position quasi-monopolistique sur le marché de l'accès à la boucle locale, pourrait fixer les tarifs d'accès ainsi que les tarifs des prestations connexes indépendamment de toute pression concurrentielle au désavantage de ses concurrents sur les marchés aval et, in fine, des consommateurs.
L'Autorité note en effet que l'absence d'obligation que les tarifs reflètent les coûts permettrait à France Télécom de bénéficier d'une rente liée à son monopole sur l'accès cuivre. Une telle rente fausserait les conditions de développement d'une concurrence équitable sur les marchés du haut débit. Par ailleurs, un renchérissement artificiel du coût de la paire de cuivre pour les opérateurs du dégroupage serait mécaniquement répercuté sur les marchés aval, notamment de détail, et ralentirait le développement de la Société de l'information.
L'Autorité estime donc que les tarifs de cette prestation ainsi que des ressources connexes doivent refléter les coûts. En l'absence de mesure moins contraignante qui permettrait de prévenir toute distorsion de concurrence, cette obligation est proportionnée aux objectifs de l'article L. 32-1 (II) du code et en particulier à l'exercice « d'une concurrence effective et loyale », au développement de la compétitivité ou encore à « l'égalité des conditions de concurrence ».
Au demeurant, l'article 3 du règlement européen n° 2887/2000 précise que « sans préjudice de l'article 4, paragraphe 4, les opérateurs notifiés orientent les tarifs de l'accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes en fonction des coûts ».
II-E-1. Principes généraux
L'article D. 311-II du code des postes et des communications électroniques dispose que, pour la mise en oeuvre de l'obligation de contrôle tarifaire, l'autorité peut, le cas échéant, notamment préciser les méthodes de tarification ou de comptabilisation des coûts. Elle peut également « prendre en compte les prix en vigueur sur les marchés comparables en France ou à l'étranger ». Enfin, elle doit veiller « à ce que les méthodes retenues promeuvent l'efficacité économique, favorisent une concurrence durable et optimisent les avantages pour le consommateur. Elle veille également à assurer une rémunération raisonnable des capitaux employés, compte tenu du risque encouru ».
Pour répondre à ces objectifs, il convient de prendre en compte dans l'exercice d'évaluation des coûts aux fins de tarification de l'accès dégroupé et des ressources connexes, les principes suivants, conformes également aux objectifs qui lui sont fixés dans l'article L. 32-1 (II) du code :
- le principe d'efficacité des investissements ;
- le principe de non-discrimination ;
- le principe de concurrence effective et loyale.
II-E-1-a. Sur le principe d'efficacité des investissements
Les coûts pris en compte doivent correspondre à ceux encourus par un opérateur efficace ; à cet égard, les coûts exposés par l'opérateur seront comparés, dans la mesure du possible et au moins sur la base des tarifs correspondants, à ceux d'autres opérateurs fournissant des prestations comparables. Des modélisations seront également développées.
II-E-1-b. Sur le principe de non-discrimination
France Télécom est soumise à une obligation de non-discrimination au titre de la présente décision.
Par conséquent, les tarifs unitaires applicables pour l'accès à la boucle locale devront être équivalents pour les opérateurs tiers et les propres services ou filiales de France Télécom. Ainsi, lorsque les prestations d'accès à la boucle locale sont utilisées par une filiale ou un service de France Télécom dans des conditions équivalentes à celles qui sont offertes aux opérateurs tiers, cette utilisation doit être valorisée selon des règles elles-mêmes équivalentes à celles utilisées à l'égard des opérateurs tiers. Ce principe s'applique tant à l'accès à la boucle locale, dans ses deux acceptions, accès totalement dégroupé et accès partagé, qu'aux prestations qui y sont associées.
II-E-1-c. Sur le principe de concurrence effective et loyale
Les règles de tarification doivent promouvoir une concurrence loyale et durable ; ceci implique notamment que les tarifs ne créent pas d'obstacle à l'entrée sur le marché. En particulier, ils doivent être établis de manière à éviter la survenance d'effets de ciseau tarifaire entre les prix de l'accès à la boucle locale et les prix pratiqués par France Télécom pour ses services de détail.
II-E-2. Cas du dégroupage total
L'autorité va procéder à une consultation publique visant à définir la méthode pertinente de comptabilisation des coûts à retenir dans le cadre du dégroupage total. Cette méthode sera ensuite notifiée à la Commission européenne conformément à l'article L. 37-3 du code des postes et des communications électroniques avant d'être adoptée.
II-E-3. Cas du dégroupage partiel
Le dégroupage partiel n'est possible que si le client final souscrit par ailleurs un abonnement auprès de France Télécom, celui-ci recouvrant notamment les coûts d'entretien, d'amortissement et de gestion de la paire de cuivre.
L'usage de la bande passante haute dans le cadre d'un accès partagé sur une ligne n'engendre en soi pas de coûts récurrents supplémentaires pour l'opérateur historique, qui continue par ailleurs d'assurer un service téléphonique et perçoit un abonnement dans les mêmes conditions que pour une ligne non dégroupée.
L'équilibre de l'accès téléphonique pour France Télécom n'est ainsi pas modifié par la présence d'un accès partagé, sous la seule réserve des coûts spécifiques.
Dès lors, seule une tarification incrémentale de l'accès partagé apparaît compatible avec l'obligation de reflet des coûts, la paire de cuivre étant elle-même déjà rémunérée au travers de l'abonnement téléphonique. Il en résulte que le tarif de la paire de cuivre alloué à un accès partagé doit correspondre aux coûts incrémentaux de l'accès partagé, c'est-à-dire à ses coûts spécifiques.
Enfin, en vertu du principe de non-discrimination, la valorisation de la bande haute retenue au titre du dégroupage a vocation à être retenue de la même manière pour les autres offres de gros et de détail proposées par France Télécom sur les marché du DSL.
II-F. - Obligation de séparation comptable
L'article L. 38-I (5°) du code des postes et des communications électroniques prévoit que l'Autorité peut imposer aux opérateurs disposant d'une influence significative d'isoler sur le plan comptable certaines activités.
L'obligation de séparation comptable repose sur la mise en oeuvre d'un système de comptabilisation et consiste en un dispositif comptable qui permet notamment, conformément aux dispositions de l'article 11 de la directive « accès » susvisée, d'une part, d'assurer la transparence des prix des offres de gros et des prix de transferts internes à l'entreprise verticalement intégrée, et, de ce fait, de garantir le respect de l'obligation de non-discrimination lorsqu'elle s'applique, et, d'autre part, de prévenir les subventions croisées abusives.
La réintégration de Wanadoo au sein de France Télécom a pour conséquence de renforcer sa structure verticale intégrée et d'accroître les risques concurrentiels, notamment les effets de leviers horizontaux et verticaux, les risques de pratiques prédatrices ou de subventions croisées, ou encore les pratiques de ciseau tarifaire. L'avis du Conseil de la concurrence n° 2005-A-03 indique que ce mouvement d'intégration « pourrait faciliter la mise en oeuvre des pratiques décrites ci-dessus dans la mesure où elle pourrait réduire la transparence des flux financiers entre les différents marchés concernés par les activités de France Télécom ».
Par ailleurs, la caractéristique d'infrastructure essentielle de la boucle locale cuivre de France Télécom donne à l'opérateur un pouvoir de marché sur l'ensemble des marchés avals, dont la situation concurrentielle est conditionnée par l'accès des opérateurs alternatifs à cette infrastructure essentielle. France Télécom pourrait être tentée d'abuser de cette position en amont pour tenter d'évincer des marchés avals ses concurrents par le biais de subventions croisées ou de pratiques de ciseau tarifaire et, par voie de conséquence, limiter l'exercice d'une concurrence effective à la fois sur les marchés de gros et sur les marchés de détail.
Ce double aspect de la position concurrentielle de France Télécom sur les marchés du haut débit peut se traduire par des distorsions discriminatoires sur les marchés de gros et les marchés de détail, qui peuvent être mises sous surveillance grâce notamment à l'imposition d'une obligation de séparation comptable.
En effet, comme le mentionne l'avis du Conseil de la concurrence, « dans le cadre de l'ouverture à la concurrence de secteurs auparavant dominés par une entreprise en situation de monopole, la séparation comptable des différentes activités de ces entreprises constitue une condition nécessaire pour s'assurer que le jeu concurrentiel n'est pas faussé. [...] Cette séparation comptable n'apparaît pas toujours suffisante. Elle doit parfois être complétée par une véritable séparation fonctionnelle. A cet égard, il appartient au régulateur sectoriel, conformément aux pouvoirs qui lui ont été donnés par le législateur, de déterminer les mesures ou modalités qui pourraient être imposées à un opérateur verticalement intégré, disposant d'un monopole de fait sur la boucle locale, pour assurer ex ante une égalité des opérateurs, notamment dans les conditions d'accès à la boucle locale ou pour prévenir d'éventuels abus, tant sur les marchés en "amont que sur les marchés "aval ».
Ainsi, compte tenu, d'une part, du caractère verticalement intégré de France Télécom et de la réintégration de Wanadoo au sein de sa société mère, d'autre part, du caractère d'infrastructure essentielle de la boucle locale et, enfin, de la dynamique concurrentielle des marchés amont et aval, il apparaît justifié et proportionné d'imposer à France Télécom une obligation de séparation comptable, au regard notamment des objectifs de « concurrence effective et loyale », d'« égalité des conditions de concurrence » et d'« absence de discrimination » fixés à l'article L. 32-1 (II) du code. Cette obligation constitue le minimum nécessaire pour s'assurer notamment de l'absence de subventions croisées et de pratiques de ciseau tarifaire destinées à évincer des concurrents.
Dans un souci de cohérence et d'homogénéité des obligations imposées à la suite des analyses de marché menées dans le nouveau cadre, cette obligation de séparation comptable sera précisée dans une décision ultérieure, conformément à l'article D. 312 du code des postes et des communications électroniques, et après consultation publique et notification à la Commission européenne.
III. - COMMENTAIRES DES AUTORITÉS RÉGLEMENTAIRES NATIONALES
ET DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
La Commission européenne a indiqué qu'elle n'avait pas d'observation à formuler s'agissant de l'analyse du marché de gros de l'accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle locale cuivre menée par l'Autorité et de ses conclusions.
Décide :