III-2.6.4. Avantages du précurseur
France Télécom bénéficie des avantages du précurseur sur ce marché de détail complexe techniquement.
Tout d'abord, il dispose d'une bonne image en termes de qualité de service auprès de la clientèle qui est ou a toujours été cliente de France Télécom avant l'ouverture à la concurrence.
En outre, le marché des services de capacités est caractérisé par des coûts de changement d'opérateurs élevés qui poussent les entreprises à réaliser des lots importants, d'une durée assez longue et à réduire le nombre de fournisseurs pour ce type de services, tendances qui favorisent l'opérateur en place.
III-2.6.5. Diversification en termes de services permettant de faire des couplages
et des remises supérieures aux concurrents
La gamme de services de capacités de détail de France Télécom est plus étendue que celle de ses concurrents, ce qui lui permet de disposer de trois avantages concurrentiels significatifs :
- tout d'abord, France Télécom est le seul fournisseur de certains services ou sur certaines parties du territoire ;
- ensuite, par le choix d'un périmètre de remise important, qui couvre services en concurrence et services en monopole de fait, il améliore sa position concurrentielle face à ses concurrents ;
- enfin, la constitution technique ou le périmètre géographique de certains services lui permettent un couplage que ses concurrents ne peuvent pas réaliser.
En ce qui concerne les services pour lesquels France Télécom est durablement le seul fournisseur, il s'agit tout d'abord des liaisons louées analogiques et des liaisons louées numériques très bas débit (moins de 64 kbit/s). Pour ces services, l'obsolescence des technologies et les niveaux de prix de France Télécom sont inaccessibles par les concurrents qui ne les fourniront certainement pas. Seul le mouvement de substitution avec d'autres services de capacités, plus récents, sur lesquels les opérateurs entrants se positionnent améliorera la situation concurrentielle des opérateurs.
Dans le même ordre d'idées, comme relevé précédemment, la concurrence sur les services de capacités de plus de 10 Mbit/s, notamment avec interfaces alternatives, ne s'est exercés que sur une partie des dix plus grandes agglomérations. Le reste du territoire est un monopole de fait pour France Télécom et cette situation ne peut évoluer que progressivement.
En ce qui concerne l'amélioration de sa position concurrentielle permise par des remises, France Télécom propose un périmètre de remises aux volumes (fonction du montant total des achats du client) mutualisant l'ensemble des services de capacités jusqu'à 2 Mbit/s et n*2 Mbit/s d'une part, et l'ensemble des services de capacités de plus de 10 Mbit/s d'autre part. Sur les services jusqu'à 2 Mbit/s et n*2 Mbit/s, la mutualisation permet à France Télécom d'améliorer sa compétitivité par rapport à ses concurrents sur les services en concurrence. De même, la mutualisation dans le périmètre des remises de services en monopole géographique et de services fournis dans des zones où existe une certaine concurrence a le même effet sur les services soumis à concurrence. Pour améliorer leur compétitivité par rapport à France Télécom, ses concurrents doivent soit réduire leur marge de manière plus importante que France Télécom, soit offrir une gamme de services aussi étendue que lui, ce qu'ils ne souhaitaient peut être pas faire initialement (typiquement la fourniture de liaisons louées analogiques) ; dans tous les cas, la mutualisation des services sans concurrence et en concurrence dans le périmètre des remises augmente les barrières à l'entrée pour les concurrents.
Enfin, en ce qui concerne le couplage de prestations en concurrence et de prestations sans concurrence réalisées dans la composition de certains services, les opérateurs entrants ont indiqué à l'Autorité que le lancement du service SMHD en 1997, au moment de leur propre déploiement de boucles métropolitaines optiques de raccordement de sites d'entreprises, notamment en région parisienne, avait bloqué le développement de leur MAN : en effet, SMHD mutualise sur un seul contrat le raccordement de nombreux sites sur une boucle métropolitaine fédératrice. France Télécom a encouragé les clients à mutualiser le raccordement de leurs sites au sein d'un même contrat, avec souvent, des sites que SMHD pouvait couvrir mais pas les boucles des concurrents (notamment en périphérie de la région parisienne). En l'absence d'offre de gros, le raccordement de ces sites périphériques revenait trop cher pour les concurrents qui perdaient du même coup la totalité du contrat et la possibilité de rentabiliser les investissements déjà faits, de sorte qu'ils ont freiné leur déploiement.
III-2.7. Conclusion sur l'influence significative sur le marché de détail
France Télécom dispose d'une influence significative sur le marché de détail des services de capacité.
III-3. INFLUENCE SIGNIFICATIVE DE FRANCE TÉLÉCOM
SUR LE MARCHÉ DE GROS DU SEGMENT TERMINAL
III-3.1. Analyse de la demande potentielle sur le marché de gros du segment terminal
Il y a deux types de sites à raccorder sur le segment terminal composant au moins deux segments du marché libre du marché de gros du segment terminal :
- les sites de clients finals (entreprises ou administrations) à qui les opérateurs souhaitent délivrer des services de communications électroniques, notamment des services de capacités de détail ;
- les sites capillaires de réseau d'opérateurs fixes et mobiles souhaitant compléter leur réseau dorsal par l'achat de services de capacités auprès d'autres opérateurs plus capillaires : ces sites capillaires sont les BTS pour les opérateurs mobiles.
En ce qui concerne les sites de clients finals :
Cf. III-2.1.
En ce qui concerne les sites capillaires de réseau mobile :
Le nombre de BTS par réseau et donc leur dispersion géographique sur le territoire devrait augmenter à la faveur de la généralisation des réseaux radio UMTS dont les cellules sont plus petites que les cellules GSM : ainsi, chaque réseau d'opérateurs devrait passer d'environ 11 000 BTS à un total proche de 14 000, ce qui représente un nombre de points à raccorder supérieur à 30 000 (en dépit de quelques mutualisations de sites). Les liens entre les MSC et les BTS vont nécessiter des débits de raccordement plus importants qu'actuellement du fait de la montée en débits occasionnée par l'UMTS (les raccordements en fibre optique ne seront pas rares), de même que des évolutions dans les interfaces (passage de l'interface G 703 typique de la voix à des interfaces alternatives du type ATM ou Ethernet, plus aptes au transport d'applications de voix et de données).
III-3.2. Fonctionnement du marché
III-3.2.1. L'opérateur historique
Sur le segment terminal, France Télécom dispose d'abord d'un réseau d'accès en cuivre pour les débits inférieurs à 10 Mbit/s (paires de cuivre) qui couvre la demande sur tout le territoire, les zones non rentables ayant été couvertes dans le cadre de la fourniture du service universel. Il a également développé un réseau d'accès pour les débits supérieurs à 10 Mbit/s (boucles optiques), qui ne couvre pas la totalité du territoire mais qui se développe rapidement avec la montée en débits des sites clients : déployé en plusieurs phases, il couvre actuellement 170 plaques géographiques dans lesquels France Télécom indique être déjà en mesure de couvrir complètement ou partiellement les sites à l'intérieur de ces communes en l'espace de 4 à 6 semaines à la demande. Par ailleurs, France Télécom a annoncé en fin d'année 2004 le lancement d'un plan de déploiement dans environ 2 000 zones d'activité économique représentant environ 120 000 entreprises qui seront raccordées en xDSL sur support cuivre et en fibre optique selon les besoins.
Les services commercialisés par France Télécom sur le segment terminal sont : des liaisons louées achetées par les opérateurs à son catalogue de détail (liaisons louées numériques à plus de 64 kbit/s jusqu'à 155 Mbit/s), l'offre de référence LPT sur le segment terminal (de 64 kbit/s à 155 Mbit/s également), l'offre TDSL disponible à son catalogue de détail (ou DSL-E en offre de gros), des services de capacités avec interfaces alternatives commercialisées dans son catalogue de détail (à la fois des offres point à point d'interconnexion de réseaux locaux comme Inter LAN 1.0 ou 2.0 avec interface Ethernet ou des offres point à multipoints comme Multi LAN HD en ATM ou SMHD, toutes interfaces confondues) et, depuis le mois d'octobre 2005, l'offre « CE 2O » avec interface Ethernet.
France Télécom a également développé deux offres spécifiques pour les opérateurs sur le segment terminal : pour les opérateurs mobiles, l'offre AIRCOM vise à leur permettre de raccorder leurs BTS capillaires à leurs BSC.
III-3.2.2. Les opérateurs entrants
Sur le segment terminal, la situation des opérateurs entrants est un peu contrastée entre les sites clients et les sites capillaires de réseau.
Pour les sites clients :
Les opérateurs entrants couvrent une faible fraction de la demande actuelle et potentielle par leurs raccordements en propre. Ils sont donc peu vendeurs de services sur le segment terminal et principalement acheteurs de capacités sur le segment terminal.
Sur le segment de marché du segment terminal à moins de 10 Mbit/s, les opérateurs qui ont amorcé le dégroupage total des lignes d'entreprises (9Cegetel et dans une moindre mesure Colt) sont en mesure de fournir des capacités dans le segment terminal à moins de 10 Mbit/s aux autres opérateurs qui ne dégroupent pas encore : seul 9Cegetel le fait sur le marché libre pour des services avec interfaces alternatives.
Sur le segment de marché du segment terminal à plus de 10 Mbit/s, les quatre opérateurs qui ont déployé des MAN sont en mesure de fournir des capacités (également à 2 Mbit/s et n*2 Mbit/s sur les sites déjà raccordés), sur les zones d'emprise où ils sont suffisamment déployés. Dans les faits, seuls Completel et Colt le font sur le marché libre jusqu'à présent.
En outre, 9Cegetel a développé une activité de revente de liaisons louées d'interconnexion « pour compte de tiers » à des opérateurs moins déployés en profitant des différences de tarifs entre liaisons louées d'interconnexion locales et régionales (jusqu'à 2 Mbit/s et n*2 Mbit/s principalement, mais aussi à plus de 10 Mbit/s).
Pour les sites capillaires de réseau :
Pour les répartiteurs, le modèle économique est plus favorable au déploiement des opérateurs en propre du fait de la taille de ces sites de collecte et de leur moindre dispersion géographique que les sites clients :
600 répartiteurs des 20 plus grandes agglomérations ont été raccordés en propre par au moins deux opérateurs présents sur le marché entreprise (densité de population importante d'où trafic important et proximité avec les infrastructures déjà existantes - beaucoup de répartiteurs sont également CAA, notamment dans les grandes agglomérations) ;
Un second ensemble composé d'environ 2 500 répartiteurs représentant d'ores et déjà un potentiel de consommation important mais que les opérateurs auront du mal à raccorder en propre, surtout individuellement, existe, qui pourrait être également raccordé en propre avec la location de fibre noire aux collectivités territoriales pour abaisser le coût économique du déploiement en propre ;
Enfin, un troisième ensemble de répartiteurs regroupant le reste des répartiteurs de la zone éligible mais se trouvant dans des zones peu denses et donc présentant « peu » de potentiel économique ne semble pas atteignable dans l'immédiat pour des raisons de potentiel de remplissage moindre et de coûts plus élevés.
Pour la couverture des BTS des réseaux mobiles, les opérateurs ayant déployé des réseaux dorsaux et des boucles métropolitaines de collecte au sein des agglomérations sont en mesure de raccorder en propre certaines BTS et de commercialiser des capacités entre les BTS et les MSC, principalement par le biais du dégroupage des sites où se trouvent les BTS. Cependant, ce nombre, reste relativement difficile à apprécier et devrait demeurer inférieur à celui des répartiteurs.
III-3.3. Evolution du marché
Afin d'actualiser les analyses chiffrées du document soumis à consultation publique, les opérateurs ont répondu à un nouveau questionnaire quantitatif envoyé le 27 janvier 2006, et dont la structure correspondait aux nouvelles caractéristiques du marché. L'augmentation du chiffre d'affaires s'explique par une montée en débit des liaisons.
En excluant les services vendus par l'opérateur historique à ses filiales (Transpac sur le marché de la transmission de données et de l'accès à Internet) et Orange sur le marché des mobiles, la consommation sur le marché dit « libre » est la suivante :
Estimation du chiffre d'affaires (MEUR), hors ventes intra-groupe
Estimation du parc (milliers de liaisons), hors ventes intra-groupe
III-3.4. Parts de marché et autres indicateurs
III-3.4.1. Sur l'ensemble du segment terminal (marché libre)
Concernant l'année 2005, les données recueillies en réponse au questionnaire du 27 janvier 2006 ne comprenaient plus de distinction entre les débits inférieurs ou supérieurs à 10 Mbit/s, ce qui correspond à l'analyse faite en II.3.1.2 de la présente décision incluant tous les services de capacité dans un même marché de gros du segment terminal.
France Télécom, dans sa réponse à la consultation première publique, indique que sa part de marché est plutôt de 16 %. Pour arriver à ce résultat, l'opérateur raisonne sur des données publiées par les opérateurs alternatifs sur le nombre de sites desservies et prend ensuite pour hypothèse que 30 % de ses sites ne sont pas raccordés en autoproduction mais via le marché de gros du segment terminal de plus de 10 Mbit/s, soit 1 865 liens. En considérant par ailleurs que France Télécom a vendu sur ce marché 296 liens, l'opérateur conclut qu'il dispose de 16 % de part de marché.
Il est difficile de tirer une conclusion d'un tel raisonnement. En effet, tous les paramètres sont très sensibles alors qu'ils ne sont estimés ici qu'avec une très forte marge d'incertitude. Par exemple, le décompte des sites raccordés n'est pas nécessairement homogène selon les opérateurs (un site égal une adresse postale, un site client, un contrat en cours ?). L'estimation de la part d'autoproduction dans les raccordements paraît assez aléatoire. Enfin, quand bien même ces valeurs auraient été bien estimées, la part de marché en parc n'a qu'un sens très limité sur ce marché où les prix sont très variables selon la densité de population, le déploiement des opérateurs et la longueur des liens (du simple au double pour VPN HD).
L'Autorité note par ailleurs que le parc estimé par France Télécom sur ce marché dans sa réponse à la consultation publique, 296 liens, est sensiblement plus important que celui déclaré précédemment.
III-3.5. Avantages concurrentiels de France Télécom sur le marché du segment terminal
III-3.5.1. Contrôle d'une infrastructure difficile à dupliquer
III-3.5.1.1. Sur le segment de marché des services de moins de 10 Mbit/s
France Télécom est propriétaire d'une infrastructure d'accès aux clients sur le segment terminal difficile à dupliquer de manière rentable, utilisée notamment pour fournir des services de capacités de détail avec des débits inférieurs à 10 Mbit/s : il s'agit de l'ensemble du réseau d'accès en cuivre. C'est une barrière à l'entrée économique structurelle, durable, que les opérateurs concurrents ne peuvent dupliquer de manière rentable sur l'ensemble du territoire. A titre d'illustration, le coût de reconstruction à neuf de la boucle locale de cuivre de France Télécom est évalué à 28 milliards d'euros (36).
Les possibilités de dégroupage total de la boucle locale de cuivre (mise à disposition d'une paire de cuivre nue pour les opérateurs entrants) réduisent fortement le coût économique de constitution d'une capacité sur le segment terminal, que ce soit pour ses propres besoins ou pour la revente à des tiers, et devrait permettre l'entrée d'opérateurs offreurs sur le marché de gros du segment terminal.
Cependant, sur la période de l'analyse de marché, la réduction des barrières à l'entrée grâce au dégroupage total sur le marché professionnel restera certainement circonscrite aux grandes agglomérations et ne devrait pas éroder significativement l'avantage que représente le contrôle par France Télécom d'une infrastructure complète sur le segment terminal pour plusieurs centaines de milliers de sites d'entreprises.
Figure 3 : Déploiement du dégroupage total c/ TDSL