LOI PORTANT RÉFORME DE L'ÉLECTION DES SÉNATEURS
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi portant réforme de l'élection des sénateurs,
le 9 juillet 2003, par M. Jean-Marc Ayrault, Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux-Bacquet, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Serge Blisko, Patrick Bloche, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carillon-Couvreur, MM. Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Jean-Pierre Dufau, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaétan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Bruno Le Roux, Mme Marylise Lebranchu, M. Patrick Lemasle, Mme Annick Lepetit, MM. Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Philippe Martin, Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Germinal Peiro, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Simon Renucci, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mmes Ségolène Royal, Odile Saugues, MM. Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque, Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Mme Chantal Robin-Rodrigo et M. Roger-Gérard Schwartzenberg, députés,
et, le même jour, par M. Claude Estier, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, M. Didier Boulaud, Mmes Yolande Boyer, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Louis Carrère, Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Gilbert Chabroux, Gérard Collomb, Raymond Courrière, Roland Courteau, Yves Dauge, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Odette Herviaux, MM. Yves Krattinger, André Labarrère, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, André Lejeune, Jacques Mahéas, Jean-Yves Mano, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Jean-Claude Peyronnet, Jean-François Picheral, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz, MM. Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Roger Rinchet, André Rouvière, Mme Michèle San Vicente, MM. Michel Sergent, René-Pierre Signé, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Michel Teston, Jean-Marc Todeschini, Pierre-Yvon Trémel, André Vantomme, André Vezhinet, Marcel Vidal et Henri Weber, sénateurs ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 83-390 du 18 mai 1983 relative à l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France ;
Vu la loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000 relative à l'élection des sénateurs ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-476 DC du 24 juillet 2003 ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 18 juillet 2003 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés requérants, enregistrées le 21 juillet 2003 ;
Le rapporteur ayant été entendu,
1. Considérant que les auteurs des deux saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant réforme de l'élection des sénateurs et mettent en cause en particulier la conformité à la Constitution de ses articles 1er, 5 et 6 ; que les sénateurs requérants critiquent en outre son article 7 ;
Sur la répartition des sièges de sénateurs élus dans les départements :
2. Considérant que l'article 1er modifie le tableau n° 6 annexé à la partie législative du code électoral en répartissant les sièges de sénateurs créés dans les départements par l'article 5 de la loi organique portant réforme de la durée du mandat et de l'âge de l'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat, examinée ce même jour par le Conseil constitutionnel ;
3. Considérant que les auteurs des deux saisines critiquent, au nom du principe d'égalité, le système retenu par le législateur pour déterminer le nombre de sièges de chaque département, soit un sénateur jusqu'à 150 000 habitants, puis un sénateur supplémentaire par tranche ou fraction de tranche de 250 000 habitants ; qu'ils mettent en outre en cause « le parti de ne modifier qu'à la hausse l'attribution des sièges », qui a conduit le législateur à ne pas réduire la représentation des départements de la Creuse et de Paris ;
4. Considérant que l'article 3 de la Constitution dispose, dans son premier alinéa, que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » et, dans son troisième alinéa, que « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret » ; qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 24 de la Constitution : « Le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat » ;
5. Considérant que les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution imposent au législateur de modifier la répartition par département des sièges de sénateurs pour tenir compte des évolutions de la population des collectivités territoriales dont le Sénat assure la représentation ;
6. Considérant, en premier lieu, que, si l'application d'un système de répartition par tranches maintient certaines disparités démographiques, les modifications qui résultent de la loi déférée n'en réduisent pas moins sensiblement les inégalités de représentation antérieures ;
7. Considérant, en second lieu, qu'en conservant aux départements de la Creuse et de Paris leur représentation antérieure, le législateur a apporté une dérogation au mode de calcul qu'il avait lui-même retenu ; que, toutefois, pour regrettable qu'elle soit, cette dérogation, qui intéresse quatre sièges, ne porte pas au principe d'égalité devant le suffrage une atteinte telle qu'elle entacherait d'inconstitutionnalité la loi déférée ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et eu égard au rôle confié au Sénat par l'article 24 de la Constitution, que la nouvelle répartition des sièges résultant de l'article 1er de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution ;
Sur la composition du collège électoral sénatorial :
9. Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine reprochent à la loi déférée de n'avoir pas corrigé les inégalités de représentation résultant, selon eux, des règles de désignation du collège électoral des sénateurs ; qu'ils mettent ainsi en cause la conformité à la Constitution des articles L. 284 et L. 285 du code électoral ;
10. Considérant que la conformité à la Constitution des termes d'une loi promulguée ne peut être utilement contestée qu'à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ;
11. Considérant que la loi déférée n'a ni pour objet ni pour effet de modifier ou de compléter les règles de désignation du collège électoral des sénateurs fixées par les articles L. 284 et L. 285 du code électoral ; qu'elle n'en affecte pas non plus le domaine d'application ; que, par suite, les conditions dans lesquelles la conformité de ces règles à la Constitution pourrait être utilement contestée ne sont pas réunies en l'espèce ;
Sur les articles 5 et 6 relatifs au seuil d'application de la représentation proportionnelle :
12. Considérant que, conformément aux septième et huitième alinéas de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires ; qu'aux termes du cinquième alinéa de son article 3 : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » ; que son article 4 dispose : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage... - Ils contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi » ;
13. Considérant qu'il ressort des dispositions du cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution, éclairées par les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle dont il est issu, que le constituant a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ; qu'à cette fin, il est désormais loisible au législateur d'adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant ; qu'il lui appartient toutefois d'assurer la conciliation entre les nouvelles dispositions constitutionnelles et les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n'a pas entendu déroger ;
14. Considérant que, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 3 de la Constitution, le premier alinéa de l'article L. 300 du code électoral prévoit : « Dans les départements où les élections ont lieu à la représentation proportionnelle, chaque liste de candidats doit comporter deux noms de plus qu'il y a de sièges à pourvoir. Sur chacune des listes, l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe » ;
15. Considérant que les articles 5 et 6 modifient respectivement les articles L. 294 et L. 295 du code électoral pour porter de trois à quatre le nombre de sénateurs par département à partir duquel l'élection a lieu non plus au scrutin majoritaire à deux tours, mais à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ;
16. Considérant que les députés et les sénateurs requérants reprochent à ces dispositions d'être contraires à l'article 3 de la Constitution, en réduisant « d'autant le nombre de sièges auxquels s'applique l'obligation de présenter des listes de candidats composées de femmes et d'hommes à égalité alternée » ;
17. Considérant, d'une part, que les dispositions critiquées ne portent pas, par elles-mêmes, atteinte à l'objectif d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives énoncé à l'article 3 de la Constitution ;
18. Considérant, d'autre part, que les dispositions du cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de priver le législateur de la faculté qu'il tient de l'article 34 de la Constitution de fixer le régime électoral des assemblées ;
19. Considérant, dès lors, que le moyen tiré d'une atteinte à l'article 3 de la Constitution doit être rejeté ;
Sur l'article 7 relatif aux bulletins de vote :
20. Considérant qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution ; qu'il doit, dans l'exercice de cette compétence, respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle et veiller à ce que le respect en soit assuré par les autorités administratives et juridictionnelles chargées d'appliquer la loi ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ;
21. Considérant que l'article 7 de la loi déférée complète l'article L. 52-3 du code électoral par trois alinéas ainsi rédigés : « Le libellé et, le cas échéant, la dimension des caractères des bulletins doivent être conformes aux prescriptions légales ou réglementaires édictées pour chaque catégorie d'élection : - pour les élections au scrutin majoritaire, les bulletins de vote ne peuvent comporter aucun nom propre autre que celui du ou des candidats ; - pour les élections au scrutin de liste, les listes présentées dans chacune des circonscriptions départementales ou régionales peuvent prendre une même dénomination afin d'être identifiées au niveau national. Il peut s'agir du nom d'un groupement ou parti politique et, le cas échéant, de celui de son représentant » ;
22. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des travaux parlementaires à l'issue desquels ont été adoptées ces dispositions que l'intention du législateur est de les rendre applicables à l'élection des sénateurs ; que, toutefois, l'article L. 52-3 ainsi complété figure au titre Ier du livre Ier du code électoral, dont les dispositions ne sont pas relatives à cette élection ;
23. Considérant, en deuxième lieu, que la portée normative du premier alinéa inséré à l'article L. 52-3 du code électoral est incertaine ;
24. Considérant, en troisième lieu, que les notions de « nom propre », de « liste présentée dans une circonscription départementale » et de « représentant d'un groupement ou parti politique » sont ambiguës ;
25. Considérant, enfin, que le dernier alinéa inséré au même article autorise, dans certains cas, l'inscription sur les bulletins de vote du nom de personnes qui ne sont pas candidates à l'élection ; qu'une telle inscription risquerait de créer la confusion dans l'esprit des électeurs et, ainsi, d'altérer la sincérité du scrutin ;
26. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 7 de la loi déférée est contraire tant à l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qu'au principe de loyauté du suffrage ;
27. Considérant que les articles 2 à 4 de la loi déférée n'appellent aucune critique quant à leur constitutionnalité,
Décide :