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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 juillet 1995, présentée par soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution et visée dans la décision no 95-365 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 juillet 1995, présentée par soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution et visée dans la décision no 95-365 DC)

III. - Sur la violation de l'article 29 de la Constitution


L'ordre du jour de l'actuelle session extraordinaire a été « déterminé » par un décret du Président de la République en date du 28 juin 1995.
Pour les besoins de la mascarade procédurale qui vient d'être caractérisée, un nouveau décret du Président de la République en date du 8 juillet 1995,
c'est-à-dire pris le lendemain du dépôt de la proposition de loi et trois jours après le débat « constitutionnel » à la commission des finances de l'Assemblée nationale, a « complété » le décret du 28 juin en ajoutant à l'ordre du jour de la session extraordinaire l'examen de ladite proposition de loi.
Cette nouvelle manipulation du calendrier parlementaire pose une question de principe.
L'article 29 de la Constitution dispose en effet en son premier alinéa que « le Parlement est réuni en session extraordinaire [...] sur un ordre du jour déterminé ».
Le deuxième alinéa de ce même article oblige le Président de la République à clore la session extraordinaire dès lors que l'ordre du jour contenu dans la convocation est épuisée, dans le cas d'une session convoquée à la demande de la majorité absolue des députés.
Quant à son troisième alinéa, il réserve au Premier ministre le droit de demander une nouvelle session avant l'expiration du mois qui suit la clôture d'une session extraordinaire.
Il résulte nécessairement de l'ensemble de ces dispositions que l'article 29 a valeur contraignante à l'égard du chef de l'Etat (faute de quoi le deuxième alinéa perdrait tout sens) et qu'en particulier il l'oblige à ne convoquer le Parlement en session extraordinaire que « sur un ordre du jour déterminé ». Si les mots ont un sens, cette exigence ne peut signifier que l'obligation d'arrêter l'ordre du jour de la session extraordinaire dans le décret de convocation. Toute autre interprétation permettrait en effet au Président de la République, en l'autorisant à ajouter à sa guise tel ou tel texte à cet ordre du jour, de disposer d'un extraordinaire moyen de pression sur la représentation nationale, laquelle serait en quelque sorte « en session précaire » et pourrait voir sa docilité récompensée par des prolongations présidentielles... discrétionnaires.
Que le Président de la République puisse librement déterminer ab initio l'ordre du jour d'une session extraordinaire, nul ne le conteste. Mais qu'il puisse instituer de facto un régime de « sessions extraordinaires mouvantes » faisant échec à la lettre même du premier alinéa de l'article 29 de la Constitution - l'ordre du jour initialement indiqué devenant dans ce cas littéralement « indéterminé » -, ce serait là, à l'évidence, une violation grave de l'esprit et de la lettre du texte constitutionnel, qui n'a pas encore fait du chef de l'Etat le maître absolu du calendrier des travaux parlementaires au point de lui remettre une « épée de Damoclès » institutionnelle qu'il pourrait suspendre au-dessus des têtes des élus de la nation.
La violation de l'article 29 de la Constitution est en l'espèce d'autant plus choquante qu'il ne s'agit nullement, on l'a vu, de saisir le Parlement d'une question nouvelle qui aurait échappé dix jours plus tôt à la sagacité présidentielle, mais seulement de tenter de masquer une inconstitutionnalité... en en commettant une autre.
C'est donc inconstitutionnellement que l'ordre du jour de la session extraordinaire a été modifié le 8 juillet. Il n'appartient évidemment pas au Conseil constitutionnel de censurer le décret présidentiel ainsi entaché d'inconstitutionnalité, mais il résulte nécessairement de cette violation de l'article 29 de la Constitution que la procédure d'adoption de la proposition de loi déférée, qui n'a pu être mise en mouvement qu'en vertu du décret inconstitutionnel dont elle constitue une mesure d'application, est elle-même inconstitutionnelle de ce chef également.
La censure n'en est que plus inévitable.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la proposition de loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
(Liste des signataires: voir décision no 95-365 DC.)