Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 28 décembre 1994, présentée par soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 94-358 DC)
F. - Sur l'article 36
Cet article, introduit lors de la première lecture par le Sénat, modifie la loi no 80-3 du 4 janvier 1980 relative à la Compagnie nationale du Rhône (C.N.R.) essentiellement pour prévoir que les conventions passées entre la C.N.R. et Electricité de France et actuellement en vigueur « continueront de régir les relations entre Electricité de France et la Compagnie nationale du Rhône jusqu'à l'expiration de la concession ».
Or, la C.N.R. a assigné E.D.F. le 13 juillet 1993 devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir annuler un protocole en date du 12 août 1990 portant avenant à un ensemble de conventions, conclues entre ces deux entreprises publiques et de voir condamner E.D.F. à lui verser une indemnité de 138 550 F en raison de la nullité dudit protocole. Le préfet de Paris ayant élevé le conflit, l'affaire est actuellement pendante, quant à la détermination de l'ordre juridictionnel compétent, devant le tribunal des conflits.
Il n'est ni contestable ni contesté que l'article déféré a pour unique objet et pour unique effet d'empêcher les juridiction précitées de statuer sur ce litige. Il s'agit donc d'une « validation préventive », laquelle n'est compatible avec le principe constitutionnel d'indépendance des juridictions (Conseil constitutionnel no 80-119 DC du 22 juillet 1980, Rec. page 46;
Conseil constitutionnel no 85-192 DC du 24 juillet 1985, considérant 10, Rec. page 56; Conseil constitutionnel no 87-228 DC du 26 juin 1987, considérant 8, Rec. page 38) que dans le respect d'un ensemble de conditions.
L'une de ces conditions, dès lors qu'il s'agit comme en l'espèce d'une validation directe (la loi déférée ne modifiant pas, comme elle aurait pu le faire constitutionnellement, les règles applicables aux contrats litigieux et violées par ceux-ci mais prétendant « valider » directement ces contrats eux-mêmes), tient au caractère réglementaire de l'acte validé: le législateur peut soit valider les règles applicables à l'acte individuel contesté, soit valider un règlement contesté, mais il ne saurait valider « directement » un acte individuel sans s'immiscer dans la procédure juridictionnelle au mépris de la séparation des pouvoirs.
Or, en l'espèce, l'acte validé est non seulement « non réglementaire » mais encore « non unilatéral ». La validation directe d'un contrat dont la nullité a été demandée à une juridiction ajoute à la méconnaissance de la séparation des pouvoirs une immixtion du législateur dans le domaine réservé à l'autonomie de la volonté, qu'il peut certes limiter par l'édiction de règles générales mais à laquelle il ne saurait substituer directement sa propre appréciation de l'intérêt subjectif de telle partie. A nouveau, la loi déférée, au lieu de « fixer des règles », sort de l'objet qui lui est assigné par la Constitution. Il en résulte en outre nécessairement que la validation opérée par l'article déféré est dépourvue d'objet rattachable à l'intérêt des services publics, notamment au souci de garantir la continuité de ces derniers.
Enfin, il convient de rappeler que le capital de la Compagnie nationale du Rhône est très majoritairement détenu par les collectivités territoriales (6 régions, 16 départements et 229 communes). La loi déférée empêche ces collectivités actionnaires de décider librement de l'intérêt de l'entreprise qu'elles contrôlent majoritairement et, plus précisément, fait obligation à cette entreprise de continuer jusqu'en... 2023... à se voir appliquer une convention conclue irrégulièrement (défaut d'autorisation du conseil d'administration, c'est-à-dire défaut de consentement des collectivités territoriales actionnaires) et fort préjudiciable à ladite entreprise. Elle porte ainsi, indirectement mais nécessairement, à la liberté contractuelle des collectivités territoriales une atteinte excessive, et même totalement injustifiée compte tenu de l'absence de tout intérêt public fondant le maintien en vigueur du contrat nul.