Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 décembre 1994, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 94-357 DC)
1. Sur l'article 92
Cette disposition, qui figurait dans le texte initial du projet, a fait l'objet de deux amendements adoptés. Elle vise à permettre aux partenaires sociaux de mettre en oeuvre l'accord Unedic du 8 juin 1994 relatif aux formes expérimentales d'intervention particulière du régime d'assurance chômage en faveur du reclassement des chômeurs indemnisés.
En elle-même, l'idée de substituer au traitement passif du chômage un traitement actif n'est naturellement pas en cause, et les députés soussignés ont déjà contribué à la mettre en oeuvre dans le passé. Toutefois, cette évolution souhaitable ne saurait se faire qu'à des conditions strictes,
respectueuses des droits de tous ceux qu'elle concerne et dans le cadre des principes constitutionnels gouvernant la matière. Tel ne paraît pas être le cas en l'espèce.
En application de l'article 92, il sera désormais possible, dans le cadre d'une convention de coopération, que les associations ou entreprises qui offriront à un chômeur indemnisé une activité, d'une durée maximale de six mois, destinée à faciliter son reclassement, reçoivent directement de l'Unedic le montant des allocations normalement destinées au chômeur. En outre, la période en cause sera imputée sur les droits à l'assurance chômage. Ce dispositif semble contraire à la Constitution à plusieurs titres.
En premier lieu, l'indemnisation du chômage est un droit qu'ont acquis tous les cotisants à cette assurance spécifique. Pourtant, cette indemnisation,
dans le dispositif envisagé, ne reviendrait plus à son titulaire mais à l'association ou à l'entreprise qui lui offrirait une activité. De ce fait,
une aide serait ainsi allouée directement aux entreprises et associations,
financée exclusivement par les cotisations Assedic. Or, pour obligatoires qu'elles sont, ces cotisations ne constituent pas pour autant des impôts, et il n'appartient pas au législateur d'en modifier la destination sans qu'en ait été modifiée la nature.
En second lieu, aucune garantie formelle n'est apportée, ni par la loi, ni par l'accord du 8 juin 1994, ni par les projets de conventions déjà publiés pour s'assurer du consentement des intéressés. Certes, diverses références sont faites à des « candidatures », certes ceux auxquels s'appliquera l'article 92 sont présumés en être « bénéficiaires », mais il n'en demeure pas moins que jamais leur consentement formel n'est exigé, ni sur le principe du reclassement professionnel, ni sur ses modalités, ni sur le choix de l'entreprise ou de l'association concernées.
En troisième lieu, la loi demeure muette sur le statut des personnes concernées.
Actuellement, l'article L. 351-3 du code du travail dispose que l'allocation est attribuée au travailleur. Tout autre est le système dans lequel cette allocation est versée aux entreprises qui organisent l'action de reclassement. De même, l'article L. 351-20 dudit code prévoit que les allocations peuvent se cumuler avec les revenus procurés par une activité occasionnelle ou réduite. Tout autre est le système dans lequel l'allocation ne bénéficie plus à la personne mais continue à être imputée sur ses droits, alors qu'elle se trouve en situation d'activité.
Non seulement, donc, les intéressés pourront désormais se trouver simultanément dans les situations contradictoires de demande d'emploi et d'exercice d'une activité, mais encore ils seront placés de ce fait dans une espèce de « no man's land » juridique: chômeur indemnisé, pour une période imputable sur ses droits à assurance, l'intéressé sera en même temps lié à une entreprise ou une association par un contrat dont la loi ne définit aucun des termes.
En conséquence, et dans la meilleure des hypothèses, il reviendra à l'Unedic de définir les règles applicables aux personnes concernées. Ainsi, entre autres griefs, le législateur a-t-il inconstitutionnellement abandonné le soin de déterminer les normes régissant les activités exercées en application de l'article 92.
Ainsi, d'une part, l'article 92 de la loi qui vous est déférée méconnaît le principe rappelé par votre décision no 93-325 DC du 13 août 1993, selon lequel « les cotisations versées aux régimes obligatoires de sécurité sociale qui résultent de l'affiliation à ces régimes constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés; que ces cotisations ouvrent vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes » (no 119). D'autre part, le législateur,
auquel l'article 34 de la Constitution confie expressément le soin de déterminer « les principes fondamentaux... du droit du travail », abandonne ici ce soin à l'Unedic.
Pour ces deux raisons au moins, l'article 92 ne pourra échapper à la censure.