Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 25 février 1997 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-388 DC)
2. La méconnaissance liée aux limitations du droit
à la négociation collective
Le troisième alinéa de l'article 4 écarte la possibilité de mettre en place un plan d'épargne retraite par voie d'accord collectif en cas d'impossibilité de conclure un tel accord dans un délai de six mois. On remarquera que la généralité des termes utilisés englobe l'ensemble des accords collectifs quel que soit leur champ d'application. Il est ainsi porté atteinte au droit qu'ont les partenaires sociaux de définir les modalités de la négociation.
Aucune urgence particulière ne vient justifier la brièveté de ce délai, les droits à retraite étant, par nature, constitués sur des durées très longues (plusieurs dizaines d'années).
La brièveté du délai et la faculté laissée à l'employeur d'agir par voie de décision unilatérale au terme d'un délai de six mois, alors même qu'aucun désaccord ne serait apparu et n'aurait été constaté dans un procès-verbal,
sont ouvertement contraires au huitième alinéa du Préambule de 1946. Il en résulte une dénaturation de la négociation collective. Alors que celle-ci a notamment pour objet de limiter le pouvoir de décision unilatérale de l'employeur, l'article 4 de la loi en fait le mode presque normal de mise en place d'un plan d'épargne retraite, la conclusion d'un accord collectif devenant, en raison de l'obligation de résultat imposée aux partenaires sociaux dans un délai de six mois, l'exception. En fixant un délai très bref, il autorise chacune des deux parties, et singulièrement l'employeur, à ne pas « jouer le jeu » de la négociation. On verra apparaître des négociations de pure forme sans que les parties aient la moindre volonté d'aboutir. Tout accord collectif est un contrat. La fixation d'un délai impératif à l'intérieur duquel celui-ci doit être conclu ne permet pas au consentement des volontés de s'exprimer en toute liberté.
Il convient de rappeler qu'en matière de négociation annuelle sur les salaires l'article L. 132-29 du code du travail prévoit que « tant que la négociation est en cours..., l'employeur ne peut... arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, à moins que l'urgence ne le justifie ». Le même article prévoit que « si, au terme de la négociation, aucun accord n'a été conclu, il est établi un procès-verbal de désaccord dans lequel sont consignées, en leur dernier état, les propositions respectives des parties et les mesures que l'employeur entend appliquer unilatéralement ». On soulignera que les cotisations servant à financer une couverture de retraite sont souvent analysées comme un élément de rémunération ou, du moins, de salaire différé et que l'on est assez près du domaine couvert par les dispositions du code du travail relatives à la négociation annuelle sur les salaires.
Le Haut Conseil a eu l'occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur le huitième alinéa du Préambule de 1946. Dans une décision no 89-257 DC du 25 juillet 1989, s'il a estimé qu'après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou aux relations de travail, il est loisible au législateur de laisser aux employeurs et aux salariés ou à leurs organisations représentatives le soin de préciser les modalités de mise en oeuvre des normes qu'il édicte, c'est à la condition qu'une « concertation appropriée » ait eu lieu entre les différents partenaires. Dans sa décision no 96-383 DC du 6 novembre 1996, le Haut Conseil a également rappelé que ces dispositions du Préambule de 1946 « confèrent aux organisations syndicales vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs ».
En conséquence, la fixation d'un délai de six mois à l'intérieur duquel la négociation d'un accord collectif relatif à un plan d'épargne retraite doit obligatoirement s'opérer est contraire au principe constitutionnel de la participation, par les salariés, à la détermination de leurs conditions de travail.