Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 10 octobre 1996, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-383 DC)
V. - Sur l'atteinte au régime protecteur applicable
aux représentants des travailleurs
Il n'est pas sérieusement contestable que l'existence d'un statut protégeant les négociateurs représentant les salariés contre les risques de licenciement abusif ou même de chantage au licenciement constitue une autre garantie fondamentale de la mise en oeuvre du droit proclamé par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
Or, le paragraphe III de l'article 6 de la loi déférée prévoit que les modalités de protection des « salariés mandatés » pour négocier dans les entreprises dépourvues de représentants syndicaux et les conditions d'exercice de leur mandat de négociation « seront arrêtées par les accords de branche », qui « pourront prévoir que le licenciement des salariés mandatés ainsi que, pendant un délai qu'ils fixeront, le licenciement de ceux dont le mandat a expiré seront soumis à la procédure prévue à l'article L.
412-18 du code du travail ».
On se trouve à nouveau confronté ici à un remarquable exemple d'incompétence négative du législateur, qui laisse les partenaires sociaux entièrement libres de faire ou de ne pas faire bénéficier du régime protecteur d'autorisation administrative de licenciement les « salariés mandatés ».
Comment ne pas constater en outre que cette disposition consacre un nouveau retour en arrière, en fragilisant les négociateurs représentant les salariés qui non seulement ne pourront plus s'appuyer sur le « plancher de branche », mais pourront, si l'accord de branche en décide ainsi, se retrouver démunis de toute protection légale face à l'éventualité d'un licenciement abusif et/ou arbitraire ? Il est enfin très significatif qu'alors que le Gouvernement et sa majorité n'ont cessé, pour tenter de justifier l'adoption de la loi déférée,
d'invoquer la nécessité d'élargir le champ de la négociation collective en la facilitant dans les entreprises dépourvues de représentants syndicaux, la fragilisation radicale des négociateurs représentant les salariés ne manquera évidemment pas d'aller à l'encontre du développement de ladite négociation collective, les candidats à l'affrontement sans filet n'étant pas nécessairement légion dans les petites et moyennes entreprises. L'insécurité est de toute évidence une entrave à l'exercice du droit à la participation aux négociations collectives : on ne peut accroître l'une en prétendant favoriser l'autre.
Législation à champ d'application variable, indéterminé et, par là même,
discriminatoire ; régression du minimum légal de protection des représentants des travailleurs : la violation du principe constitutionnel du droit à la participation, par l'intermédiaire de délégués, aux négociations collectives est incontestable.