Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 28 décembre 1994, présentée par soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 94-358 DC)
D. - Sur l'article 12
Cet article entend définir les « principes applicables à l'enseignement supérieur » et les « modalités de leur mise en oeuvre » par un « schéma de l'enseignement supérieur et de la recherche ».
Il prévoit que ledit schéma « programme notamment, dans ses cinq premières années d'application, la création d'universités thématiques, destinées à se développer dans des villes moyennes [...] dotées de contrats de recherche correspondant à leur spécialisation ».
Mettant un terme à certaines interrogations et confirmant la lettre de la disposition qui vient d'être reproduite, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a précisé qu'il s'agissait « de ne pas reproduire, dans ces villes, le schéma des universités classiques » (Journal officiel, Sénat, séance du 3 novembre 1994, page 4923) et a souligné que les trois premières applications qui seront mises en oeuvre dès 1995 seront « l'occasion d'expérimenter une formule qui, loin d'être la reproduction du modèle des universités classiques, sera complémentaire des formations dispensées dans les grandes universités » (idem, pages 4923-4924).
Il est donc clair que la loi déférée crée un nouveau type d'établissements publics, clairement différencié des univerités « classiques » et dérogatoire sur des points essentiels (à commencer par la spécialité même de ces établissements) au modèle existant.
Or, d'une part, le législateur ne saurait décider pareille création sans définir les règles constitutives de la nouvelle catégorie d'établissements publics, sauf à méconnaître l'étendue de sa propre compétence et à violer ainsi à nouveau, par « incompétence négative », l'article 34 de la Constitution (Conseil constitutionnel no 93-322 DC du 28 juillet 1993,
considérant 6, Rec. page 204); d'autre part, en autorisant le Gouvernement,
qui établit le schéma en cause, à définir librement les « orientations » qui s'imposeront à ces université d'un nouveau type, la loi déférée renonce tout aussi inconstitutionnellement à déterminer les garanties de la libre expression et de l'indépendance des enseignants-chercheurs et, plus spécifiquement, de l'indépendance des professeurs (idem).
En ce qui concerne enfin les deux créations d'universités (dès 1995) par anticipation sur le schéma non encore élaboré que prévoit le sixième alinéa de l'article déféré, c'est à tort que le législateur croit pouvoir les prévoir « conformément aux dispositions de l'article 1er de la loi no 94-639 du 25 juillet 1994 modifiant l'article 21 de la loi no 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur », loi qui tirait les conséquences de la censure de juillet 1993: l'article 21 de la loi de 1984 ainsi modifié en juillet 1994 prévoit que « les dérogations ont pour seul objet d'expérimenter dans les nouveaux établissements des modes d'organisation et d'administration différents de ceux prévus par les articles 25 à 28, 30, 31, 34 à 36 et 38 à 40 ». En revanche, aucune dérogation n'est autorisée à l'article 20 de la loi du 26 janvier 1984 qui prévoit que les universités sont « pluridisciplinaires », si bien que la modification de l'article 21 de cette même loi par la loi du 25 juillet 1994 ne peut autoriser la création d'universités thématiques, lesquelles par hypothèse ne sont plus « pluridisciplinaires ».
En d'autres termes, ni la loi du 25 juillet 1994 ni la loi déférée n'ont déterminé les garanties légales indispensables au respect des principes constitutionnels susmentionnés et de l'autonomie universitaire. De plus, en croyant pouvoir s'abriter derrière ladite loi du 25 juillet 1994, la loi déférée est entachée d'une incontestable erreur manifeste d'appréciation...