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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-389 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-389 DC)

Sur l'article 3


Cet article introduit dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 des articles 8-1 à 8-3 nouveaux.
L'article 8-1 autorise les services de police ou les unités de gendarmerie à retenir le passeport ou le document de voyage d'un étranger en situation irrégulière. Dans ce cas, il est remis aux intéressés un récépissé valant justification de leur identité et sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution.
Or vous n'avez pas manqué de souligner, dans votre décision 93-325 DC, que la liberté d'aller et venir « n'est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter » (no 103). C'est à cette liberté qu'il est ici porté atteinte.
En effet, l'étranger ne pourra quitter le territoire qu'à partir du lieu qui lui sera indiqué pour obtenir la restitution de son passeport. Le dispositif envisagé n'interdit certes pas à l'intéressé de quitter librement le territoire, mais il l'oblige à ne pouvoir le faire qu'à partir de l'endroit où ses documents lui seront rendus.
Au regard des règles constitutionnelles applicables à la matière, on sait que l'administration est en droit de prononcer l'expulsion d'un étranger, de reconduire à la frontière celui qui est en situation irrégulière. Pour autant, il faut ici admettre que qui peut le plus - expulser ou reconduire à la frontière - ne peut pas nécessairement le moins - confisquer un passeport ou un titre de voyage et ne le restituer qu'en un lieu déterminé - car pour que l'étranger puisse, comme le souhaitent par hypothèse les autorités administratives, exercer librement son droit de quitter le territoire national, il faut qu'il ait le choix du lieu de destination, parmi ceux qui lui sont accessibles, et, partant, le choix du lieu de départ, c'est-à-dire le lieu de franchissement de la frontière à partir duquel il peut atteindre cette destination.
En confiant aux autorités le droit de déterminer discrétionnairement les modalités de restitution, sans même prévoir celui de l'intéressé à en choisir au moins le lieu, cette disposition est, à ce titre, contraire à la Constitution.
En second lieu, le récépissé délivré vaut certes justification de l'identité, mais ceci est notoirement insuffisant. L'intéressé, en effet,
doit pouvoir continuer à user de ses droits et à exercer ses libertés fondamentales. Qu'il s'agisse de contracter mariage, de reconnaître un enfant, de recevoir une succession ou de jouir normalement de sa propriété,
pour s'en tenir à ces seuls exemples, l'étranger privé de passeport risque d'être entravé, faute pour le législateur d'avoir étendu et précisé comme il convient la portée du récépissé.
A ce titre aussi, l'article 8-1 doit être déclaré non conforme, sauf à ce qu'il fasse l'objet, sur ces points, d'une réserve d'interprétation.