II. - Sur les articles 3 et 7 de la loi
Les sénateurs, auteurs de la saisine, considèrent que l'ensemble de l'article 3 et l'article 7, qui en est la conséquence, sont contraires à l'article 13 de la Déclarations des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 34 de la Constitution.
Sur la non-conformité des articles 3 et 7 avec l'article 34 de la Constitution :
Le dispositif de réduction dégressive de CSG, prévu à l'article 3, et le mécanisme de compensation en faveur des régimes de sécurité sociale, à l'article 7 portent atteinte à l'exigence constitutionnelle d'équilibre de la sécurité sociale.
La création des « lois de financement de la sécurité soicale » avait notamment pour objectif de distinguer le financement de la sécurité sociale du financement du budget de l'Etat. Cette distinction était rendue possible, à la fois par l'existence de cotisations affectées aux branches de la sécurité sociale et par la création d'une « imposition de toutes natures », la contribution sociale généralisée, affectée intégralement et dès l'origine à la seule sécurité sociale. Son taux a été augmenté en 1993, 1997 et 1998 pour faire face à l'exigence d'équilibre financier de la sécurité sociale, devenue un principe constitutionnel par la révision constitutionnelle du 19 janvier 1996.
La création d'un mécanisme de ristourne dégressive, non seulement n'a aucun rapport avec l'exigence d'équilibre de la sécurité sociale, mais lui est contraire.
En effet, un tel dispositif crée un lien supplémentaire et inutile entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Il fait dépendre l'équilibre financier de la sécurité sociale de décisions prises en loi de finances, en raison de la compensation nécessaire des pertes de recettes de la contribution sociale généralisée résultant pour les régimes sociaux de cette exonération.
La loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances prévoient d'affecter à la CNAMTS, à la CNAF et au FSV une fraction de la taxe sur les conventions d'assurance, qui ne sera pas intégralement affectée à la sécurité sociale, mais dont le produit sera partagé entre Etat, FOREC et régimes sociaux. Le rendement de cette taxe n'est pas comparable avec celui de la contribution sociale généralisée. La compensation apparaît ainsi incertaine.
Certes, en raison des mécanismes d'exonération de charges sociales, une partie des recettes des régimes de base sont déjà constituées de compensations sous la forme de dotations budgétaires ou de fiscalité affectée. Mais le mécanisme de réduction dégressive ne fera qu'amplifier ce phénomène, antérieur à la révision constitutionnelle de 1996 ; il n'apparaît pas admissible qu'à l'image des finances locales, une fraction de plus en plus importante des recettes de la sécurité sociale soit tributaire de la compensation de pertes de recettes, sauf à vider de sens l'existence des lois de financement de la sécurité sociale.
Sur les multiples atteintes au principe d'égalité devant les charges publiques :
Le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leur faculté », s'appliquaient aux impositions de toutes natures affectées à la sécurité sociale.
Le mécanisme de ristourne dégressive de CSG aboutira pour les salariés au SMIC, en 2003, à la suppression de la majeure partie d'une participation au financement de la sécurité sociale. Or, à la différence du budget de l'Etat, la sécurité sociale ne dispose pas d'impositions indirectes, permettant - malgré les exonérations accordées dans le cadre de l'impôt sur le revenu - de faire participer au financement du budget de l'Etat l'ensemble des contribuables.
Le dispositif porte ainsi atteinte au principe de solidarité et au principe d'universalité du financement de la sécurité sociale, alors que la CSG avait pour objet, à son institution, « d'associer au financement de la sécurité sociale l'ensemble de la population », selon les termes mêmes de la décision no 90-285 DC du 28 décembre 1990.
Le Conseil constitutionnel a certes rappelé que « le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte pour des motifs d'intérêt général des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux » (décision no 97-388 DC du 20 mars 1997). Mais une ristourne permanente de CSG ne constituera en aucun cas « un avantage fiscal », puisque la CSG, imposition de toutes natures, ne peut être considérée comme un « impôt » au sens classique, pour au moins deux raisons :
- la contribution sociale généralisée est pour partie déductible, en raison de l'opération de substitution entre les cotisations d'assurance maladie et la CSG : un impôt n'est jamais déductible, selon les principes traditionnels du droit fiscal, de l'assiette d'un autre impôt ;
- la France a été condamnée, le 15 février 2000, par la Cour de justice des communautés européennes, pour avoir assujetti les travailleurs frontaliers, dépendant d'un régime européen de sécurité sociale : la CSG est considérée par les autorités européennes comme une « cotisation sociale », compte tenu de son affectation exclusive aux régimes sociaux et nonobstant sa qualification nationale « d'impôt ».
Selon le Conseil constitutionnel, « s'il appartient au législateur, lorsqu'il établit une imposition, d'en déterminer librement l'assiette, sous réserve de respect des principes de valeur constitutionnelle, il doit, pour se conformer au principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but qu'il s'assigne ».
Le « critère objectif et rationnel » affiché par la mesure est de « favoriser la reprise d'activité ». Cet objectif est poursuivi par un mécanisme d'incitation fiscale. Le Sénat a cependant montré, au cours de la discussion du projet de loi de finances, qu'il existait d'autres moyens de poursuivre ce critère objectif et rationnel. Si le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement et n'a pas à se prononcer sur la validité de tel ou tel autre dispositif permettant de poursuivre le même objectif, il n'en demeure pas moins que le mécanisme de la loi de financement de la sécurité sociale ne respecte pas un certain nombre de principes de valeur constitutionnelle.
En effet, un tel mécanisme porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques. Non seulement les charges du foyer fiscal ne seront pas prises en compte, mais l'ensemble des revenus ne fera pas l'objet d'une globalisation. Le mécanisme fera apparaître des situations d'une iniquité inextricable, puisqu'un ménage disposant d'un seul salaire à 1,4 SMIC ne bénéficiera pas de la mesure, alors qu'un ménage constitué de deux revenus au SMIC bénéficieront de deux fois l'équivalent annuel d'un mois de salaire.
Le Gouvernement a reconnu cette situation, qui s'explique par la nature même de la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité, imposition cédulaire portant sur les seuls revenus d'activité d'un salarié ou d'un non-salarié. Il n'était pas possible d'utiliser, à des fins fiscales, un tel outil dont l'objet est exclusivement de financer la sécurité sociale.
Le fait d'accorder des exonérations sur la seule CSG sur les revenus d'activité, sans modifier les règles relatives à la CSG sur les revenus de remplacement et à la CSG sur les revenus du patrimoine et les produits de placement semble également incompatible avec le principe d'égalité devant les charges publiques.
Par ricochet, le mécanisme introduit une rupture d'égalité devant les charges publiques au titre de l'impôt sur le revenu. Du fait de la non-déductibilité d'une fraction de la CSG, le mécanisme proposé par cet article introduit une différence de traitement entre les ménages, disposant de revenus équivalents. Selon qu'ils sont ou non bénéficiaires de la mesure, pour un même revenu imposable, le revenu disponible sera différent, méconnaissant le principe de contribution selon ses facultés réelles. Cette différence de traitement n'est pas en rapport avec l'objet de la loi et est contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le dispositif tend de surcroît à créer une imposition sur les revenus d'activité progressive, puis proportionnelle.
Or, le Conseil constitutionnel a indiqué, dans sa décision no 90-285 du 28 décembre 1990, qu'il appartenait « au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lequelles doivent être appréciées les facultés contributives des redevables ». Le législateur peut décider que la CSG est soit proportionnelle, soit progressive. Mais il est difficile d'imaginer un système mixte : un mécanisme progressif pour les actifs entre 1 et 1,4 SMIC et un mécanisme proportionnel pour les actifs au-delà de 1,4 SMIC. Un tel seuil apparaît d'ailleurs totalement arbitraire, comme l'ont montré les interventions d'un certain nombre de parlementaires au cours des débats, demandant un relèvement à 1,8 SMIC.
Sur la non-conformité du C du II avec l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 34 de la Constitution :
Les « pluriactifs » bénéficieront d'un traitement privilégié du fait de la réduction dégressive de CSG proposée par le Gouvernement : par exemple, bénéficiant de deux revenus à 1 SMIC, ils auront droit à la réduction à taux plein dans les deux cas, alors même que leurs seuls revenus d'activité dépasseront le seuil fixé de 1,4 SMIC. Cette situation apparaît contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.
La loi se borne à renvoyer à un décret les conditions dans lequelles les personnes exerçant simultanément une activité salariée et une activité non salariée bénéficieront de l'exonération de CSG sur leurs revenus d'activité.
Il semble que le législateur ait méconnu sa compétence en renvoyant à un décret le soin de préciser une telle disposition.
De plus, un mécanisme de contrôle véritablement efficace nécessite le croisement des fichiers informatiques des services fiscaux et des organismes de protection sociale. Cette disposition n'a pas été prévue par le législateur.
Le paragraphe concerné ne présente pas ainsi de garanties suffisantes au regard des exigences des libertés publiques.