Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 25 février 1997 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-388 DC)
II. - Les moyens relatifs à l'étendue de la compétence
du législateur
Le législateur n'a pas, dans de nombreux domaines, exercé complètement la compétence qu'il tient, notamment, de l'article 34 de la Constitution.
On rappellera, en préalable, que, s'agissant d'une proposition de loi, elle n'a été soumise à l'avis ni du Conseil d'Etat ni du Conseil économique et social et que ni le ministre des affaires sociales et de l'emploi ni les commissions chargées des affaires sociales de l'Assemblée nationale ou du Sénat n'ont participé à son élaboration.
1. Les modalités d'adhésion des salariés qui souscriront individuellement à un plan d'épargne retraite ne sont pas définies.
Le législateur n'a pas précisé les modalités de mise en place des plans d'épargne retraite qui seront offerts aux salariés susceptibles d'y adhérer à titre individuel. L'article 4 de la loi subordonne la souscription d'un plan d'épargne retraite à la conclusion d'un accord collectif (alinéa 2) ou à une décision unilatérale de l'employeur (alinéa 3). Les salariés concernés pourront, lorsque le plan aura été souscrit par leur employeur, y adhérer.
Par contre, les salariés dont l'entreprise n'aura pas mis en place de plan d'épargne retraite ne souscriront pas individuellement un plan auprès d'un fonds d'épargne retraite, mais devront adhérer à un plan existant (art. 1er, alinéa 2), c'est-à-dire au plan qui aura été souscrit par une autre entreprise que celle à laquelle ils appartiennent. Dès lors que le législateur a entendu ouvrir largement la possibilité d'adhésions purement individuelles, il doit en fixer précisément les modalités. On ne voit pas, en effet, pourquoi une entreprise qui aura souscrit un plan d'épargne retraite au profit de ses salariés devrait accepter, ensuite, l'adhésion de salariés avec lesquels elle n'est pas liée par un contrat de travail.
La méconnaissance par le législateur de sa compétence en ce domaine conduira les assureurs à susciter la constitution, purement artificielle,
d'associations de la loi de 1901 rassemblant le plus grand nombre possible d'employeurs qui, sans être nécessairement engagés financièrement, prendront autant de décisions unilatérales qu'il faudra afin de permettre à ces organismes de démarcher leurs salariés.
2. Le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas affirmé et ne sera donc pas respecté.
Le législateur n'a pas déterminé les modalités selon lesquelles le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes s'appliquent aux plans d'épargne retraite. Il a, sur ce point, méconnu sa compétence, le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoyant que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Cette garantie n'a pas été apportée, dans le domaine des plans d'épargne retraite, par le législateur. Dans le silence de la loi, des plans d'épargne retraite pourront donc, par exemple, prévoir des âges de départ en retraite différents pour les hommes et les femmes, des modalités de calcul des cotisations ou des droits à retraite prenant en compte les espérances de vie différentes des hommes et des femmes, etc.
3. Une règle minimale de partage des droits à réversion lorsque l'assuré décédé a eu successivement plusieurs conjoints n'a pas été fixée.
Le législateur a également méconnu sa compétence en ne fixant pas les principes selon lesquels, en cas de décès de l'assuré, les droits à réversion pourront être répartis lorsque celui-ci a eu successivement plusieurs conjoints. On relèvera que les principes relatifs au partage des droits entre chaque conjoint ont été fixés par le législateur pour les régimes de base de sécurité sociale, pour les régimes de retraite complémentaire de salariés,
mais aussi pour les régimes de retraite supplémentaire à adhésion obligatoire (art. L. 912-4 du code de la sécurité sociale). Le législateur a, sur ce point précis, méconnu sa compétence, les conditions d'attribution d'une prestation relevant du domaine de la loi (voir, notamment, la décision no 84-136 L du 28 février 1984 relative au régime complémentaire du personnel navigant de l'aéronautique civile).
4. La notion de groupement d'employeurs n'est pas définie.
En ne définissant pas la notion de groupement d'employeurs qui figure aux articles 1er, 4 et 5, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution qui prévoit que la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du régime des obligations civiles et commerciales. Les travaux préparatoires de la loi ne permettent pas, en effet, de déterminer avec précision ce qu'il faut entendre par groupement d'employeurs. Or ceux-ci seront amenés à prendre des décisions unilatérales (articles 1er et 4) et à conclure un contrat lors de la mise en place d'un plan d'épargne retraite (article 5).
L'article L. 127-1 du code du travail définit les groupements d'employeurs comme étant des groupements de personnes physiques ou morales entrant dans le champ d'application d'une même convention collective et dont le but exclusif est de mettre à la disposition de leurs membres des salariés liés à ces groupements par un contrat de travail. Les déclarations du rapporteur,
confirmées par le Gouvernement, devant le Sénat montrent que les intentions du législateur sont beaucoup plus larges puisqu'elles viseraient de multiples formes de regroupements d'entreprises (Journal officiel, Débats, Sénat, no 106, p. 7291 et 7334). Le législateur a, là encore, méconnu sa compétence en ne définissant pas les différentes modalités de constitution de ces groupements d'employeurs, en n'indiquant pas les conditions dans lesquelles ces groupements pourront prendre des décisions unilatérales s'imposant aux salariés des membres du groupement et, enfin, les conditions dans lesquelles le groupement signataire d'un contrat relatif à un plan d'épargne retraite pourra engager chacun des membres du groupement.
5. Les règles qui contribuent à la protection des droits des assurés sont incomplètes.
En ne définissant pas les principales règles qui assurent l'information et donc la protection des droits des adhérents aux fonds d'épargne retraite, le législateur a méconnu les compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution :
- l'article 6, premier alinéa, ne pose pas le principe de l'information préalable de l'adhérent en cas de cessation ou de suspension des abondements de l'employeur ;
- à l'article 7, en ne posant pas le principe d'un délai à l'intérieur duquel l'adhérent peut demander le transfert de ses droits vers un autre plan ou contrat d'assurance de groupe ; on relèvera que le premier alinéa de l'article 9 prévoit un délai en cas de changement de fonds d'épargne retraite par le souscripteur ;
- à l'article 9, le législateur a prévu le transfert de la contre-valeur des actifs représentatifs des droits attachés au plan d'épargne retraite ; si, à la date du transfert, la valeur boursière des actifs transférés est inférieure au montant des provisions techniques qui garantissent les droits en cause (par exemple parce qu'à cette date une forte proportion des titres accuse des moins-values importantes), l'assuré sera lésé et verra nécessairement les droits qu'il avait acquis antérieurement réduits à due concurrence ;
- à l'article 14, les modalités d'élection des représentants des adhérents au plan ne sont pas définies ; il n'est pas renvoyé au pouvoir réglementaire pour en préciser les modalités ;
- aux articles 15 et 22, les attributions et les moyens dont peuvent disposer les comités de surveillance ne sont pas définis ; le fonds d'épargne retraite peut ignorer totalement les comités de surveillance ; il n'est même pas prévu qu'il soit tenu, dans des cas à déterminer, de recueillir l'avis des comités de surveillance.
Aux articles 6, 7, 9 et 15, le législateur a renvoyé à des décrets simples le soin d'assurer leur mise en oeuvre. En raison des garanties qu'offre l'examen par le Conseil d'Etat de mesures d'application d'articles qui ont pour objet principal de protéger des assurés qui, par définition, sont dans une position de faiblesse par rapport aux professionnels avec lesquels ils ont contracté, c'est-à-dire les fonds d'épargne retraite, le législateur a également méconnu sa compétence en ne prévoyant pas l'intervention de décrets en Conseil d'Etat (voir les décisions du Conseil constitutionnel no 73-76 L du 20 février 1973 et no 77-98 L du 27 avril 1977).
6. Le statut des deux membres de la COB n'est pas défini.
Le législateur a, enfin, méconnu sa compétence en ne définissant pas avec précision, à l'article 12, II le rôle des deux membres de la COB qui siégeront au sein de la commission de contrôle constituée à l'article 17.
Cette dernière commission a pour mission principale de s'assurer que les fonds d'épargne retraite tiennent leurs engagements vis-à-vis de leurs adhérents. A cet effet, elle pourra imposer aux fonds qu'elle contrôlera des plans de redressement de leur situation et, si nécessaire, leur infliger des sanctions administratives et pécuniaires. En renvoyant aux dispositions correspondantes du code des assurances, l'article 17 définit précisément le statut des membres de la commission ainsi que les conditions dans lesquelles celle-ci interviendra, notamment au regard du respect du secret de ses délibérations et du principe constitutionnel du respect des droits de la défense (voir notamment la décision DC 89-260 du 28 juillet 1989 relative,
notamment, aux attributions de la COB). Au regard de ces principes fondamentaux, les attributions des deux membres de la COB ne sont pas clairement définies. Seront-ils membres de la commission à part entière ? Participeront-ils à tous les travaux de la commission ? Seront-ils habilités à se prononcer sur les plans de redressement et sanctions que la commission est susceptible de prononcer ? Si c'est le cas, leur statut doit être strictement défini par le législateur.
7. L'équité entre les générations ne sera pas garantie par les assureurs si un tel principe n'est pas posé par le législateur.
Les dispositions du chapitre II de la loi relative à l'épargne retraite ne traitent pas des modalités selon lesquelles les fonds d'épargne retraite devront gérer dans le temps les plans d'épargne retraite. La principale question qui se pose est relative aux conditions dans lesquelles les fonds d'épargne retraite feront participer leurs assurés aux bénéfices techniques et financiers qu'ils réaliseront.
Aujourd'hui, le code des assurances détermine le montant minimal des bénéfices que l'assureur doit réserver à ses assurés. Mais il ne précise pas les modalités de répartition de ces bénéfices entre les différentes catégories (salariés actifs cotisants à un plan d'épargne retraite et retraités) et générations d'assurés. Cette question, qui n'est pas bien réglée pour les contrats d'assurance vie, se posera avec davantage d'acuité s'agissant d'opérations s'étendant sur des durées très longues : trente à quarante ans d'acquisitions de droits et vingt ans de service de la rente (voir, sur cette question, Le Traité de droit des assurances. Les règles prudentielles de l'assurance vie, J.-L. Bellando, commissaire contrôleur général des assurances, p. 320, no 474, LGDJ, 1996). En conséquence, dans le silence des dispositions de l'article 11-I de la loi relative à l'épargne retraite, le législateur a méconnu le principe constitutionnel de l'égalité qui, pour des opérations de retraite, doit être apprécié sur la longue durée ainsi que sa propre compétence.