III-B. - Indicateurs quantitatifs
Dans le cadre de la présente décision, l'Autorité relève que chaque opérateur, historique ou alternatif, peut produire deux types d'accès large bande DSL :
- des accès DSL cédés au niveau national à un fournisseur d'accès à Internet tiers, qui complétera l'accès national avec ses propres prestations complémentaires de connectivité Internet pour proposer des offres intégrées sur les marchés avals (marchés de détail) ;
- des accès DSL qui ne donneront lieu à aucune transaction marchande au niveau national et qui constituent sa production interne.
III-B-1. Parts de marché
Conformément à l'avis n° 05-A-03 du Conseil de la concurrence susvisé, s'appuyant sur une jurisprudence constante, il convient dans un premier temps de ne pas retenir la production interne d'une entreprise dans l'évaluation de sa part de marché. Par conséquent, il convient tout d'abord de calculer stricto sensu les parts de marché des entreprises.
La mesure des parts de marché en nombre d'accès ne dépeint pas nécessairement de manière réaliste la puissance économique des acteurs. En effet, au regard des écarts de tarifs significatifs qui existent sur ce marché entre le tarif pratiqué par France Télécom et celui pratiqué par ses concurrents (le tarif de France Télécom est plus de deux fois plus élevé que celui de ses concurrents qui fondent leur offre livrée au niveau national sur le dégroupage) (23), la mesure de l'influence significative doit se fonder sur la mesure de la part de marché en valeur. Cette approche est conforme avec l'article 14-II de la directive « cadre ». Elle est en outre préconisée par le groupe des régulateurs européens dans son document de mai 2003 intitulé : « ERG Working Paper on the SMP Concept for the New Regulatory Framework ».
Au regard de ces éléments, la part de marché en valeur de France Télécom est de l'ordre de 60 %, celle des concurrents est donc de l'ordre de 40 %. Cette part de marché en valeur ne prend toutefois pas en compte les reversements à France Télécom. Ce calcul fait l'objet du paragraphe III-B-3 de la présente analyse.
Par ailleurs, au 31 mars 2005, l'Autorité estime que France Télécom détient environ 40 % de part de marché en nombre de lignes. En janvier 2004, France Télécom détenait 91 % de part de marché contre 9 % pour les opérateurs alternatifs (24).
En outre, les lignes directrices susvisées de la Commission européenne soulignent la nécessité d'adopter une démarche prospective pour évaluer la puissance de marché d'un opérateur.
Dans une approche prospective, l'Autorité a, dans un premier temps, procédé à une évaluation de la situation concurrentielle à court terme en estimant que le marché du haut débit allait conserver au cours du premier semestre 2005 le même rythme de croissance que durant l'année 2004. Dans cette hypothèse, France Télécom détiendrait une part de marché en valeur nettement supérieure à 50 %.
Au-delà de cette date, les estimations chiffrées à moyen terme de l'évolution du marché du haut débit sont plus délicates à mener. En effet, la croissance très soutenue du haut débit observée depuis près de deux ans ne pourra probablement pas continuer de progresser à ce rythme dans les années à venir.
Il n'est toutefois pas impossible que France Télécom détienne, à la fin de l'année 2007, une part de marché nettement supérieure à 50 % en valeur, bien qu'il faille entourer ces résultats de toutes les précautions qui s'imposent. En nombre de lignes, sa part de marché pourrait toutefois être inférieure à 30 %.
Ces estimations sont globales en ce qui concerne les opérateurs alternatifs. Seuls trois acteurs sont aujourd'hui présents sur ce marché (France Télécom, Cegetel et Neuf). Plusieurs autres opérateurs, qui se fournissent en interne, ont développé une activité sur le marché de détail, sans toutefois développer d'activité sur le marché de gros ou même faire d'annonce dans ce sens. Ce constat conduit l'Autorité à estimer que le coût des barrières à franchir pour intervenir sur le marché de gros est structurellement élevé. Ce coût est notamment généré par l'adaptation du système d'information qui doit permettre de commercialiser les prestations à des acteurs tiers par l'adaptation des processus de commercialisation et par l'adaptation des processus de services après-vente.
En outre, les estimations intègrent les conséquences d'une éventuelle fusion entre les opérateurs Neuf Telecom et Cegetel, telle qu'annoncée dans la presse en mai 2005.
En effet, même si une éventuelle entité fusionnée entre Cegetel et Neuf Telecom dispose d'une part de marché supérieure à France Télécom en nombre de lignes (60 % contre 40 % à l'heure actuelle), elle ne saurait pas être considérée comme exerçant une influence significative sur le marché. En effet, France Télécom détiendrait toujours 60 % de part de marché en valeur et l'entité fusionnée Neuf-Cegetel, 40 % de part de marché en valeur, en tant que seul autre acteur sur ce marché de gros. Par ailleurs, la situation de France Télécom et de l'entité fusionnée serait très asymétrique s'agissant des infrastructures servant à produire les accès fournis sur ces marchés. Neuf-Cegetel ne contrôlerait pas, contrairement à France Télécom, l'infrastructure sous-jacente à sa production : au contraire, elle serait dépendante de son concurrent France Télécom pour l'accès à cette infrastructure. Enfin, l'entité fusionnée ne dispose pas des mêmes effets de levier que France Télécom sur les marchés connexes de détail en aval et du dégroupage ou des offres régionales en amont.
Enfin, dans la perspective d'une régulation allégée sur le marché national, il n'est pas exclu que la part de marché de France Télécom sur le marché national soit amenée à remonter. Dans ce contexte, l'Autorité estime que la part de marché de France Télécom sur le marché national, objet de la présente analyse, pourrait dépasser 50 % en nombre de lignes et en valeur à l'horizon début 2008. Ce chiffre dépend toutefois fortement de la stratégie suivie par France Télécom à l'égard des fournisseurs d'accès à Internet.
Par ailleurs, la détention par la nouvelle entité Neuf-Cegetel d'une part de marché en valeur de 40 % ne peut démontrer au cas d'espèce, contrairement à ce que souligne France Télécom en réponse à la consultation publique de juillet 2005, la possibilité d'une influence significative conjointe exercée par cette entité avec France Télécom.
L'article D. 302 II du CPCE précise « qu'une influence significative conjointe au sens de l'article L. 37-1 peut être exercée par plusieurs opérateurs dès lors que le marché présente une structure considérée comme propice à produire des effets coordonnés, même s'il n'existe aucun lien structurel ou autre entre ces opérateurs. Une telle situation peut se produire sur un marché présentant plusieurs caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration et de transparence, ainsi que d'autres caractéristiques », dont la maturité du marché, des structures de coûts analogues, des mécanismes de rétorsion.
Dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002, le TPICE précise qu'une position dominante collective peut notamment correspondre à une situation de collusion tacite dans laquelle « prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l'oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d'un accord ou recourir à une pratique concertée (...), et ce sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective. »
Selon cette jurisprudence, une ligne d'action commune correspondant à une collusion tacite n'est soutenable que dans la mesure où elle a lieu sur un marché :
- permettant une transparence de détection d'une éventuelle déviation de la ligne d'action commune de la part d'un concurrent ;
- présentant des facteurs dissuadant toute entreprise de commettre un tel écart ;
- protégeant les entreprises de l'entrée de concurrents pouvant contester la ligne d'action commune ainsi que de l'exercice d'un contrepouvoir d'acheteur.
Toutefois, au cas d'espèce et eu égard à l'évolution de ce marché, il ne peut être démontré qu'une ligne d'action commune existe ou pourrait exister entre les opérateurs France Télécom, Cegetel et Neuf Telecom. En effet, ce marché démontre davantage le développement d'une concurrence entre ces trois opérateurs, et donc a priori entre France Télécom et la nouvelle entité, que l'adoption d'une position commune. En outre, le marché ne peut être considéré comme transparent à l'horizon de la présente analyse. Ceci est renforcé par la suppression de toute obligation de transparence à l'encontre de France Télécom.
Sous l'hypothèse, peu vraisemblable, soutenue par France Télécom de l'existence d'une influence significative conjointe des opérateurs agissant sur le marché, France Télécom pourrait, en réponse à une déviation de la ligne d'action commune hypothétique, adopter une stratégie commerciale qui annihilerait le bénéfice d'une telle déviation et donc dissuaderait Neuf Telecom, Cegetel, ou l'entité résultant de la fusion de dévier. Toutefois, l'assertion réciproque paraît particulièrement invraisemblable compte tenu de la dissymétrie en terme de puissance économique et financière entre Neuf Telecom, Cegetel ou l'entité résultant de la fusion d'une part et le groupe France Télécom d'autre part.
Au vu des éléments précédents et des économies d'échelle et de gamme dont dispose France Télécom (cf. point suivant), qui sont sans comparaison avec celles dont peuvent bénéficier les opérateurs alternatifs, compte tenu notamment de sa position sur les marchés amont et aval, et de sa différence de taille, il n'est pas fondé d'envisager que Cegetel et Neuf Télécom, ou la future entité fusionnée, puissent exercer, avec France Telecom, une influence significative sur ce marché.