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Article (Décision n° 2005-0571 du 27 septembre 2005 portant sur la définition des marchés pertinents de la téléphonie fixe, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)

Article (Décision n° 2005-0571 du 27 septembre 2005 portant sur la définition des marchés pertinents de la téléphonie fixe, la désignation d'opérateurs exerçant une influence significative sur ces marchés et les obligations imposées à ce titre)



II-3.2.3. Analyse d'une influence significative conjointe


Dans son avis n° 2005-A-05 susvisé sur l'analyse des marchés pertinents de la téléphonie fixe menée par l'Autorité, le Conseil de la concurrence a en effet estimé que l'Autorité devait vérifier, sur le marché du transit intra territorial, « si, en fonction des parts de marché calculées hors autoconsommation et des autres facteurs plus qualitatifs pouvant déterminer une puissance de marché, une telle influence significative peut ou non être également exercée par d'autres opérateurs sur ce marché ».
L'Autorité comprend cette remarque comme étant une invitation à analyser si un ou des opérateurs alternatifs exerce(nt) une influence significative conjointe avec France Télécom.
L'article D. 302-II du CPCE précise qu'« une influence significative conjointe au sens de l'article L. 37-1 peut être exercée par plusieurs opérateurs dès lors que le marché présente une structure considérée comme propice à produire des effets coordonnés, même s'il n'existe aucun lien structurel ou autre entre ces opérateurs. Une telle situation peut se produire sur un marché présentant plusieurs caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration et de transparence, ainsi que d'autres caractéristiques » dont la maturité du marché, des structures de coûts analogues, des mécanismes de rétorsion.
Dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002, le TPICE précise qu'une position dominante collective peut notamment correspondre à une situation de collusion tacite dans laquelle « prenant conscience des intérêts communs, chaque membre de l'oligopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d'adopter durablement une même ligne d'action sur le marché dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d'un accord ou recourir à une pratique concertée (...), et ce sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et les consommateurs, puissent réagir de manière effective. »
Selon cette jurisprudence, une ligne d'action commune correspondant à une collusion tacite n'est soutenable que dans la mesure où elle a lieu sur un marché :
- permettant une transparence de détection d'une éventuelle déviation de la ligne d'action commune de la part d'un concurrent ;
- présentant des facteurs dissuadant toute entreprise de commettre un tel écart ;
- protégeant les entreprises de l'entrée de concurrents pouvant contester la ligne d'action commune ainsi que de l'exercice d'un contrepouvoir d'acheteur.
Deux opérateurs alternatifs, Cegetel et Neuf Télécom, possèdent chacun, selon les calculs de l'Autorité, une part de marché d'au plus 20 %, ce qui peut effectivement inviter à envisager la possibilité d'une influence significative conjointe exercée par l'un et/ou l'autre de ces opérateurs avec France Télécom.
Toutefois, au cas d'espèce, et eu égard à l'évolution de ce marché, il ne peut être démontré qu'une ligne d'action commune existe entre les opérateurs France Télécom, Cegetel et Neuf Télécom. En effet, ce marché démontre davantage le développement d'une concurrence entre ces trois opérateurs que l'adoption d'une position commune.
Par ailleurs, au vu des économies d'échelle et de gamme dont dispose France Télécom (cf. point suivant), qui sont sans commune mesure avec celles dont peuvent bénéficier les opérateurs alternatifs, compte tenu notamment de sa position sur les marchés de détail situés en aval, il n'est pas fondé d'envisager, à ce stade, qu'un de ces opérateurs puisse exercer, avec France Télécom, une influence significative sur ce marché.


II-3.2.4. Economies d'échelle et de gamme
a) Evaluation qualitative


France Télécom possède le réseau le plus capillaire et le plus maillé de France. A titre d'exemple, sur le territoire métropolitain, son réseau, long de 200 000 kilomètres de fibres optiques, possède près de 550 commutateurs d'abonnés, et une soixantaine de commutateurs de transit, alors qu'à une exception près, les réseaux alternatifs les plus étendus ne comptent qu'une cinquantaine de points de présence et ne dépassent jamais 20 000 kilomètres de fibre.
En outre, au contraire des opérateurs alternatifs dont les offres sont généralement ciblées, l'offre de services de détail de France Télécom est particulièrement diversifiée sur les différents marchés de la téléphonie fixe, des services à large bande et des autres marchés de services de capacité et de transmission de données et couvre l'ensemble des besoins des clientèles de détail et de gros.

Par ailleurs, comme cela est détaillé dans l'analyse des marchés de détail de la téléphonie fixe, les gains de parts de marché réalisés par la concurrence vis-à-vis de France Télécom reposent essentiellement sur l'utilisation des offres de gros de cette dernière, qu'il s'agisse notamment des services de sélection du transporteur, de présélection, d'accès partagé ou totalement dégroupé à la boucle locale ou des services de gros de liaisons louées.
Il en résulte que les volumes de communications acheminées par France Télécom sur son réseau, dont l'importance est tout particulièrement mise en évidence par l'évaluation des parts de marché corrigées des volumes de production interne (cf. point suivant), lui procurent d'importantes économies d'échelle et de gamme, qui lui permettent de disposer d'un avantage important et structurel en matière de coûts par rapport à ses concurrents.
Cet avantage lui permet de dégager des marges supérieures à celles de concurrents aussi efficaces qu'elle sur le plan économique, ou éventuellement de baisser ses prix de gros de transit à des niveaux inférieurs aux prix que ses concurrents, qui bénéficient pour leur part d'économies d'échelle et de gamme moins importantes, peuvent fixer raisonnablement sans subir de pertes économiques substantielles.
Par ailleurs, l'importance des volumes de communications acheminées sur le réseau de France Télécom, générées notamment par ses clients au niveau des marchés de détail, a permis à France Télécom d'envisager une interconnexion généralisée de l'ensemble des réseaux des opérateurs alternatifs, les volumes étant déterminants dans la faculté de rentabiliser les coûteux investissements de raccordement qui en découlent. Cette interconnexion généralisée lui procure également un avantage certain sur le marché du transit, comme le détaille le point ultérieur consacré à l'évaluation de l'ampleur de la concurrence potentielle.
Dans sa réponse à la consultation de l'Autorité du 9 juillet 2004, France Télécom conteste la réalité de ces différences de coûts, en invoquant notamment le fait que la dispersion de son réseau sur le territoire produirait au contraire des déséconomies d'échelle, et en précisant qu'en tout état de cause l'Autorité ne présentait pas dans le cadre de cette analyse de marché de mesure quantifiée de ces économies.
Même si la réalité de ces différences de coûts a été discutée, en invoquant notamment le fait que la dispersion du réseau de France Télécom sur le territoire produirait au contraire des déséconomies d'échelle et que l'Autorité ne dispose pas de moyens de mesure des économies d'échelle, l'Autorité demeure cependant d'avis que France Télécom dispose d'importants avantages en matière de structure des coûts grâce à d'importantes économies d'échelle et de gamme dans un modèle économique où les coûts fixes prédominent. L'estimation des parts de marché intégrant les volumes de production interne (cf. ci-dessous) a précisément pour objet de fournir un indicateur quantitatif reflétant des effets d'échelle et de gammes.
S'agissant de l'hypothèse suggérée par France Télécom selon laquelle elle aurait été pénalisée par rapport aux autres opérateurs du fait de ses obligations de service universel, l'Autorité rappelle qu'un fonds de service universel a systématiquement compensé les déséquilibres budgétaires qu'elle a enregistrés pour les efforts de déploiement fournis vis-à-vis des clients non rentables.
Ce fonds compensera encore, à l'avenir, les déséquilibres budgétaires encourus par France Télécom, reconduit dans ses obligations de service universel.