3.3. Conclusion sur la puissance de marché
L'ARCEP considère qu'en l'absence de régulation de la charge de terminaison d'appel SMS, Bouygues Telecom, Orange France et SFR peuvent agir indépendamment des acheteurs sur le marché de la terminaison de SMS et que le système dans lequel leurs clients ne sont pas facturés pour les SMS qu'ils reçoivent n'incite pas ces opérateurs à maintenir des tarifs raisonnables de terminaison d'appel SMS.
En conclusion, l'Autorité estime que Bouygues Telecom, Orange France et SFR détiennent une influence significative sur leur marché de gros respectif de terminaison de SMS sur leur réseau.
Il y a aujourd'hui une impossibilité technique pour un nouvel entrant à rompre le monopole des opérateurs mobiles métropolitains sur leur terminaison d'appel SMS. Il est peu envisageable que cette situation évolue au cours de la période considérée par cette analyse. Néanmoins, si la situation évoluait avant la fin de la période d'analyse, l'Autorité serait amenée à réévaluer la puissance de marché des opérateurs mobiles.
3.4. Prise en compte des contributions aux consultations publiques
sur l'analyse de la puissance de marché
3.4.1. Principales remarques des acteurs sur la puissance de marché
3.4.1.1. Tableau synthétique des contributions à la première consultation publique
concernant la puissance de marché
Le tableau ci-dessous a pour objectif de donner une vision synthétique des contributions reçues par l'ARCEP suite à la première consultation publique qu'elle a lancée. Par nature, ce tableau ne peut pas refléter le sens complet des contributions qui, pour certaines, sont couvertes par le secret des affaires, mais donne une idée du point de vue défendu par chacun.
Les cases non renseignées signifient que le contributeur ne s'est pas prononcé explicitement pour ou contre la proposition de l'Autorité.
Acteurs ayant exprimé un accord avec le point de vue défendu
par l'ARCEP dans son projet d'analyse de marché
3.4.1.2. Sur l'analyse de la puissance de marché
L'Autorité note tout d'abord que plusieurs acteurs, en particulier l'AduF, [SDA], Télé2 et Télégate/le 118000, approuvent l'analyse de la puissance de marché développée par l'ARCEP et que nombre d'entre d'eux ne la contestent pas.
A l'inverse, [SDA] estime qu'il n'y a ni monopole, ni puissance de marché. La société note tout d'abord que les opérateurs mobiles, en tant que premiers acheteurs sur le marché de gros, sont soumis à un contre-pouvoir de leurs concurrents français et étrangers. A ce titre, la société note que les opérateurs mobiles métropolitains, sur l'initiative de Bouygues Telecom, se sont accordés en 2004 sur le principe d'une baisse des tarifs de TA SMS et qu'à l'issue des négociations commerciales une baisse tarifaire minimum de 20 % mi-2005 était acquise, sans intervention du régulateur. Ensuite, selon [SDA], les agrégateurs de SMS ont un véritable pouvoir de négociation que leur confère notamment la qualité de leurs services de contenu et ils disposent d'une menace crédible vis-à-vis d'un opérateur mobile en lui refusant l'accès à ces services pour ses clients s'ils ne parviennent pas à des conditions acceptables. Enfin, la société estime que les clients finals disposent d'un véritable contre-pouvoir sur le marché de détail dans la mesure où ils exercent une forte pression concurrentielle indirecte sur le marché de gros.
Pour sa part, Orange France estime être soumise à un contre-pouvoir d'acheteur de la part des opérateurs mobiles français et étrangers et considère qu'elle ne peut pas être tenue pour responsable de l'absence de développement des services SMS au départ d'Internet et du fixe.
[SDA] conteste quant à elle exercer une influence significative sur le marché de gros identifié par l'Autorité :
- En premier lieu, l'analyse effectuée par l'Autorité ne prend pas en compte la taille et la position concurrentielle particulière de la société sur le marché de la téléphonie mobile, qui expliquent pourtant dans une large mesure son absence d'indépendance de comportement, et donc son absence de puissance significative. Ensuite, la société estime qu'elle est soumise à la présence d'un fort contre-pouvoir d'acheteur, notamment de la part de ses deux concurrents. Enfin, en érigeant le propre réseau de chaque opérateur mobile en marché pertinent, la société indique que l'Autorité s'interdit toute analyse du critère d'absence de concurrence potentielle, pourtant essentiel. A ce titre, la société évoque l'invalidation en appel de la décision du régulateur irlandais qui avait déclaré puissant l'opérateur mobile H3G sur le marché de la terminaison d'appel vocal, en conséquence de quoi, le même raisonnement doit s'appliquer à [SDA] sur le marché de gros défini dans la présente analyse ;
- En second lieu, la société indique [SDA] qu'elle ne dispose d'aucune marge de manoeuvre dans la fixation des tarifs de terminaison SMS, comme l'illustrent par ailleurs [SDA].
Enfin, [SDA], dans sa contribution à la deuxième consultation publique, considère que le pouvoir de marché des opérateurs mobiles concernant leur tarif de terminaison d'appel SMS peut être contesté par les nouveaux entrants à même de fournir des services de messages interpersonnels sur les mobiles.
3.4.2. Réponses de l'Autorité
En réponse aux observations d'Orange France et de [SDA], l'Autorité ne peut que répéter les arguments déjà développés dans la section 3.2 de la présente analyse en faisant trois remarques additionnelles. Tout d'abord, l'Autorité tient à préciser qu'elle ne nie pas que les opérateurs mobiles métropolitains sont soumis à des contre-pouvoirs d'acheteurs, mais elle souligne que ces contre-pouvoirs ne sont pas suffisants pour compenser l'avantage concurrentiel que leur confère l'exploitation de leur réseau lors de la tenue de négociations commerciales. Ensuite, sur le contre-pouvoir exercé par les consommateurs et les agrégateurs de SMS, l'Autorité constate que [SDA] est le seul opérateur mobile à contester formellement ce point. Enfin, les agrégateurs de SMS n'ont manifestement pas la même appréciation que la société de leur supposé pouvoir de négociation. Prosodie note par exemple dans sa contribution que « (...) les opérateurs mobiles ne répondent pas aux attentes des agrégateurs sur la mise en place d'une solution de traitement de la Portabilité des numéros mobiles sur le marché du Push SMS, alors que les opérateurs mobiles terminent le trafic sur les numéros portés en interpersonnel ». MMA France, malgré ses demandes réitérées aux opérateurs pour trouver une solution à ce problème, fait le même constat. De manière plus significative, [SDA] écrit : « De nombreuses négociations bilatérales ont été menées auprès des opérateurs mobiles afin d'obtenir des conditions économiques plus favorables aux facilitateurs ; jusqu'à présent ces négociations n'ont pas débouché sur des efforts suffisants des opérateurs mobiles et donc sur aucun résultat satisfaisant. » Enfin, s'agissant d'une éventuelle contestation du pouvoir de marché des opérateurs mobiles par de nouveaux entrants à même de fournir des services de messages interpersonnels sur les mobiles avancée par [SDA], l'Autorité considère que cette contestation repose sur une substituabilité entre des services que l'Autorité ne considère pas avérée sur la période de validité de l'analyse.
Sur la baisse de 20 % des tarifs de gros de la TA SMS et le contre-pouvoir d'acheteur des opérateurs mobiles entre eux, l'Autorité estime que [SDA], Orange France et, dans une moindre mesure, [SDA] occultent l'importance du cadre réglementaire. A ce titre, l'Autorité rappelle que, si une baisse de 20 % des tarifs de TA SMS entre les trois opérateurs mobiles est bien intervenue le 8 novembre 2005 avec effet rétroactif à compter du 1er juillet 2005, l'origine de cette baisse, comme sa mise en oeuvre, résulte de décisions adoptées par l'Autorité. Si des négociations commerciales ont bien été entamées entre les trois opérateurs mobiles métropolitains, l'Autorité note que ces négociations n'ont abouti à aucun résultat avéré. Non seulement c'est une décision réglementaire qui a fixé le nouveau tarif de TA SMS des trois opérateurs mobiles métropolitains à 4,3 centimes d'euro, mais surtout les négociations commerciales, initiées par Bouygues Telecom, se sont déroulées parallèlement au processus de la présente analyse de marché, engagé en juillet 2004. L'annexe F, basée sur les décisions n°s 2005-0939 et 2005-0930 rendues publiques le 17 novembre 2005, rappelle la chronologie y afférente.
Dans ce cadre, la baisse consentie n'a été en tout état de cause que de 20 %, ce qui peut correspondre à un ajustement « naturel », c'est-à-dire souhaitable y compris pour des monopoleurs, compte tenu de l'évolution des coûts et de la demande au niveau du détail et du SMS Push. Ainsi, la situation réelle de chaque opérateur est bien celle décrite par l'Autorité dans la présente analyse : chaque opérateur mobile est puissant sur sa propre TA SMS, mais ne dispose pas à lui seul d'un contre-pouvoir d'acheteur suffisant pour influer à la baisse sur le niveau de TA SMS de ses deux concurrents.
Prix des SMS unitaires en heure pleine
(Source : ARCEP, 2006)
Enfin, en réponse aux observations spécifiques de [SDA], l'Autorité s'interroge sur la pertinence de la comparaison avec le cas irlandais, les faits et moyens utilisés n'étant pas transposables en l'espèce. La justice irlandaise a en effet critiqué l'absence de toute analyse du contre-pouvoir d'acheteur de l'opérateur historique par le régulateur qui aurait pu contredire la puissance du requérant, nouvel opérateur de troisième génération. A contrario, l'analogie avec l'analyse menée par l'Autorité du marché de gros de la TA vocal sur les réseaux mobiles métropolitains paraît plus pertinente. Ainsi, dans ses décisions n°s 2004-936 à 2004-939 du 9 décembre 2004 portant sur la définition du marché pertinent et l'influence significative exercée par les trois opérateurs mobiles métropolitains sur le marché de gros de la terminaison d'appel vocal sur leur réseau, l'Autorité avait appliqué une méthode semblable et mis en oeuvre un raisonnement similaire que dans la présente analyse. L'Autorité note qu'à l'époque les trois opérateurs, dont [SDA], ont été déclarés puissants, malgré une situation concurrentielle très proche de celle rencontrée aujourd'hui sur le marché de gros de la TA SMS. A ce titre, l'Autorité tient à préciser que, s'il s'agit bien de deux marchés distincts, les marchés de gros de la TA vocal et de la TA SMS sont similaires du point de vue de leur construction.
3.5. Prise en compte de l'avis du Conseil de la concurrence
sur l'analyse de la puissance de marché
3.5.1. Avis du Conseil de la concurrence
Sur l'exercice, par les opérateurs alternatifs, d'une puissance significative sur les marchés pertinents, le Conseil de la concurrence indique dans son avis n° 06-A-05 du 10 mars 2006 précité (§ 19 à 25) :
« 19. Orange France, SFR et Bouygues Telecom sont en position de monopole sur le marché de leurs terminaisons SMS simple et SMS Push respectives, dans la mesure où ils sont les seuls à pouvoir, techniquement et légalement, assurer l'acheminement des SMS à destination de leurs clients sur leurs réseaux.
20. Dans sa recommandation du 11 juillet 2003, la Commission européenne envisage que, même dans le cas de telles positions monopolistiques, la puissance d'un opérateur puisse être limitée par la puissance d'achat des principaux acheteurs.
21. S'agissant de la terminaison SMS simple, les acheteurs de terminaison SMS sur les réseaux mobiles sont les trois opérateurs de téléphonie mobile eux-mêmes et la situation actuelle est marquée par un quasi-équilibre, pour chaque opérateur, entre les charges de terminaison SMS payées et celles encaissées. Cet équilibre vaut tant en volume qu'en valeur, les trois opérateurs pratiquant le même niveau de charge de terminaison SMS. Ainsi, le solde net des flux de charges de terminaison d'appel est quasi nul pour chacun des opérateurs.
22. En cas de hausse unilatérale de la terminaison SMS par l'un des opérateurs, qui romprait cet équilibre et tenterait ainsi de s'assurer un solde positif, le moyen le plus efficace de retrouver un équilibre serait, pour les deux autres opérateurs, de relever également leurs terminaisons SMS. En effet, une éventuelle différenciation tarifaire sur le prix de détail des SMS, à destination de l'opérateur ayant relevé sa charge de terminaison, serait peu efficace compte tenu de la faible lisibilité des tarifs pour les consommateurs. Pour les mêmes raisons, aucun opérateur n'a intérêt à abaisser unilatéralement sa charge de terminaison SMS, et à rendre ainsi son solde négatif, puisqu'il ne pourrait bénéficier d'un effet volume significatif si cette baisse de prix était retransmise à l'appelant par une différenciation des tarifs on-net/off-net.
23. En l'état actuel du marché, il n'existe donc, sur le marché de gros de la terminaison SMS simple, ni un contre-pouvoir des acheteurs ni d'autres leviers concurrentiels susceptibles de diminuer la puissance des opérateurs mobiles en monopole sur la prestation de terminaison SMS sur leurs réseaux. Cette analyse est confirmée par la stabilité du niveau de la terminaison SMS pendant près de six années, seulement rompue par l'intervention du régulateur dans un règlement de différend en novembre 2005, la terminaison SMS étant alors passée de 5,336 centimes à 4,3 centimes.
24. L'ouverture éventuelle de l'accès à la prestation de terminaison SMS simple à d'autres opérateurs que les opérateurs mobiles ne modifierait pas sensiblement cette situation, en raison, d'une part, de la faiblesse des volumes concernés et, d'autre part, des structures de tarification. Les SMS interpersonnels émis depuis des téléphones mobiles représentent en effet 85 % de l'ensemble des SMS reçus sur les mobiles. Par ailleurs, pour ces autres opérateurs émetteurs de SMS à contenus publicitaires ou de services, le poids relatif de la terminaison SMS dans le coût total de la prestation qu'ils offrent est limité, ce qui restreint l'incitation de ces opérateurs à faire baisser les tarifs correspondants. Le constat est le même en ce qui concerne les SMS Push.
25. Eu égard à cette analyse, le Conseil de la concurrence considère qu'Orange, SFR et Bouygues Telecom disposent d'une influence significative sur leur marché de gros respectif de la terminaison, sur leur réseau, des SMS simples et des SMS Push. »
3.5.2. Commentaires de l'Autorité
L'Autorité note que l'analyse développée par le Conseil de la concurrence sur l'influence significative d'Orange France, de SFR et de Bouygues Telecom sur leur marché de gros de la TA SMS est sans équivoque possible et rejoint entièrement celle de l'Autorité, notamment sur l'absence de contre-pouvoir des opérateurs mobiles entre eux (cf. section 3.2.2.2.2).
3.6. Commentaires des autorités réglementaires nationales
et de la Commission européenne
Aucune autorité réglementaire nationale n'a transmis d'observation à l'Autorité.
La Commission européenne n'a pas transmis d'observation à l'Autorité sur cette partie de l'analyse ; elle a ainsi validé le projet de décision notifié.