II-C. - Conclusion sur le périmètre du marché
Au vu de l'analyse qui précède, l'Autorité exclut du périmètre du marché les offres suivantes :
- les offres d'accès large bande proposées par le câble ou les technologies d'accès alternatives au DSL ;
- les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional.
Par ailleurs, l'Autorité considère qu'appartiennent au même marché les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national destinées à fournir des services pour les clients résidentiels et les offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national destinées à fournir des services pour les professionnels, sans que soit précisé a priori leur interface de livraison. Notamment, les offres livrées en ATM et en IP sont incluses dans ce marché.
Enfin, l'Autorité considère que le périmètre géographique du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.
L'Autorité estime donc pertinent de définir le marché des offres de gros d'accès large bande par DSL livrées au niveau national, indépendamment du type de clientèle visée et de l'interface de livraison utilisée. Le périmètre géographique du marché correspond au territoire métropolitain, aux départements d'outre-mer et à Mayotte.
Le marché ainsi délimité n'étant pas listé en annexe de la recommandation de la Commission européenne sur les marchés pertinents susvisée, l'Autorité doit déterminer la pertinence d'une régulation ex ante de ce marché, au moyen de trois critères définis dans cette même recommandation.
II-D. - Analyse de la pertinence du marché de gros
des offres d'accès large bande livrées au niveau national
La Commission prévoit que les autorités réglementaires nationales peuvent identifier des marchés pertinents non listés en annexe de la recommandation susvisée. Pour cela, conformément au point 9 de la recommandation, elles doivent s'assurer que les trois critères cumulatifs suivants sont remplis :
- existence de « barrières élevées et non provisoires à l'entrée, qu'elles soient de nature structurelle, légale ou réglementaire » ;
- prise en compte des seuls « marchés dont la structure ne présage pas d'évolution vers une situation de concurrence effective » ; et
- « incapacité du droit de la concurrence à remédier à lui seul à la ou aux défaillances concernées du marché ».
II-D-1. Premier critère :
la persistance de barrières à l'entrée élevées
Dans la recommandation sur les marchés pertinents précitée, la Commission européenne indique que deux catégories de barrières à l'entrée sont à considérer : les barrières structurelles d'une part, et les barrières légales ou réglementaires d'autre part.
Il n'existe pas en France de dispositions contraignantes ou de mesures administratives qui pourraient avoir un effet significatif sur les conditions d'entrée ou sur la position des opérateurs sur le marché des offres d'accès large bande livrées au niveau national. L'analyse ci-après se limite donc aux barrières de nature structurelle.
Selon la Commission, il y a barrières à l'entrée sur un marché « lorsque, compte tenu du niveau de la demande, l'état de la technologie ainsi que la structure de coûts qui en découle créent des conditions asymétriques entre les opérateurs en place et les nouveaux arrivants, freinant ou empêchant l'entrée sur le marché de ces derniers » (13).
En effet, pour élaborer une offre de gros d'accès large bande livrée au niveau national, un opérateur qui ne détient pas en propre la boucle locale cuivre peut soit acheter des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional soit acheter l'offre de gros d'accès à la boucle locale et à la sous-boucle locale cuivre. S'il achète des offres livrées au niveau régional, il devra déployer ou louer un réseau jusqu'aux noeuds régionaux de livraison du trafic, c'est-à-dire entre une vingtaine et une centaine de sites en fonction de la nature du trafic collecté et de son tarif. S'il opte pour l'offre d'accès à la boucle locale, il devra déployer ou louer un réseau jusqu'aux répartiteurs de France Télécom. La couverture de plusieurs centaines de répartiteurs est nécessaire pour obtenir une couverture homogène des plus grandes agglomérations françaises.
L'examen des stratégies des fournisseurs d'accès à Internet et des opérateurs alternatifs, ainsi que les évolutions du marché entre 2000 et le début de l'année 2005 amènent à conclure que :
- le seul achat d'offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional ne permet pas à un opérateur alternatif de répliquer dans des conditions concurrentielles viables les offres de gros livrées au niveau national par France Télécom.
En effet, l'espace économique entre les offres de gros livrées aux niveaux régional et national est structurellement trop faible pour permettre aux opérateurs alternatifs d'amortir leurs coûts fixes, notamment de système d'information et de service après vente, tout en proposant sur le marché national des conditions tarifaires attractives par rapport à celles proposées par France Télécom aux fournisseurs d'accès à Internet.
Les opérateurs alternatifs concurrents de France Télécom au niveau national doivent ainsi nécessairement dégrouper des répartiteurs, afin d'accroître leur maîtrise de la chaîne de valeur et trouver des marges techniques et tarifaires de différenciation.
Les opérateurs alternatifs ayant mis en oeuvre cette stratégie dégroupent ou estiment nécessaire de dégrouper de l'ordre de 500 sites au minimum ;
- la location d'un réseau, c'est-à-dire l'achat de prestations de collecte, sous forme de liaisons louées par exemple, ne constitue pas en pratique une option économiquement viable.
Seule la construction ou le quasi-achat, sous forme d'IRU, d'un réseau de fibre permet de disposer d'une structure de coûts compatible avec les conditions de concurrence du marché français.
En effet, la location de bande passante augmente significativement les coûts récurrents variables, qui constitue de fait un plancher pour les tarifs de cessions externes ou internes aux opérateurs. Les opérateurs vendant significativement en deçà de leurs coûts récurrents variables de production ne peuvent, en pratique, pas lever les capitaux nécessaires à leur développement. Seuls les opérateurs ayant investi dans leur réseau semblent en mesure de proposer des tarifs compétitifs et supérieurs à leurs coûts variables. Pour ces opérateurs, le fait d'étendre ou de repousser le retour sur les investissements initiaux en infrastructure ne semble pas pénalisant vis-à-vis des marchés financiers. De fait, les principaux opérateurs alternatifs du haut débit ont déployé, ou s'apprêtent à le faire, leur propre réseau pour effectuer du dégroupage, parfois dans une stratégie de co-investissement.
Au vu de ce qui précède, l'Autorité considère que, pour entrer sur le marché français des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national, un opérateur alternatif doit constituer en propre un réseau lui permettant de raccorder les plaques régionales et plusieurs centaines de répartiteurs dégroupés.
L'Autorité estime, suite aux travaux menés dans le cadre du groupe de travail animé par l'Autorité sur l'élaboration d'un modèle de réseau de collecte, que la longueur caractéristique d'un tel réseau national est de l'ordre de 10 000 kilomètres et le coût, dans les conditions actuelles de marché, supérieur à 200 millions d'euros. Cette somme est à mettre en regard de la taille du marché de l'accès haut débit résidentiel (environ 1,5 milliard d'euros par an en 2004), du nombre d'acteurs présents sur ce marché et des perspectives de retour sur investissement qu'il génère. Un tel réseau ne peut être rentabilisé que si un nombre important de clients finals est raccordé, de l'ordre d'environ 15 % du parc total des accès du marché français. Les politiques commerciales et les mouvements de concentration en cours sur le marché français semblent confirmer cet ordre de grandeur.
Si l'on se place du point de vue d'un fournisseur d'accès hypothétique nouvel entrant qui désirerait entrer sur le marché pour lancer une nouvelle offre - le seul point de vue selon lequel on doit se placer, comme le rappelle la communication de la Commission - la nécessaire prise en compte de la dimension progressive d'un déploiement mêlant, impérativement, dégroupage et recours à l'offre livrée au niveau régional, alors même qu'il requiert ab initio la prévision d'investissements considérables de l'ordre de 200 millions d'euros, est un élément déterminant de l'analyse qui a conduit l'Autorité à reconnaître l'existence d'un marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national devant faire l'objet d'une régulation ex ante.
Le temps nécessaire à ce déploiement complexe, combinant deux offres et parfois plusieurs fournisseurs, crée en effet à lui seul une barrière à l'entrée parce qu'il augmente de manière importante encore le risque d'échec de toute stratégie d'entrée. Or, si le risque d'échec est élevé, cela signifie que l'ensemble des investissements effectués notamment dans le dégroupage, comme dans le développement d'une marque par ce fournisseur d'accès à Internet hypothétique, seront des « coûts irrécouvrables ». C'est l'importance et la probabilité que ses investissements soient des « coûts irrécouvrables » qui vont alors, en retour, déterminer directement la décision de cet acteur hypothétique d'entrer sur le marché (14). En cas d'erreur de jugement, il anticipe qu'une large partie de la somme qu'il aura consacrée à son entrée risque d'être perdue. Tout fournisseur d'accès à Internet nouvel entrant devra nécessairement chercher à diminuer ce risque, sauf pour lui à renoncer.
La diminution significative de ce risque requiert qu'il dispose, au premier jour de son entrée, de la possibilité de développer sa marque et sa notoriété, ce qui lui impose d'être présent de manière nationale. En effet, l'expérience de l'Autorité en matière de régulation de l'offre IP/ADSL, notamment en avril 2002, lorsque fut permise la constitution par les fournisseurs d'accès à internet de volumes minimaux de clientèle, a enclenché la sortie de la situation de blocage constatée jusqu'à cette date.
Ainsi, la disponibilité d'une offre livrée au niveau national, simple, sans combinaison des offres de plusieurs opérateurs, permettant à un fournisseur d'accès nouvel entrant hypothétique d'être immédiatement et en tous points du territoire disponible est un aspect déterminant de sa décision d'entrée. Cette disponibilité d'une offre livrée au niveau national unique et « sans coutures » est enfin la seule alternative qui lui assure l'espérance de revenus, mêmes faibles, et la possibilité de se constituer un volume d'abonnés.
Ce volume d'abonnés constituera la base de sa clientèle pour remplir « son réseau », une fois celui-ci en place (par migration), et un actif qui, en cas d'échec, diminuera l'importance de ces coûts irrécouvrables puisqu'il sera transférable. A l'inverse, les investissements dans des réseaux constituent réellement des coûts irrécouvrables et ne permettent pas de constituer un actif transférable, sauf à être compris dans un fonds de commerce.
Il résulte de cette analyse qu'une offre d'accès livrée au niveau national « clés en main », provenant d'un unique fournisseur qui couvre l'ensemble du territoire, est une offre non substituable, du point de vue d'un fournisseur d'accès à internet nouvel entrant hypothétique, pour sa période de démarrage. Elle ne peut être remplacée par la combinaison d'offres de dégroupage et d'offres régionales car celles-ci comportent des coûts de transaction importants.
Plus fondamentalement encore, l'existence même de cette offre est déterminante pour l'abaissement de la barrière à l'entrée. Son absence, en raison de l'importance des coûts irrécouvrables pour pénétrer les marchés de détail, aurait un effet dissuasif absolu qui pourrait bloquer toute velléité d'entrée sur le marché.
Enfin, la barrière à l'entrée qui résulte de l'inévitable progressivité du déploiement d'un réseau associant le dégroupage et les offres régionales n'est pas en outre une contrainte provisoire, même si le recours à cette offre par un nouvel entrant peut, elle, être temporaire. La disparition de cette offre, ou même seulement la modification de ses conditions, par exemple, de manière discriminatoire constituerait pour tout nouvel entrant un obstacle, dont l'effet serait de protéger tous les acteurs en place de la possibilité d'un renouvellement de la concurrence.
Ainsi, il ne fait guère de doute, pour l'Autorité, qu'il existe un marché de gros des offres d'accès large bande au niveau national qui doit être distingué des autres marchés parce que la combinaison des offres de dégroupage et des offres régionales ne peut être substituée, dans le laps de temps nécessaire à une entrée, à une offre d'accès large bande livrée au niveau national, en raison tant des particularités de ces deux autres offres en termes de coûts que de leurs conditions de déploiement effectif.
Enfin, l'Autorité considère que cette conclusion restera valable à l'horizon temporel de l'analyse. Il est en effet relativement peu probable que les tarifs de détail et de gros augmentent sensiblement au cours de cette période. En outre, les mouvements d'intégration verticale observés dans le secteur du haut débit conduiront vraisemblablement les acteurs qui contrôlent les infrastructures à privilégier leurs propres services, induisant de fait une barrière à l'entrée de nouveaux fournisseurs d'accès à Internet sur le marché français ; le mouvement de concentration verticale et horizontale, en induisant une augmentation des parts de marché des acteurs, améliore leur structure de coûts, rendant ainsi plus difficile l'entrée d'un nouvel acteur.
Ainsi, si l'action de l'Autorité sur les marchés du dégroupage et des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau régional favorise le déploiement des réseaux des opérateurs alternatifs, il n'en demeure pas moins que les effets de cette régulation ne porteront leurs fruits qu'à moyen terme et par conséquent, à l'horizon de la présente analyse, le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national comportera toujours des barrières à l'entrée importantes.
L'Autorité conclut ainsi à l'existence de barrières élevées et non provisoires à l'entrée d'un opérateur alternatif sur le marché des offres de gros d'accès large bande livrées au niveau national.