Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997, présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-389 DC)
X. - Sur l'article 19 de la loi déférée
Cet article insère dans le code de procédure pénale un article 78-2-1 qui permet aux officiers et agents de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République, d'entrer dans des lieux privés à usage professionnel pour procéder à certaines vérifications (le plus souvent réservées jusqu'à présent à la compétence des inspecteurs du travail), et notamment au contrôle de l'identité des personnes occupées à des activités professionnelles dans ces locaux.
Même si la discussion parlementaire a permis à la majorité de tenter d'éviter la censure en corrigeant des inconstitutionnalités manifestes (d'une part, en excluant du champ d'application de cette procédure les locaux « mixtes », c'est-à-dire partiellement à usage d'habitation, d'autre part, en prévoyant qu'un procès-verbal est remis à l'intéressé), il reste que l'entrée de la police dans un lieu privé sans l'accord du propriétaire est assimilable à une perquisition et ne peut donc intervenir que dans le cadre de missions de police judiciaire, c'est-à-dire - sauf l'hypothèse d'un flagrant délit - sur commission rogatoire délivrée par un juge d'instruction.
Seul un magistrat du siège peut donc autoriser de telles opérations (décision no 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, quatre-vingt-dixième considérant ; voir aussi le quinzième considérant de la décision no 93-316 DC du 20 janvier 1993). Vainement invoquerait-on en sens contraire la décision no 90-281 DC du 27 décembre 1990, qui admet a contrario que des visites d'entreprises auraient pu n'être placées que sous le contrôle a priori du procureur de la République : ces visites étaient alors effectuées avec l'accord des personnes concernées, ce qui n'est nullement le cas au titre de la disposition critiquée.
Il aurait en outre fallu, pour que cette disposition puisse être considérée comme constitutionnelle, qu'elle « donne au juge le contrôle effectif de la nécessité de procéder à chaque visite ainsi que les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, d'en régler les éventuels incidents et d'y mettre fin à tout moment » (décision no 84-184 DC du 29 décembre 1984, trente-cinquième considérant).
Aucune de ces exigences n'ayant été respectée, l'article 19 de la loi déférée est entaché de violations de la liberté individuelle et du droit de propriété qui appellent sa censure.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les dispositions précitées de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 97-389 DC.)