Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 27 mars 1997, présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 97-389 DC)
Sur l'article 8
Cet article a pour effet d'abroger l'article 18 bis de l'ordonnance,
introduit par la loi du 2 août 1989, et donc de supprimer la commission départementale du séjour des étrangers.
S'il est vrai que la loi du 24 août 1993 n'a laissé à cette commission qu'un rôle strictement consultatif, il est non moins vrai qu'elle est restée le lieu unique, le seul moment, où peut exister un débat contradictoire entre l'autorité administrative et l'étranger.
Cet échange est d'autant plus précieux qu'il n'existe pas de recours juridictionnel suspensif en cas de refus de séjour, de sorte que ce dernier débouche inexorablement sur la nécessité, pour l'étranger concerné, de quitter le territoire national. Ce sont donc bien ses libertés fondamentales qui sont en cause, notamment son droit à mener une vie familiale normale, et c'est dans une procédure intéressant directement ces libertés fondamentales que disparaîtrait une garantie elle-même fondamentale, celle résultant de l'existence d'un débat contradictoire qui n'aurait-il que cette vertu, permet au moins d'éviter ou de diminuer les erreurs de fait ou de droit, fréquentes en ce domaine.
Pour décider cette suppression, les auteurs du texte ont mis en avant deux motifs essentiels : d'une part, les aménagements législatifs décidés par ailleurs diminueraient sensiblement l'activité des commissions, d'autre part, celles-ci rencontreraient des difficultés de fonctionnement, notamment dans les petits départements. Aucun de ces deux arguments ne saurait emporter l'adhésion.
Sur le premier, la pertinence et la nécessité du passage devant les commissions ne se mesurent pas au nombre des cas qu'elles traitent, mais aux erreurs ou aux violations de la loi qu'elles évitent. A cet égard, il est important de savoir que, malgré le caractère strictement consultatif de leurs avis, ceux-ci sont fréquemment suivis par celles des préfectures qui ont compris qu'elles évitaient ainsi des contentieux ultérieurs à l'issue desquels elles verraient souvent leurs décisions annulées. De même est-il éclairant de constater (ne serait-ce qu'en compulsant l'entrée « Titre de séjour » du Dictionnaire permanent du droit des étrangers) le nombre et la variété des annulations fréquemment prononcées lorsqu'il n'a pas été tenu compte de l'avis de la commission saisie : celle-ci, où siège notamment un conseiller de tribunal administratif parfaitement au fait de la jurisprudence, délivre des avis éclairés et compétents. Supprimer ces derniers, au motif trivial qu'ils concerneraient moins de monde qu'auparavant, serait priver les étrangers qui demeurent concernés d'une garantie essentielle et qui n'a plus à prouver son efficacité ni dans la protection de droits fondamentaux, ni dans le concours au respect de la loi. Quant au second argument, les difficultés de fonctionnement dans certains départements, il est évidemment irrecevable. Lorsque la mise en oeuvre d'une garantie pose problème, il appartient aux autorités compétentes de régler le problème, non de supprimer la garantie.
Au demeurant, ce qui est contesté ici n'est pas, en elle-même, la suppression de la commission. Quoi que intrinsèquement regrettable, on aurait pu, à l'extrême, imaginer que les difficultés de fonctionnement alléguées pouvaient faire regarder les inconvénients de cette procédure comme supérieurs à ses avantages, de sorte que, par exemple, on décide de remplacer les commissions départementales par des commissions régionales dans des zones où elles sont rarement saisies. C'eût été alors, sous réserve de l'adéquation du dispositif, remplacer une garantie par une autre qu'on pourrait estimer équivalente.
Mais ce qui n'est pas constitutionnellement admissible, c'est la suppression pure et simple, sans qu'elle s'accompagne de la mise en place d'un dispositif de substitution présentant au moins la même protection de l'Etat de droit et des droits fondamentaux des étrangers concernés, ne fussent-ils, ce qui reste à prouver, qu'en nombre résiduel.
S'agissant de mesures très graves, en ce qu'elles peuvent porter atteinte à des droits constitutionnellement protégés, elles ne peuvent être prises sans que les personnes intéressées puissent être entendues, puissent faire valoir leurs droits de manière contradictoire, sans que cela aboutisse « à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ». Et cette évidence serait encore considérablement aggravée si, par extraordinaire,
n'étaient pas censurés les termes ci-dessus contestés de l'article 7.
L'article 8 ne pourra donc résister à votre censure.