Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 29 novembre 1996 par plus de soixante députés)
I. - Sur le cadre juridique des lois de financement
de la sécurité sociale
Conformément aux dispositions de la loi constitutionnelle du 22 février 1996, la loi organique du 22 juillet 1996 est venue préciser les conditions et réserves encadrant l'élaboration de cette nouvelle catégorie de lois. A ce titre, le législateur organique a notamment introduit, dans le code de la sécurité sociale, un article L.O. 111-3, dont le III institue un mécanisme de prohibition des dispositions étrangères au domaine des lois de financement.
Il prévoit que la loi de financement ne peut contenir, outre celles prévues au I du même article, que des dispositions « affectant directement l'équilibre financier » des régimes ou « améliorant le contrôle du Parlement sur l'application » de ces lois. Le dernier alinéa de l'article L.O. 111-3 précise que « les amendements non conformes aux dispositions du présent article sont irrecevables ».
C'est pour tirer les conséquences de ce nouveau dispositif que les règlements des deux assemblées ont été modifiés par des résolutions que le Conseil constitutionnel a déclarées conformes à la Constitution par ses décisions nos 96-381 DC et 96-382 DC du 14 octobre 1996.
Cet encadrement conduit à s'interroger, d'une part, sur l'étendue du domaine des lois de financement de la sécurité sociale et, d'autre part, sur la procédure suivant laquelle le respect de ces prescriptions doit être assuré. A. - L'étendue du domaine des lois de financement de la sécurité sociale appelle deux types de remarques.
1. En premier lieu, on ne peut manquer de relever, comme cela a été fait lors des travaux préparatoires de la réforme constitutionnelle et de la loi organique, que cet encadrement spécifique du domaine de la loi n'est pas sans précédent en matière budgétaire.
En particulier, la notion d'affectation directe de l'équilibre fait a priori obstacle à ce que soient insérées dans la loi des dispositions qui n'auraient par d'incidence certaine sur l'équilibre présenté. Selon les termes de la Constitution, les dispositions en cause doivent en outre concerner les « conditions générales de l'équilibre financier » de la sécurité sociale. Le Conseil constitutionnel a en effet relié la notion d'équilibre financier des régimes obligatoires de base à celle des « conditions générales » de cet équilibre au sens de l'article 34 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 22 février 1996 (no 96-379 DC du 16 juillet 1996).
Il convient, toutefois, de tenir compte des différences de nature et de structure entre le budget de l'Etat et les comptes sociaux tels qu'ils sont présentés par la loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, le budget de l'Etat est un ensemble de comptes homogènes, qui sont agrégés en recettes et en dépenses dans un « tableau d'équilibre » figurant en fin de première partie, avec un solde général ayant un sens comptable précis, et auquel on se réfère naturellement lorsqu'il est question de « grandes lignes de l'équilibre budgétaire » (décision no 91-298 DC du 24 juillet 1991) ou de « données générales de l'équilibre budgétaire » (décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994).
Dans sa partie chiffrée, qui répond aux 2o, 3o et 4o du I de l'article L.O. 111-3, la loi de financement de la sécurité sociale ne comporte pas, quant à elle, d'état agrégé. Elle retrace les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses selon une présentation qui est logique, mais qui traduit le fait que les termes « la sécurité sociale » recouvrent un ensemble de régimes gérés par des personnes morales indépendantes les unes des autres, dont les dépenses et les recettes ne sont ni substituables ni fongibles : la loi de financement de la sécurité sociale n'est pas gouvernée, comme l'est le budget de l'Etat, par un principe d'unité. Une rigidité supplémentaire résulte de ce que les régimes de sécurité sociale n'ont pas la possibilité d'emprunter,
au-delà du financement de la trésorerie de certains d'entre eux dans les limites fixées conformément au 5o du I de l'article L.O. 111-3.
Ainsi, la recherche de l'équilibre financier de la sécurité sociale prend le plus souvent la forme de mesures ou d'ensemble de mesures concernant tel ou tel régime, voire telle ou telle branche, et plus rarement celle de mesures générales ou « horizontales », comme en connaît la politique budgétaire.
Pour ces raisons, on peut difficilement se contenter, pour apprécier l'incidence de dispositions sur les « conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale », de les rapporter aux masses totales de dépenses et de recettes. C'est même au regard du solde de chacun des régimes que doit être évalué l'impact des dispositions de la loi.
En outre, à la différence de l'équilibre budgétaire, qui s'apprécie dans un cadre annuel en vertu de principe d'annualité, les « conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale » doivent être considérées sur une période qui n'est pas nécessairement limitée à une année. Ceci résulte notamment de la nature spécifique des dépenses, qui pour l'essentiel procèdent de droits à prestations ne pouvant être modifiés que progressivement ou seulement pour les « nouveaux entrants ». Dès lors, des mesures essentielles pour la maîtrise des dépenses, ayant à ce titre un impact important à terme sur les conditions générales de l'équilibre, ont toute leur place dans la loi de financement de la sécurité sociale, même si elles peuvent ne prendre leur plein effet financier que de manière progressive.
2. En second lieu, il convient de souligner que ces prescriptions doivent être appliquées, comme en matière de lois de finances, de manière pragmatique.
A ce titre, il serait logique de transposer la jurisprudence par laquelle le Conseil constitutionnel admet que des dispositions qui, prises isolément,
seraient étrangères au domaine des lois de finances, y soient néanmoins introduites lorsqu'elles constituent, avec d'autres dispositions qui en relèvent, « les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble » (no 85-201 DC du 28 décembre 1985 ; no 95-371 DC du 29 décembre 1995).
Pour rendre effectives les mesures de la loi de financement de la sécurité sociale ayant un impact sur les conditions générales de l'équilibre des régimes de sécurité sociale, il est également légitime d'insérer dans cette même loi des dispositions législatives sans lesquelles ces mesures ne pourraient être appliquées, en raison d'imprécisions, d'incohérences, de contradictions, d'ambiguïtés ou de vides juridiques que seule une disposition de nature législative, entrant en vigueur en même temps que la loi de financement de la sécurité sociale, est susceptible de prévenir.
B. - S'agissant de la procédure suivant laquelle doit être vérifiée la conformité de la loi de financement de la sécurité sociale aux prescriptions de l'article L.O. 111-3, deux hypothèses doivent être distinguées.
La première concerne le projet de loi lui-même et les dispositions de la loi adoptée qui en sont issues : rien ne s'oppose à ce que leur conformité soit soulevée directement devant le Conseil constitutionnel.
Il en va différemment lorsque sont contestées des dispositions ayant pour origine des amendements adoptés au cours de la discussion parlementaire. Il faut, en pareil cas, donner une portée utile à la volonté que le législateur organique a clairement exprimée en en faisant, au dernier alinéa de l'article L.O. 111-3, une question de recevabilité.
Le Conseil constitutionnel pourrait ainsi être conduit à transposer sa jurisprudence qui, s'agissant des articles 40 de la Constitution et 42 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, a considéré que l'irrecevabilité en découlant présente un caractère « absolu » et implique, par suite, un examen systématique de la recevabilité des amendements par chacune des assemblées (no 78-94 DC du 14 juin 1978), ce qui fait obstacle à ce que cette irrecevabilité soit soulevée pour la première fois devant lui (no 80-126 DC du 30 décembre 1980 ; no 83-164 DC du 29 décembre 1983).
On observe à cet égard que le contrôle de la recevabilité des amendements au regard des dispositions du III de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale a été prévu lors de la modification des règlements des assemblées.
Chacune d'entre elles s'est inspirée des dispositions prévalant en matière budgétaire, ce que, on l'a dit, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution après avoir relevé l'analogie avec la procédure d'irrecevabilité découlant de l'article 40.
Il est exact que le mécanisme d'irrecevabilité mis en oeuvre dans les précédents précités semble être tombé quelque peu en désuétude. Et on relève que le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, censuré d'office des « cavaliers budgétaires » issus d'amendements, alors que la question n'avait pas été soulevée devant l'une des assemblées (cf. par exemple, à propos de l'art. 61 de la loi de finances rectificative pour 1989, la décision no 89-270 DC du 29 décembre 1989).
Mais cette situation s'explique sans doute par le mode de rédaction de l'ordonnance du 2 janvier 1959 et par le double rattachement de la prohibition des « cavaliers » à l'article 1er et à l'article 42, seul le second constituant la mise en oeuvre, en matière de lois de finances, de l'irrecevabilité édictée, à l'encontre des initiatives parlementaires, par l'article 40 de la Constitution. L'article 1er pouvant aussi être invoqué et visant de la même manière le projet initial et les amendements, la procédure d'irrecevabilité découlant de l'article 42 ne peut, s'agissant de la contestation des amendements étrangers au domaine des lois de finances, être regardée comme exclusive.
Il en va autrement en l'espèce, où le législateur organique a retenu une option différente : c'est un seul et même article qui définit le domaine des lois de financement de la sécurité sociale et, s'agissant des amendements,
qualifie d'irrecevables ceux qui en méconnaîtraient les prescriptions, sans distinguer selon qu'ils émanent du Gouvernement ou des parlementaires (en ce sens, voir le rappel des travaux préparatoires de la loi organique dans le rapport de M. Gélard sur la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat, annexé au procès-verbal de la séance du 1er octobre 1996, p. 14).
Dans cette logique, le Conseil constitutionnel pourrait considérer que le choix ainsi fait, qui renvoie à des règles procédurales pour assurer le respect des exigences de fond, doit inciter les assemblées à faire preuve de vigilance. Il serait dès lors cohérent, par analogie avec la jurisprudence issue de l'article 40 de la Constitution, de constater que ce dispositif leur laisse une responsabilité essentielle dans l'application du dernier alinéa de l'article L.O. 111-3. Cette analyse devrait conduire à subordonner la possibilité de faire sanctionner cette irrecevabilité au titre de l'article 61 de la Constitution, à condition qu'elle ait été soulevée auparavant devant l'une ou l'autre des deux assemblées.
Si le Conseil constitutionnel retenait cette interprétation, il faudrait en déduire que les parlementaires qui le saisissent en invoquant, à l'encontre d'amendements adoptés en cours de discussion, la méconnaissance des prescriptions de l'article L.O. 111-3 devraient voir leur grief écarté comme irrecevable lorsque cette question n'a pas été soulevée au cours des débats.