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CIRCULAIRE DU PREMIER MINISTRE DU 21 NOVEMBRE 1995 RELATIVE A L'EXPERIMENTATION D'UNE ETUDE D'IMPACT ACCOMPAGNANT LES PROJETS DE LOI ET DE DECRET EN CONSEIL D'ETAT
Paris, le 21 novembre 1995.
Le Premier ministre à Mesdames et Messieurs les ministres et secrétaires d'Etat
Objet : expérimentation d'une étude d'impact accompagnant les projets de loi et de décret en Conseil d'Etat
Références : circulaire du Premier ministre du 2 janvier 1993 relative aux règles d'élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en œuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre ; circulaire du Premier ministre du 19 mai 1995 relative à l'organisation du travail gouvernemental ; circulaire du Premier ministre du 26 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en œuvre de la réforme de l'Etat et des services publics.
Texte abrogé : circulaire du Premier ministre du 27 mai 1993 relative à l'évaluation et à la simplification des formalités administratives.
Dans ma déclaration de politique générale devant le Parlement, j'ai indiqué qu'une des tâches prioritaires du Gouvernement serait d'endiguer la prolifération des textes législatifs et réglementaires qui rend aujourd'hui le droit obscur, instable et, finalement, injuste.
J'ai décidé, dans ma circulaire du 26 juillet dernier, d'expérimenter, à compter du 1er janvier 1996, une véritable étude d'impact accompagnant les projets de loi et les principaux projets de décret.
Cette étude d'impact doit permettre au Parlement, comme au Gouvernement, de légiférer et réglementer à bon escient, en les éclairant, mieux qu'ils ne le sont actuellement, sur la portée et les incidences des projets qui leur sont soumis.
L'objet de la présente circulaire est de définir les modalités de cette expérimentation à laquelle j'attache la plus grande importance. Elle annule et remplace la circulaire du 27 mai 1993 visée ci-dessus.
1. Champ d'application
L'expérimentation se déroulera du l" janvier au 31 décembre 1996
Elle concernera, au cours du premier semestre, l'ensemble des projets de loi, à l'exception des projets de loi de finances. A la fin de cette période, un premier bilan sera dressé par le secrétaire général du Gouvernement et le commissaire à la réforme de l'Etat afin, si nécessaire, d'en ajuster les modalités.
A compter du 1er juillet, elle sera étendue à l'ensemble des décrets réglementaires en Conseil d'Etat.
A la fin de l'année 1996, une évaluation globale sera réalisée en vue de son éventuelle généralisation à l'ensemble des projets de loi et de décret.
2. Contenu de l'étude d'impact
En dépit des instructions permanentes données par mes prédécesseurs, les exposés des motifs des projets de loi et les rapports de présentation des décrets se bornent le plus souvent à un résumé des objectifs généraux poursuivis et à une paraphrase plus ou moins développée des dispositions contenues dans le corps du texte.
Document distinct annexé à l'exposé des motifs ou au rapport de présentation, l'étude d'impact doit, elle, comporter une analyse précise des avantages attendus et des multiples incidences du texte. Toutefois, elle pourra, chaque fois qu'une évaluation quantitative est techniquement impossible, se limiter à une appréciation qualitative.
Elle devra comprendre au moins les rubriques suivantes. Chaque rubrique n'appelle évidemment pas des développements identiques d'un texte à l'autre; dans certains cas, à défaut d'objet, une rubrique pourra être renseignée néant .
2.1. Avantages attendus
L'étude d'impact fera ressortir, de façon à la fois plus claire et plus concrète que cela n'est fait aujourd'hui dans les exposés des motifs et les rapports de présentation, les avantages attendus de l'adoption d'un texte.
Il convient d'abord d'analyser l'état de droit et la situation de fait existants et leurs insuffisances.
Il est nécessaire, en second lieu, d'apporter la démonstration que le ou les objectifs visés ne peuvent pas être atteints par d'autres voies que l'édiction de nouvelles normes juridiques.
Il importe ensuite d'expliciter de la manière la plus concrète possible, et de préférence chiffrée, les bénéfices escomptés de l’adoption des mesures proposées, afin de pouvoir les mettre en balance avec leurs autres incidences et de prévoir d'éventuelles mesures compensatrices pour réduire les inconvénients créés.
2.2. Impact sur l'emploi
Les incidences, directes ou indirectes, en matière d'emploi, des dispositions envisagées doivent être évaluées.
Même légère, cette évaluation devra tenir compte, notamment, des éléments suivants :
Dans la majorité des cas, cette évaluation pourra être réalisée à partir de données existantes (analyse des politiques analogues, travaux d'évaluation antérieurs, dires d'experts, bilan de l'application de mesures semblables à l'étranger).
Pour certaines mesures importantes dont l'impact sur l'emploi est complexe, des investigations plus approfondies seront nécessaires. Diverses méthodes pourront être employées (travaux de modélisation économique, analyse de rentabilité socio-économique, enquêtes qualitatives, expérimentations préalables).
Le ministre délégué pour l'emploi pourra être saisi de toute difficulté d'application de ces instructions. A été constitué à cet effet, auprès de lui, un groupe d'experts du Commissariat général du Plan, de la direction de la prévision et de la direction du budget au ministère de l'économie et des finances et de la direction de l'animation, de la recherche et des études statistiques et de la délégation à l'emploi au ministère du travail et des affaires sociales.
2.3. Impact sur d'autres intérêts généraux
L'impact éventuel du projet de texte sur d'autres intérêts généraux (protection de l'environnement, par exemple) doit faire l'objet d'une appréciation. Celle-ci devra être d'autant plus précise que l'intérêt général en cause est susceptible d'être affecté par le projet.
2.4. Incidences financières
L'étude d'impact doit faire apparaître l'ensemble des incidences financières éventuelles des mesures proposées dans un cadre pluriannuel.
Leur coût global et leurs modalités de financement doivent être explicités.
Leur impact sur le budget de l'Etat de l'année en cours et, le cas échéant, sur ceux des quatre années suivantes doit être précisé en liaison avec le ministère chargé du budget. A partir de ces éléments, ce dernier tiendra à jour une projection budgétaire pluriannuelle.
Les conséquences induites de ces mesures sur les budgets des collectivités territoriales doivent être également explicitées, en précisant si elles se traduiront par des transferts de charges ou la modification de l'équilibre de budgets déjà préparés ou votés.
Enfin, leurs incidences sur les agents économiques, en matière de prix ou de tarifs publics par exemple, doivent être évaluées.
2.5. Impact en termes de formalités administratives
Evaluer l'impact d'un texte en termes de formalités administratives incombant aux entreprises et aux autres catégories d'usagers constitue un impératif absolu.
L'impact, en termes de formalités, sur les organismes administratifs gestionnaires doit être également mesuré.
La commission pour la simplification des formalités (Cosiform) avait proposé à cet effet la rédaction d'une fiche d'impact, dont le modèle a été joint en annexe à la circulaire du 2 janvier 1993 citée en référence. Elle peut toujours servir de guide méthodologique.
2.6. Conséquences en termes de complexité de l'ordonnancement juridique
Conformément aux directives de ma circulaire du 26 juillet dernier, tout projet de texte doit dorénavant être accompagné de propositions d'abrogation de dispositions au moins équivalentes, en termes de niveau de norme et de volume.
L'étude d'impact doit permettre de s'assurer du respect de ce principe :
Cc principe étant respecté, il importera de montrer comment la réforme envisagée contribue à la clarification et à la simplification des règles applicables et, par là, à une meilleure sécurité publique. Dans le cas contraire, il conviendra de justifier la nécessité du surcroît de complexité introduit.
Lorsque le projet de texte comportera des sanctions pénales, la nécessité et la pertinence de celles-ci devront être démontrées. Il conviendra d'établir que l'effectivité des nouvelles règles ne peut être obtenue par d'autres moyens, tels que la mise en œuvre de la responsabilité pécuniaire, de sanctions civiles, disciplinaires ou administratives ou de mesures incitatives. Le quantum de la peine maximale prévue par le texte devra être justifié par référence à des infractions comparables prévues par le code pénal.
L'étude d'impact devra en outre préciser, lorsque la norme proposée a pour objet de modifier une norme existante, le nombre des modifications dont le texte de base a précédemment fait l'objet.
Dans tous les cas, il est souhaitable d'éviter que des modifications multiples d'un texte initial aboutissent à une présentation fragmentée des dispositions en vigueur rendant celles-ci illisibles. De façon générale, une norme nouvelle doit tendre à rendre le droit applicable plus accessible. Dans le cas où des dispositions modificatives multiples s'avéreraient malgré tout nécessaires, un texte consolidé résultant de ces modifications devra être, dans toute la mesure du possible, joint à l'étude d'impact.
Enfin, l'étude d'impact précisera les raisons pour lesquelles le texte est ou non rendu applicable aux départements ou aux territoires d'outre-mer et, en cas d'applicabilité, les conditions de celle-ci (adaptation, respect des procédures consultatives, etc.). En cas de doute à cet égard, il conviendra que vous vous rapprochiez du ministère de l'outre-mer.
2.7. lncidences indirectes et involontaires
Certains textes peuvent avoir des effets autres que ceux qui motivent à titre principal leur adoption.
Ces effets, involontaires ou indirects, peuvent être positîfs ou négatifs. Ils doivent être également analysés et, si possible, quantifiés. Il conviendra en particulier d'identifier d'éventuels effets pervers et d'indiquer les parades envisagées.
3. Procédure
L'étude d'impact devra faire l'objet d'une fiche annexée à l'exposé des motifs des projets de loi et aux rapports de présentation des décrets réglementaires en Conseil d'Etat. Lorsqu'un texte comportera des dispositions indépendantes les unes des autres, comme les projets de loi portant dispositions diverses, chaque disposition ou chaque ensemble cohérent de dispositions devra faire l'objet d'une étude d'impact et donc d'une fiche séparée.
Elle devra être réalisée en amont de la rédaction des textes, puis accompagner ceux-ci tout au long de leur procédure d'adoption: accord préalable par le cabinet du ministre, concertation avec les autres ministères, examen en réunion interministérielle, saisine des organismes consultatifs et transmission au Conseil d'Etat. Elle doit également pouvoir être utilisée lors du bilan de l'application d'un texte ou de l'évaluation d'une procédure.
Ainsi, l'étude d'impact fera désormais partie intégrante du dossier de transmission des textes au Conseil d'Etat, au même titre que les copies des lettres d'accord des ministres intéressés et des comptes rendus des comités ou réunions interministérielles tenus à l'Hôtel Matignon ou que les avis des organismes dont la consultation est obligatoire.
Le secrétaire général du Gouvernement pourra surseoir à la transmission au Conseil d'Etat d'un projet de loi ou de décret et à la signature ou à la publication d'un décret lorsque ces règles n'auront pas été respectées. Pour sa part, le Conseil d'Etat pourra ajourner l'examen d'un projet de texte qui, en violation de ces règles, ne serait pas accompagné d'une étude d'impact conforme aux présentes directives.
Les membres de mon cabinet auront également toute latitude pour ajourner ou reporter une réunion interministérielle consacrée à l'examen d'un texte qui ne serait pas accompagné d'une étude d'impact conforme aux présentes directives. Toutefois, ils pourront accepter une étude d'impact simplifiée en cas d'urgence, l'argument de l'urgence ne devant évidemment pas être invoqué à seule fin de faire échec aux nouvelles obligations.
L'étude d'impact sera transmise par le ministère responsable du texte au commissariat à la réforme de l'Etat avant la saisine du secrétariat général du Gouvernement ou du Conseil d'Etat.
4. Entrée en vigueur
Les règles qui précèdent s'appliqueront aux projets de loi qui seront adressés au secrétariat général du Gouvernement à compter du 1er janvier 1996 et aux projets de décrets réglementaires dont sera saisi le Conseil d'Etat après le 1er juillet 1996.
ALAIN JUPPÉ