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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 1er avril 1996 par soixante et un sénateurs)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 1er avril 1996 par soixante et un sénateurs)

II. - Sur l'article 87


Cette disposition tend à mettre fin à la controverse née de l'interprétation des dispositions de l'article L. 312-8 du code de la consommation, issues de la loi Scrivener du 13 juillet 1979, en matière d'offres de crédit immobilier.
Selon ce texte, l'offre adressée à l'emprunteur en application de l'article L. 312-7 :
« 1o Mentionne l'identité des parties, et éventuellement des cautions déclarées ;
« 2o Précise la nature, l'objet, les modalités du prêt, notamment celles qui sont relatives aux dates et conditions de mise à disposition des fonds ainsi qu'à l'échéancier des amortissements ;
« 3o Indique, outre le montant du crédit susceptible d'être consenti et, le cas échéant, celui de ses fractions périodiquement disponibles, son coût total, son taux défini conformément à l'article L. 313-1 ainsi que, s'il y a lieu, les modalités de l'indexation. » Comme l'a indiqué lors des débats devant l'Assemblée nationale M. Auberger, député, au soutien de l'amendement qu'il présentait à cet effet, ce texte avait fait l'objet, dans un premier temps, d'interprétations ministérielles indiquant que les établissements de crédit pouvaient fournir à leurs clients des informations simplifiées, en ce qui concerne l'échéancier des amortissements.
Par deux arrêts rendus les 16 mars et 20 juillet 1994, la Cour de cassation a démenti cette interprétation et précisé la nature des informations devant figurer à cet égard dans l'offre de prêt.
Soucieux d'éviter la multiplication des difficultés pouvant naître de cette controverse, le législateur a donc adopté les dispositions devenues l'article 87 de la loi déférée, et qui comportent un double aspect.
D'une part, le I répute régulières les offres de prêts émises avant le 31 décembre 1994 au regard des dispositions relatives à l'échéancier des amortissements prévues par le 2o de l'article L. 312-8, dès lors qu'elles ont indiqué le montant des échéances de remboursement du prêt, leur périodicité, leur nombre ou la durée du prêt, ainsi, le cas échéant, que les modalités de leurs variations.
D'autre part, le II explicite pour l'avenir les règles tracées par la Cour de cassation en incluant dans l'article L. 312-8 un 2o bis, aux termes duquel l'offre « comprend un échéancier des amortissements détaillant pour chaque échéance la répartition du remboursement entre le capital et les intérêts ».
Les sénateurs auteurs de la saisine adressent deux types de griefs au I de l'article 87.

A. - Certains de ces griefs n'appellent que de brèves remarques :
1o En premier lieu, c'est en vain que les requérants font état d'une violation, par la disposition contestée, du principe de séparation des pouvoirs.
Sous réserve, en effet, d'une condition tirée de l'intérêt général, sur laquelle des précisions seront fournies ci-après, il est loisible au législateur de modifier rétroactivement, comme lui seul peut le faire, les règles que le juge a pour mission d'appliquer, dès lors :
- que le texte en cause ne permet pas d'infliger des sanctions à titre rétroactif ;
- et qu'il ne porte pas directement atteinte aux décisions de justice passées en force de chose jugée.
Cette dernière condition, qui est au demeurant réputée remplie dans le silence du texte est, en l'espèce, expressément reprise par la disposition contestée.
Le cadre tracé par la jurisprudence issue de la décision no 80-119 DC du 22 juillet 1980 a donc été respecté.
On observera en outre que les moyens que les requérants tirent d'une prétendue méconnaissance des articles 6-1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme sont, en tout état de cause, inopérants : - d'une part, la validation contestée ne porte aucune atteinte à ces stipulations ;
- d'autre part, et surtout, de tels moyens sont sans incidence sur la constitutionnalité d'une loi (décision no 74-54 DC du 15 janvier 1975).
2o En deuxième lieu, l'argumentation tirée de la non-rétroactivité de la loi pénale se heurte directement au principe de nécessité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration de 1789, tel qu'il a été explicité par la décision no 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 : non seulement il est loisible au législateur de décider que des sanctions prévues à raisons d'agissements antérieurs ne s'appliqueront plus à compter de la publication de la loi, mais cette rétroactivité de la loi pénale plus douce résulte elle-même d'une exigence constitutionnelle.
3o En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne saurait davantage retenir l'attention du Conseil constitutionnel.
Celui-ci a en effet déjà écarté un tel moyen, présenté à l'encontre de dispositions rétroactives (décisions no 86-223 DC du 29 décembre 1986 ; no 87-228 DC du 26 juin 1987 ; no 88-250 DC du 29 décembre 1988). Il est, en effet, de la nature même de telles dispositions que soient traités différemment ceux dont les litiges ont été tranchés par les juridictions avant l'intervention du législateur, et ceux dont les instances sont encore pendantes ou n'ont pas été introduites.
4o On relèvera en outre, bien que ce point ne soit pas contesté, que la validation est strictement limitée, conformément aux exigences de la jurisprudence (décision no 95-363 DC du 11 janvier 1995). D'une part, elle ne couvre que le vice concernant l'échéancier des amortissements. D'autre part, elle maintient l'ensemble des autres exigences pesant sur les prêteurs.
Enfin, la loi soumet clairement pour l'avenir les prêteurs aux obligations résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation.
L'essentiel, en réalité, est que cette intervention réponde à un objectif d'intérêt général.

B. - Le Gouvernement entend démontrer que la disposition contestée répond bien à un objectif d'intérêt général.
Sans doute le Conseil constitutionnel a-t-il récemment précisé (décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995) qu'un intérêt financier n'est pas, à lui seul, de nature à caractériser un intérêt général. A fortiori en va-t-il de même si cet intérêt financier n'est pas celui de l'Etat ou d'une autre collectivité publique.
Mais l'article 87-I de la loi adoptée ne méconnaît nullement ces principes. 1o En premier lieu, il convient, pour situer le débat, de souligner que la portée de l'article L. 312-8 du code de la consommation pouvait légitimement prêter à controverse.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi et jusqu'aux arrêts de la Cour de cassation, la portée de la disposition relative à la fourniture, au moment de l'offre de prêt, d'un échéancier des amortissements demeurait incertaine :
cet échéancier devait-il se concevoir comme une simple information sur le montant global des échéances périodiques, sans ventilation des sommes en principal, intérêts et autres accessoires, ou bien devait-il détailler ces sommes pour chaque échéance ? Devant cette incertitude, plusieurs raisons peuvent expliquer que les établissements prêteurs n'aient pas toujours remis à l'emprunteur, avec l'offre de prêt, un échéancier des amortissements : au moment de la remise de l'offre, le tableau d'amortissement ne peut souvent qu'être indicatif, les dates effectives des échéances n'étant pas nécessairement connues, puisque fonction de la date de décaissement du prêt, laquelle peut intervenir avec un décalage de plusieurs mois. Au demeurant, lorsque la loi est entrée en vigueur en 1980, les systèmes informatiques des banques n'étaient pas tous en mesure de produire un tel tableau.
Pour autant, et même si l'attitude des établissements de crédit paraît aujourd'hui critiquable, à la lumière des précisions apportées en 1994 par la Cour de cassation, on ne peut affirmer que, de ce fait, les emprunteurs étaient privés de la possibilité d'apprécier la portée de leurs engagements. En pratique, ils disposaient, très généralement, au moment de l'offre, du montant d'une échéance, du nombre d'échéances, de la périodicité et du taux effectif global applicable à leur opération d'emprunt. Ces différents éléments permettent à l'emprunteur d'évaluer sa charge d'endettement. En revanche, l'ensemble des informations (ventilation entre capital et intérêts, capital restant dû à chaque échéance) figurait en règle générale sur les tableaux d'amortissement remis ultérieurement au client au moment de la signature ou lors de la mise à disposition du prêt.
2o En second lieu, il paraît aujourd'hui clair qu'à défaut des dispositions insérées au I de l'article 87, la multiplication des contentieux qui en résulterait, compte tenu des débats publics qui ont eu lieu sur le sujet du fait même de l'amendement critiqué, ferait tout à la fois peser, sur le système financier, des risques considérables de déstabilisation et, sur les juridictions, des risques d'engorgement.
a) S'agissant du système financier, les risques encourus n'ont rien de théorique.
Potentiellement, ce sont les intérêts relatifs à l'encours non encore amorti des prêts au logement, qu'il s'agisse de prêts libres, de prêts conventionnés, de prêts réglementés, voire de prêts d'épargne logement, qui sont concernés. Par ailleurs, on ne peut exclure que les prêts déjà remboursés puissent eux-mêmes être contestés a posteriori. Rien ne permettra d'empêcher la propagation du risque de contentieux sur l'ensemble des crédits à l'habitation. Une telle remise en cause des opérations menées affecterait l'équilibre du système financier avec des répercussions inévitables sur le reste de l'économie.
A ce stade, il est clair que les pouvoirs publics failliraient à leur mission d'intérêt général en ne prenant pas les mesures nécessaires pour prévenir ce risque de déstabilisation.
b) La multiplication des contentieux à laquelle cette situation risquerait de conduire, en l'absence d'intervention du législateur, aurait également des répercussions sur le fonctionnement du service public de la justice.
Divers indices révèlent en effet l'amorce d'une vague de contentieux. Or,
même si 10 p. 100 seulement des 9 millions d'emprunteurs potentiellement concernés décidaient d'engager une action, c'est près d'un million de dossiers qui devraient être traités par les magistrats, provoquant ainsi un engorgement des juridictions.
Une telle circonstance est également de nature à justifier que le législateur intervienne au nom de l'intérêt général.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de rejeter le recours dirigé contre la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.