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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 24 juin 1996 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-378 DC)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Saisine du Conseil constitutionnel en date du 24 juin 1996 présentée par plus de soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 96-378 DC)

Sur l'article 11 bis A :

Le présent texte a modifié la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 en créant une nouvelle instance intervenant dans le domaine de la liberté de communication.
Les articles 43-1 à 43-3 ainsi insérés dans cette loi sont cependant entachés de plusieurs vices d'inconstitutionnalité.
En effet, le Comité supérieur de la télématique placé auprès du C.S.A. se trouve doté de pouvoirs propres en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution et des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
La procédure mise en place à travers ces dispositions, au-delà d'une certaine complexité, peut conduire à entraver la libre communication des pensées et des opinions, voire à instituer un système d'autorisation préalable.
L'élaboration dans les présentes conditions de règles déontologiques adoptées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et publiées au Journal officiel porte atteinte à la compétence du législateur qui seul peut fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.
D'une part, les pouvoirs ainsi accordés audit comité et au Conseil supérieur de l'audiovisuel concernant l'utilisation, par exemple, du réseau appelé Internet, sont excessivement larges. La loi ne saurait déléguer à une autorité administrative une telle compétence sans indiquer le champ d'application précis de ces règles déontologiques, alors même que ces services sont aujourd'hui dispensés de toute autorisation préalable.
D'autre part, il apparaît quelque peu étonnant qu'un tel comité placé auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour intervenir dans un domaine touchant aux libertés publiques ne voit ni sa composition ni la procédure applicable devant lui définies par la loi.
Enfin, et ce point mérite une attention toute particulière, le Comité supérieur de la télématique aura compétence pour donner un avis sur le respect de ces recommandations déontologiques.
Lequel avis, s'il est défavorable, sera selon l'article L. 43-3 nouveau de nature à permettre la recherche de la responsabilité pénale de son destinataire.
Cet aspect paraît éminemment critiquable.
D'abord, la mise en place de cette procédure complexe de définition d'une déontologie, laquelle servira de base à l'adoption d'avis faisant grief - puisque propres à fonder des poursuites pénales - s'apparente à l'édiction déguisée d'une procédure d'autorisation préalable.
Il est aisé d'imaginer que les conséquences très graves attachées à ces avis contraindront leurs destinataires à n'accepter la connexion de services télématiques ou d'Internet qu'à la condition que ceux-ci soient respectueux desdits avis.
S'agissant, notamment pour les réseaux télématiques ou les réseaux de type Internet, de la libre communication des idées et des opinions, une telle procédure détournée d'autorisation préalable méconnaît tant l'article 34 de la Constitution que les articles 10 et 11 de la déclaration de 1789.
Ensuite, il ne saurait être constitutionnellement admis qu'un avis donné par une instance créée au sein d'une autorité, sans que la composition de l'une et de l'autre soit connue, puisse déclencher d'éventuelles poursuites pénales. S'agissant d'une commission dont les décisions concernent à l'évidence les libertés publiques, sa composition doit nécessairement relever de la compétence du législateur.
Force est même de constater que de tels avis défavorables sont étroitement liés à la loi pénale. C'est en tout état de cause ce qui ressort de la rédaction de l'article L. 43-3, de sorte que ce Comité supérieur de la télématique se trouve en réalité dépositaire d'un pouvoir singulier d'interprétation de la loi pénale et, plus encore, bien que indirectement, de déclenchement des poursuites pénales. Tel que rédigé, ce texte paraît même lier le juge pénal pour la future interprétation qu'il serait appelé à donner en cas de procès.
Encore une fois, le domaine des sanctions administratives doit demeurer strictement distinct de celui des sanctions pénales. Pourtant, en l'occurrence, l'avis dont il s'agit dépasse le cadre du pouvoir de sanction normalement accessible à une autorité administrative.
D'autant plus que ces avis ne respectent aucune des règles constitutionnelles applicables en matière répressive.
A cet égard, le principe de légalité des peines et des délits est méconnu puisque ces avis défavorables, ayant des conséquences pénales, sont pris au motif du non-respect de règles déontologiques dont le contenu est flou,
imprécis, et pour tout dire inconnu.
Rien d'ailleurs n'indique en quoi un tel avis défavorable publié au Journal officiel sera une réponse proportionnée à l'atteinte présumée à une recommandation dont la nature précise n'est pas déterminée.
Quant au droit à un recours effectif et aux droits de la défense, leur violation est également manifeste.
C'est en vain qu'il serait opposé l'existence de voies des recours contre les décisions du C.S.A. Les avis en cause sont adoptés par le Comité supérieur de la télématique sans l'intervention du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Il s'agit donc de l'exercice d'un pouvoir propre contre lequel aucune voie de recours n'a été prévue.
De même, l'absence totale de précisions quant aux droits offerts aux intéressés avant que l'avis, éventuellement défavorable, ne soit prononcé prive ceux-ci de garanties indispensables en cette matière concernant les libertés publiques.
Décidément, les pouvoirs imprécis excessivement étendus donnés à cette instance dont la nature est très floue, en l'absence de toute garantie accordée aux personnes susceptibles d'être ainsi sanctionnées, viole ensemble les articles 34 de la Constitution et les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.
(Liste des signataires : voir décision no 96-378 DC).