IV-1.6. Conclusion
Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'en l'absence de mesure moins contraignante pour France Télécom qui permettrait d'atteindre le même but, les prescriptions ci-dessus sont proportionnées tant aux critères énoncés dans l'article L. 38-V qu'aux objectifs de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques précité, en particulier les 3° et 4°.
IV-2. Obligation de non-discrimination
L'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques tel qu'issu de la loi sur les communications électroniques prévoit que « les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se voir imposer (...) [de] fournir des prestations d'interconnexion ou d'accès dans des conditions non discriminatoires ».
L'article D. 309 du code précise que les obligations de non-discrimination font notamment en sorte que « les opérateurs appliquent des conditions équivalentes dans des circonstances équivalentes aux autres opérateurs fournissant des services équivalents, et qu'ils fournissent aux autres des services et informations dans les mêmes conditions et avec la même qualité que ceux qu'ils assurent pour leurs propres services, ou pour ceux de leurs filiales ou partenaires ».
France Télécom, entreprise intégrée verticalement, intervient sur l'ensemble des marchés de gros d'acheminement de trafic, et sur l'ensemble des marchés de détail sous-jacents, sur l'ensemble desquels, de surcroît, elle exerce une influence significative.
Il est par conséquent nécessaire de garantir que France Télécom n'avantagera pas ses propres services de détail par les moyens qu'elle leur fournit.
Il est de même nécessaire que France Télécom n'avantage pas certains opérateurs, et en particulier ses filiales ou ses partenaires, en leur proposant des offres de gros privilégiées, afin d'exclure ses concurrents les plus directs des marchés de détail et de gros sous-jacents.
Seule une obligation de non-discrimination imposée à France Télécom sur l'ensemble des marchés de gros où elle exerce une influence significative est ainsi à même de garantir l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques, objectif mentionné au 2° de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques.
Cette obligation s'applique notamment aux conditions techniques et tarifaires offertes par voie contractuelle, aux contenus et à la qualité des informations fournies dans les processus mis en oeuvre pour l'accès et l'interconnexion, aux délais de fourniture des offres de gros, ou encore à la qualité de service offerte.
D'une manière plus générale, l'obligation de non-discrimination concerne toutes les prestations d'accès fournies par l'opérateur aux opérateurs tiers sur les marchés de gros pertinents, y compris les prestations qui leur sont associées.
IV-3. Obligation de transparence
L'article L. 38 I (1°) du code précité énonce que « les opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques peuvent se voir imposer, (...) [de] rendre publiques des informations concernant l'interconnexion ou l'accès, (...) ; ».
En d'autres termes, l'opérateur puissant peut se voir imposer, en application de cet article, de fournir l'accès et l'interconnexion dans des conditions transparentes.
Conformément à l'article D. 307-I du code, la transparence consiste ainsi en la mise à disposition de l'ensemble des opérateurs d'informations concernant les processus d'accès et d'interconnexion, qu'il s'agisse d'informations comptables, d'indicateurs de qualité de service, de spécifications techniques, ou d'informations plus générales sur les modalités de fourniture des prestations ou sur les tarifs.
L'influence significative de France Télécom sur l'ensemble des marchés de gros rend les conditions dans lesquelles les opérateurs peuvent s'interconnecter avec elle structurantes pour la viabilité des services qu'ils peuvent proposer.
Il est donc nécessaire que les opérateurs disposent d'une bonne visibilité sur l'architecture technique, économique et tarifaire des offres de gros de France Télécom, afin de garantir l'exercice d'une concurrence effective et loyale dans la fourniture des services de communications électroniques, au bénéfice des utilisateurs, ainsi qu'à l'égalité des conditions de concurrence.
Par ailleurs, l'obligation de transparence apparaît indispensable pour permettre le contrôle de l'obligation de non-discrimination, et ainsi permettre aux opérateurs négociant l'accès avec France Télécom de s'appuyer sur des données de référence publiques.
L'obligation de transparence imposée à France Télécom est ainsi nécessaire et proportionnée aux objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du code, et notamment à ceux cités aux 2°, 4° et 9° de cet article.
En pratique, l'Autorité impose à France Télécom une obligation de transparence au moyen de deux dispositifs.
IV-3.1. Conventions d'interconnexion et d'accès
Les conditions inscrites dans les conventions d'interconnexion et d'accès précisent les conditions techniques et tarifaires offertes par les parties.
France Télécom devra par conséquent informer l'ARCEP de la signature de toutes les conventions d'interconnexion et d'accès et de tout avenant à ces conventions qu'elle signe avec des tiers dans un délai de sept jours à compter de la signature du document, lorsque les prestations concernées sont fournies sur les marchés de gros pertinents de la téléphonie fixe, ou qu'elles leur sont associées.
Cette information permettra à l'Autorité de demander, le cas échéant, à France Télécom de lui transmettre ledit document, en application de l'article L. 34-8 du code des postes et des communications électroniques, afin notamment de lui permettre de contrôler le respect par France Télécom de l'obligation de non-discrimination.
IV-3.2. Informations données aux acteurs
bénéficiant de prestations d'accès et d'interconnexion
Par ailleurs, afin de donner un maximum de visibilité aux acteurs ayant signé avec elle une telle convention d'interconnexion et d'accès, France Télécom devra leur fournir des informations sur les caractéristiques de son réseau, notamment en termes d'architecture, d'interfaces et de dimensionnement.
Conformément aux dispositions de l'article D. 307-III du code, elle devra également informer ces acteurs, dans un préavis raisonnable, de toute évolution de ses conditions techniques et tarifaires des prestations d'interconnexion et d'accès, ainsi que de toute évolution d'architecture de son réseau, en cas d'évolution de nature à contraindre les opérateurs utilisant une des prestations d'interconnexion et d'accès à modifier ou adapter leurs propres installations. Les modalités de ce préavis sont précisées en annexe A à la présente décision.
Cette obligation apparaît essentielle pour permettre aux opérateurs d'anticiper ces évolutions, et ainsi d'avoir une visibilité suffisante de leurs plans d'investissement, condition nécessaire au développement de l'investissement efficace dans les infrastructures.
IV-4. Publication d'indicateurs de qualité de service
Conformément à ses missions qui résultent des objectifs fixés dans les dispositions de l'article L. 32-1 du code, l'Autorité est particulièrement attachée à ce que le développement de la concurrence sur les marchés de la téléphonie fixe améliore l'attractivité des offres de détail, en maintenant notamment une qualité de service élevée dans l'intérêt des consommateurs.
La capacité qu'ont les opérateurs alternatifs de proposer à leurs clients des niveaux de qualité de service satisfaisants (délai de livraison, délai de réparation en cas de panne...) est un paramètre déterminant pour l'établissement d'une concurrence durable sur les marchés de détail, dans le respect des intérêts du consommateur.
Si la qualité de service des offres aval commercialisées par les opérateurs alternatifs dépend de la qualité de leurs propres prestations, elle est également fonction de la qualité des offres de gros achetées auprès de France Télécom à partir desquelles elles sont construites.
Or, une transparence totale sur les conditions techniques et tarifaires des offres peut ne pas s'avérer suffisante pour assurer l'équivalence des conditions de fourniture des prestations.
En particulier, elle ne garantit pas que France Télécom fournisse des offres de gros avec une qualité de service équivalente à celle fournie à ses propres services pour des prestations équivalentes, comme elle doit y veiller conformément à l'obligation de non-discrimination qui lui est imposée.
Ce type de dissymétrie est préjudiciable au fonctionnement du marché, notamment si la qualité de service de l'offre de gros rend impossible la réplication par les opérateurs alternatifs des offres de détail du groupe France Télécom en termes de qualité de service rendu aux clients finals.
En application de l'article D. 307 du code, l'Autorité estime nécessaire d'imposer à France Télécom de publier des informations concernant les conditions de fourniture des prestations d'interconnexion.
L'Autorité considère donc comme proportionné aux objectifs poursuivis, et notamment à ceux de veiller à l'exercice au bénéfice des utilisateurs d'une concurrence effective et loyale, et à la définition de conditions d'accès aux réseaux qui garantissent l'égalité des conditions de concurrence, cités aux 2° et 4° de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, que France Télécom soit astreinte à publier un ensemble d'indicateurs pertinents de qualité de service sur les prestations déterminantes pour la capacité des opérateurs alternatifs à répliquer les offres de détail de France Télécom et permettre ainsi de s'assurer de l'absence de discrimination entre le niveau de service de l'offre de gros et le niveau de services des prestations équivalentes que France Télécom met en oeuvre pour son propre compte.
L'Autorité établira le cas échéant par une décision ultérieure la liste des indicateurs pertinents, au regard notamment des indicateurs que France Télécom élabore déjà pour son propre suivi.
Cette liste pourrait notamment inclure les indicateurs suivants :
- délais de livraison des accès ;
- délais de mise en service de la présélection ;
- taux d'échec à la livraison ;
- délai de rétablissement après une panne.
IV-5. Sélection et présélection du transporteur
IV-5.1. Contexte
France Télécom est tenue, depuis le 1er janvier 1998, de permettre aux abonnés de choisir, via la composition d'un préfixe court, le transporteur de leurs communications appel par appel (« sélection du transporteur appel par appel »), et, depuis le 1er janvier 2000, de leur permettre de faire de même sans changer leur façon de numéroter (« présélection du transporteur »).
Dans un premier temps, seules les communications nationales à destination des numéros géographiques fixes étaient éligibles à la sélection et à la présélection du transporteur.
L'extension de ces mécanismes aux appels fixes vers mobiles puis aux appels locaux a respectivement été mise en oeuvre en novembre 2000 et en janvier 2002.
Les conditions de fourniture et les modalités des prestations d'accès fournies à cet effet par France Télécom sont précisées dans les décisions n° 97-345, n° 99-490, n° 99-1077 et 2001-691 susvisées de l'Autorité.
IV-5.2. Obligation de fournir les prestations d'accès
nécessaires à la sélection du transporteur
L'article L. 38-II du code des postes et des communications électroniques, qui transpose l'article 19 de la directive « service universel », précise que « les opérateurs réputés exercer une influence significative sur le marché du raccordement aux réseaux téléphoniques fixes ouverts au public sont tenus de fournir à tout opérateur les prestations d'interconnexion et d'accès nécessaires pour que leurs abonnés puissent, à un tarif raisonnable, présélectionner le service téléphonique au public de cet opérateur et écarter, appel par appel, tout choix de présélection en composant un préfixe court ; les tarifs de ces prestations reflètent les coûts correspondants ».
Ainsi que le révèle l'analyse menée par l'Autorité, France Télécom exerce une influence significative sur l'ensemble des marchés de détail de l'accès, auxquels renvoie l'expression « marché du raccordement » (58) de l'article L. 38-II précité.
Les mécanismes de la sélection du transporteur appel par appel et de la présélection apparaissent effectivement comme nécessaires et complémentaires en l'absence de concurrence effective sur les marchés de l'accès. Ces mécanismes forment actuellement la base du développement de la concurrence observé sur le marché des communications en bande étroite.
Ils permettent en effet à l'usager final de disposer en toute transparence, sans changer sa façon de numéroter, d'un choix alternatif à France Télécom pour l'acheminement de l'ensemble de ses communications, tout en ayant la possibilité de choisir ponctuellement, et par exemple pour un certain type d'appels seulement, un autre opérateur pour bénéficier de conditions plus avantageuses.
L'Autorité impose donc à France Télécom, puissante sur le marché du raccordement aux réseaux téléphoniques fixes ouverts au public, de fournir, sur l'ensemble du territoire d'analyse, les prestations d'interconnexion et d'accès nécessaires à la sélection du transporteur et à la présélection. En application de l'article L. 38-II, France Télécom doit fournir ces prestations à des tarifs reflétant les coûts correspondants.