III-3.5.1.2. Sur le segment de marché des services de plus de 10 Mbit/s
France Télécom est propriétaire d'une infrastructure d'accès aux clients sur le segment terminal difficile à dupliquer de manière rentable, utilisée notamment pour fournir des services de capacités de détail avec des débits supérieurs à 10 Mbit/s : il s'agit de l'ensemble de ses boucles locales optiques sur le territoire et des fourreaux d'accès aux sites clients. A l'inverse, pour les opérateurs entrants, le déploiement de boucles de collecte optique intra-agglomérations puis de boucles métropolitaines de raccordement des sites en optique représente une barrière à l'entrée économique structurelle, durable, en dehors des zones très denses (couverture ne leur permettant plus de capter une part significative du marché potentiel).
Depuis l'année 2001 et le retournement du financement par les marchés financiers des investissements dans les télécommunications, les déploiements de nouvelles boucles métropolitaines optiques d'opérateurs entrants raccordant des sites d'entreprise se sont arrêtés en France ; les opérateurs se contentent de raccorder des sites très proches de leur boucle pour densifier la couverture des zones.
Figure 4 : Déploiement MAN / offres de gros FT / offres de détail FT
III-3.5.2. Présence d'importantes économies d'échelle et de gamme
Les économies d'échelle et de gamme explicitées sur le marché de détail sont transposables sur les marchés du segment terminal (cf. III-2.6.2). En particulier, France Télécom a des volumes de production bien supérieurs à celles de ses concurrents. En outre, il bénéficie d'économies de gamme supérieures à ses concurrents : le partage des coûts fixes du réseau d'accès se fait sur une gamme plus étendue d'offres de détail et de gros.
III-3.5.3. Avantages du précurseur
Les opérateurs acheteurs de produits sur le segment terminal sont souvent prioritairement clients de France Télécom et encourent un coût de changement d'opérateurs élevé, notamment lorsqu'ils ont recours à une offre de référence (de type tronc-feuille).
En effet, la souscription à des offres de référence suppose des volumes de commande importants sur un brasseur pour couvrir les coûts fixes d'achat de prestations connexes entre son POP et le brasseur de France Télécom (que ce soit les LA de l'architecture d'interconnexion de liaisons louées ou les troncs de TDSL ou de CE2O) et les coûts internes financiers et humains dans le processus de mise en place de l'interconnexion avec France Télécom (mobilisation d'équipes de techniciens, tests techniques, coûts de système d'information).
Une fois ces coûts fixes engagés, l'opérateur a intérêt à concentrer le plus grand nombre possible de LPT ou de feuilles TDSL ou CE2O sur le brasseur où il est raccordé pour optimiser les économies d'échelle procurées par l'architecture d'interconnexion avec France Télécom. Ensuite il est naturellement réticent à changer d'opérateur sur une zone donnée.
III-3.6. Conclusion sur l'influence significative sur le marché de gros du segment terminal
France Télécom dispose d'une influence significative sur le marché de gros du segment terminal.
III-4. INFLUENCE SIGNIFICATIVE DE FRANCE TÉLÉCOM
SUR LES MARCHÉS DU CIRCUIT INTERURBAIN
Pour un opérateur entrant, l'intensité des goulots d'étranglement sur le circuit interurbain est différente selon que l'on cherche à fournir une capacité entre points se situant à l'intérieur d'un même territoire (notamment à l'intérieur de la métropole) ou entre des points situés dans des territoires différents (notamment entre la métropole et les départements et collectivités territoriales d'outre-mer).
L'analyse a été conduite en métropole pour le marché intra-territorial. L'Autorité considère que ses conclusions sont identiques à l'intérieur des départements d'outre-mer et de Mayotte.
III-5. IDENTIFICATION D'UN OPÉRATEUR PUISSANT
SUR LES MARCHÉS DU CIRCUIT INTERURBAIN INTRA-TERRITORIAL
III-5.1. Analyse de la demande potentielle sur le circuit interurbain en métropole
La demande sur le circuit interurbain émane de trois types d'opérateurs aux caractéristiques différentes.
Le premier type de demande provient des opérateurs fixes à dominante « transporteur longue distance », qui se déploient progressivement sur le territoire, principalement au niveau du réseau dorsal depuis l'ouverture du marché en 1998.
Le second type de demande provient des opérateurs fixes à dominante « opérateur de boucle locale » qui ont déployé plusieurs plaques régionales sur le territoire et qui souhaitent les raccorder entre elles pour constituer leur propre réseau dorsal.
Le troisième type de demande émane des opérateurs mobiles qui ont des besoins de capacités pour constituer leur propre réseau dorsal : ces besoins se partagent entre le circuit interurbain (raccordement d'une soixantaine de MSC, raccordement des MSC avec des points de concentration, partie du raccordement des BTS aux MSC) et le segment terminal (raccordement des BTS aux MSC). La particularité des besoins des opérateurs mobiles est leur grande dispersion sur l'ensemble du territoire.
III-5.2. Fonctionnement du marché et concurrence potentielle
III-5.2.1. L'opérateur historique
L'opérateur historique dispose sur le circuit interurbain d'un réseau dorsal composé de 300 noeuds de réseau sur le territoire pour les besoins de transport des différents types de services de capacités. Sur ces noeuds de réseau, environ 275 sont des brasseurs ATM (servant au transport des services de capacités avec interfaces alternatives) et 250 brasseurs de liaisons louées du réseau RTNM. Ces brasseurs jouent un rôle actif dans le brassage des liaisons louées jusqu'à 2 Mbit/s et n*2 Mbit/s. En outre, sur ces 250 brasseurs de liaisons louées, 150 sont ouverts à l'interconnexion pour les liaisons louées d'interconnexion très haut débit (34 et 155 Mbit/s).
La seule offre spécifique commercialisée par France Télécom sur le circuit interurbain intra-territorial en métropole est l'offre « VPN HD » « backbone » entre les 22 plus grandes agglomérations (soit 48 noeuds).
III-5.2.2. Les opérateurs entrants
Les opérateurs nouveaux entrants actifs sur le marché du circuit interurbain sont ceux qui ont déployé des réseaux dorsaux sur le territoire.
Il y a deux types d'opérateurs entrants actifs comme fournisseurs sur le marché du circuit interurbain :
- les premiers sont les opérateurs intégrés verticalement sur des marchés de détail. Ils ont déployé un réseau dorsal plus ou moins capillaire sur le territoire afin de chercher une duplication des infrastructures de France Télécom afin de payer le minimum de coût d'interconnexion ou d'accès à France Télécom pour leurs propres besoins, de profiter au maximum des économies d'échelle et de gamme que peut leur procurer un réseau capillaire et ne négligent pas également la source de revenus procurés par la vente de services de gros aux opérateurs moins déployés ;
- les seconds acteurs présents sur ce marché sont les opérateurs d'opérateurs, présents quasi exclusivement sur le marché du circuit interurbain. La plupart ont une activité en France réduite entre des villes comme Paris, Lyon et Lille qui sont des noeuds des capacités internationales qu'ils commercialisent (Level 3, Global Crossing). Mais, deux opérateurs ont une activité à l'intérieur du territoire français : il s'agit de Cogent (ex-Lambdanet) et, dans une moindre mesure, Télia (qui a tendance à se replier à l'international). Ce faible développement de ce type d'opérateurs peut également être interprété comme un faible facteur de concurrence sur le marché.
III-5.3. Parts de marché et autres indicateurs de concurrence
Sur le marché libre de gros du circuit interurbain, les parts de marché des opérateurs ont évolué de la manière suivante :
La part de marché de France était en 2004 supérieure à 60 % en valeur. Les réponses au questionnaire de 2006, basé sur une typologie différente, font apparaître une part de marché estimée de France Télécom supérieure à 70 % pour l'année 2005.
France Télécom, dans sa réponse à la première consultation publique, estime que le marché libre du « backbone » représentait en 2004 2 589 liens, dont 926 pour France Télécom. L'opérateur en déduit que sa part de marché n'est pas de 61,9 % mais de 36 %.
Tout d'abord l'estimation du parc à 2 589 liens repose sur des hypothèses très incertaines.
Ensuite, le périmètre sur lequel France Télécom conduit son calcul n'est pas celui du marché du circuit interurbain tel qu'il est défini dans cette analyse de marché (après vérification auprès de l'opérateur, son calcul ne tient compte que des liens supérieurs à 10 Mbit/s, en outre il inclut les fibres noires et les liens POP-NRA qui sont hors marché).
Enfin, le parc de 2 589 liens est très sensiblement différent de celui fourni par France Télécom précédemment. En 2004, dans le cadre cette analyse de marché, France Télécom avait fourni un parc pour le « backbone ». Celui-ci se décomposait en « LL ETSI < 2M », « LL ETSI > 2M », « LL hors ETSI < 2M », « LL hors ETSI > 2M ». Pour le marché libre, la dernière catégorie était nulle. Elle semble maintenant être évaluée à plus de 2000, et ce pour la même année 2004.
Les nouvelles informations fournies par France Télécom laissent supposer que la part de marché de 61,9 % est une sous-estimation, puisque cette valeur n'incluait pas le chiffre d'affaires réalisé sur les « LL hors ETSI > 2M », qui semble être conséquent.
III-5.4. Avantages concurrentiels
III-5.4.1. France Télécom dispose d'une infrastructure difficile à dupliquer
France Télécom possède une infrastructure difficile à dupliquer sur l'ensemble du territoire reliant ses brasseurs ATM et de liaisons louées. C'est une barrière à l'entrée économique restant forte pour les opérateurs entrants. Cette infrastructure a bénéficié des économies d'échelle et de gamme qui ont rendu ce déploiement réalisable.
L'infrastructure de France Télécom sur le circuit interurbain a été dupliquée entre les principales agglomérations notamment par 9Cegetel. Dans une vision prospective, on peut considérer que les conditions de demande avec une intensification des besoins dans de nouvelles agglomérations (montée des volumes de trafics transportés) et l'amélioration des conditions d'offres avec le déploiement du réseau de fibre optique du RTE et de certains projets de collectivités territoriales permettra d'élargir le périmètre de déploiement viable des opérateurs.
III-5.4.2. Economie d'échelle et de gamme
Les économies d'échelle et de gamme explicitées sur le marché de détail sont transposables sur les marchés du segment terminal (cf. III-2.6.2). En particulier, France Télécom a des volumes de production bien supérieurs à ceux de ses concurrents. En outre, il bénéficie d'économies de gamme supérieures à ses concurrents : le partage des coûts fixes du réseau d'accès se fait sur une gamme plus étendue d'offres de détail et de gros.
III-5.5. Conclusion sur l'influence significative
France Télécom dispose d'une influence significative sur les marchés du circuit interurbain intra-territorial.
Depuis août 2005, les deux principaux concurrents de France Télécom sur ce marché en métropole, 9 Télécom et Cegetel, ont fusionné. Toutefois, les parts de marché cumulées des années 2001-2004 sont inférieures, en tout état de cause, à 30 %. En outre, les sociétés concernées estiment que les synergies attendues ne se matérialiseront pleinement qu'en 2007 (37). Enfin, eu égard à l'examen des critères qualitatifs réalisé supra, qui permettent d'apprécier la signification des parts de marché, il apparaît que France Télécom dispose encore de sérieux avantages sur ce marché, en particulier en ce qui concerne les économies d'échelle ou de gamme, qui lui permettent d'agir indépendamment de ses concurrents.
L'Autorité estime qu'une telle opération ne devrait pas substantiellement modifier le fonctionnement du marché dans les trois années à venir. D'autre part, les réseaux déployés par les collectivités et les sociétés d'autoroute auront un impact à long terme sur le fonctionnement du marché, mais pas à court terme. Dans le cas contraire, l'Autorité anticiperait le renouvellement de la présente analyse des marchés des liaisons louées pour adapter ses conclusions, comme le prévoit l'article D. 301 du CPCE.