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Article (Avis de la Commission des participations et des transferts relatif à un apport d'actifs de DCN International à une société commune avec Thales)

Article (Avis de la Commission des participations et des transferts relatif à un apport d'actifs de DCN International à une société commune avec Thales)


La commission émet l'avis suivant :
I. - Par lettre en date du 8 avril 2002, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a saisi la commission, en application de l'article 3 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 modifiée relative aux modalités des privatisations, en vue de la mise en oeuvre d'un apport d'actifs de DCN International à une société commune au sein de laquelle Thales et DCN International doivent regrouper leurs capacités de commercialisation et de maîtrise d'oeuvre de navires et de systèmes de combat.
L'article 65-I de la loi de finances rectificative pour 2000 du 30 décembre 2000 susvisée a prévu en effet que le transfert au secteur privé de tout ou partie des actifs de l'entreprise publique DCN International serait effectué conformément aux dispositions du titre II de la loi du 6 août 1986.
Aux termes des dispositions de l'article 4 de ladite loi, la procédure suivie dans cette opération étant celle d'une cession de gré à gré dans le cadre d'un « accord de coopération industrielle, commerciale ou financière », la commission est appelée à rendre un avis, dont la conformité est requise, sur le choix de l'acquéreur et sur l'ensemble des conditions de sa prise de participation.
En application de l'article 1er (1°) du décret n° 93-1041 du 3 septembre 1993 modifié pris pour l'application de la loi n° 86-912 du 6 août 1986, un avis relatif au projet de constitution d'une société commune de commercialisation et de maîtrise d'oeuvre entre DCN International et Thales a été publié au Journal officiel du 10 avril 2002. La commission a été informée que cette publication n'a pas suscité de réaction.
II. - La DCN (anciennement Direction des constructions navales) est le premier constructeur naval militaire européen. Créée à l'origine pour satisfaire les besoins de la marine nationale, la DCN a développé son activité à l'exportation qui représente désormais près de 30 % de son chiffre d'affaires. Elle emploie 15 000 personnes et a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de 1,6 milliard d'euros.
La DCN propose une gamme large de produits qui va des bâtiments de surface et sous-marins aux systèmes de combat. Son chiffre d'affaires avec la marine nationale, pour qui elle fabrique notamment les sous-marins à propulsion nucléaire, est réparti également entre la livraison de bâtiments neufs et la maintenance des navires existants. La réduction des programmes nationaux au cours des dix dernières années a affecté le volume d'activités de la DCN et les conditions de sa rentabilité. La DCN, dont l'expertise technique est reconnue, propose à l'exportation une offre centrée sur des navires de moyen tonnage (frégates La Fayette), des sous-marins conventionnels produits en association avec le constructeur espagnol Izar, et des torpilles légères réalisées par un GIE qui associe Thales et le groupe italien Wass. Des perspectives importantes sont attendues de la coopération avec Thales pour le développement d'un système de traitement de l'information.

La réforme du statut de la DCN, qui n'avait pas de personnalité juridique propre, est menée depuis le début des années 1990, en vue de l'adapter à la concurrence internationale et de lui permettre de conclure les alliances nécessaires à son développement. Les principales étapes de cette réforme ont été les suivantes :
- création en 1990 de DCN International, société détenue intégralement par l'Etat, afin de regrouper les fonctions commerciales à l'exportation de la DCN ;
- transfert en 1997 de la maîtrise d'ouvrage pour le compte de l'Etat à la délégation générale pour l'armement en vue de recentrer la DCN sur ses activités industrielles ;
- transformation en 2000 de la DCN en service à compétence nationale dépendant directement du ministre de la défense. Dans le même temps, la DCN a été réorganisée en trois branches d'activités (constructions neuves, systèmes de combat et maintenance) et dotée de méthodes de gestion adaptées ;
- l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 susvisée prévoit enfin d'ici à 2003 la transformation de la DCN en société commerciale. A cette fin, une société intermédiaire, DCN Développement, a été constituée en février 2002.
III. - Le groupe Thales appartient au secteur de l'électronique professionnelle. Il est présent dans l'aéronautique (18 % de son chiffre d'affaires), la défense (56 %) et les technologies de l'information et les services (26 %).
La défense constitue le premier pôle de Thales et parmi celle-ci les activités navales, presque exclusivement orientées à l'exportation, en représentent environ 20 %. Thales Naval assure la maîtrise d'oeuvre d'ensemble de navires et est un acteur de premier plan dans les systèmes de combats. Thales Naval a une position particulièrement forte dans les radars, les sonars et les systèmes de traitement de l'information.
Le principal actionnaire de Thales est l'Etat français qui y détient moins de 33 % du capital mais plus de 40 % des droits de vote.
IV. - Par un protocole en date du 14 mars 2001, l'Etat et Thales ont formalisé leur intention de créer une société commune regroupant les activités de DCN International et de Thales en matière de commercialisation et de maîtrise d'oeuvre pour les activités navales militaires à l'exportation, pour les programmes en coopération et, sur décision préalable de l'Etat, pour certains programmes nationaux ayant un potentiel d'exportation. La société commune n'est pas compétente pour les programmes purement nationaux.
Les contrats définitifs, signés le 3 avril 2002 entre l'Etat, DCN International, DCN Développement, Thales et Thales Naval S.A., se composent :
- d'un accord-cadre organisant la mise en place et le fonctionnement de la société commune ainsi que les relations entre ses actionnaires ;
- d'un accord industriel et commercial précisant les conditions d'activité de la société commune, les mécanismes de coopération entre les parties et les règles relatives à la propriété industrielle.
D'un point de vue juridique, la constitution de la société commune prendra la forme d'une prise de participation de DCN International dans une société ad hoc filiale de Thales Naval SA. Les deux groupes effectueront leurs apports respectifs à cette société commune et en détiendront chacun 50 % du capital. Les apports sont constitués comme suit :
- DCN International : éléments de fonds de commerce précisés au point V du présent avis, participations dans des sociétés communes préexistantes et personnels correspondants ;
- Thales Naval SA : éléments de fonds de commerce précisés au point V, participations dans des sociétés communes préexistantes et personnels correspondants, apport en numéraire d'un montant de 70,126 millions d'euros effectué en deux versements.
La participation de DCN International dans la société commune est destinée à être détenue, directement ou indirectement, par DCN Développement. Les titres de la société commune sont inaliénables à l'égard des tiers durant toute la durée de l'accord.
Aux termes de l'accord-cadre, l'Etat bénéficie d'une promesse de vente par Thales Naval SA de sa participation dans la société commune. Cette promesse peut être exercée par l'Etat en cas de situation de blocage, et sans conditions à l'issue d'une période initiale. Les méthodes de calcul du prix seront, dans cette éventualité, les mêmes méthodes que celles retenues lors des apports. Thales Naval SA, disposera du droit de surenchérir ; DCN Développement pourra à ce prix soit acquérir la participation détenue par Thales Naval SA, soit lui céder la sienne. En cas de cession, l'actionnaire cédant bénéficiera de la rétrocession des éléments qu'il avait apportés à la société commune.
La société commune est constituée sous forme de société anonyme à conseil de surveillance et directoire composés paritairement. Le président du conseil de surveillance sera choisi parmi les membres proposés par DCN Développement et le président du directoire sera proposé par Thales Naval SA. Des procédures sont prévues pour régler les éventuels différends, le cas échéant par convocation de l'assemblée générale.
V. - Le fonds de commerce de la société commune est défini comme suit :
a) DCN et Thales naval SA réservent à la société commune la commercialisation de tous leurs programmes à l'exportation ou en coopération concernant :
- les navires militaires, les centres de commandement d'opérations navales et les systèmes de surveillance et de défense côtière ;
- les systèmes de combat ;
- les sous-systèmes d'information et d'aide au commandement ainsi que de lutte sous la mer pour bâtiments de surface ;
- les logiciels et équipements de traitement de l'information.
La société commune pourra également, mais sans exclusivité, commercialiser certains systèmes et équipements. Des produits sont explicitement exclus du champ de la société commune : il s'agit des systèmes de torpilles et de mines, de lutte antitorpilles et des équipements de patrouille maritime.
S'agissant des produits inclus dans l'accord, la société commune a la responsabilité de l'ensemble des tâches relevant de l'action commerciale. Elle assure de plus la maîtrise d'oeuvre d'ensemble des navires, c'est-à-dire la gestion des relations avec les clients et les principaux sous-traitants, en assumant la responsabilité globale du projet. La société commune sous-traitera en un lot unique à DCN la maîtrise d'oeuvre des bâtiments aux-mêmes. Dans le cas des systèmes de combat, la maîtrise d'oeuvre sera partagée entre DCN et Thales, la société commune assurant la coordination.
L'accord industriel définit par ailleurs les conditions dans lesquelles la société commune pourra s'approvisionner auprès de DCN et de Thales.
b) La société commune disposera pour les contrats concernant des navires militaires d'un accès exclusif au soutien du réseau commercial de Thales (regroupé dans Thales International SA), sauf dans les pays où le groupe Thales est fortement implanté sous forme de filiales, parfois en coopération avec des industriels locaux, qui ne sont pas parties à l'accord.
Pour les autres produits inclus dans l'accord, la société commune disposera du droit d'accès exclusif, sauf dans des pays où est implanté Thales. Dans certains cas toutefois, le soutien de Thales International sera décidé par un comité paritaire.
En vue de protéger le fonds de commerce de la société commune, Thales et l'Etat sont convenus de limiter leur droit de s'établir dans les différentes zones. L'accord de la société commune pourra être requis pour les nouveaux établissements des deux parties dans certains pays.
VI. - Conformément à la loi, la commission a examiné les conditions financières de l'accord et a notamment disposé à cette fin du rapport d'évaluation établi par la banque conseil de l'Etat et d'un dossier d'évaluation établi par Thales.
Les éléments de fonds de commerce apportés par les parties à la société commune consistent dans les perspectives d'obtention de contrats, identifiées en commun. Les contrats existants ne font pas partie des apports, à l'exception du programme de frégates Horizon. La valeur des contrats apportés est pondérée par la probabilité que l'appel d'offres soit effectivement lancé par le client et par la probabilité que la société commune remporte le contrat. Sur cette base, le plan d'affaires de la société commune a été construit jusqu'en 2006.
La banque conseil et Thales ont procédé à l'évaluation des éléments de fonds de commerce appoirtés par les parties sur la base de l'actualisation des flux futurs de trésorerie disponibles sur la période 2002-2006 et d'une année terminale normative.
Il en résulte que les éléments de fonds de commerce apportés par DCN International ont une valeur globale supérieure à ceux apportés par Thales Naval France. La banque conseil a exprimé par une fourchette ce différentiel de valeur. Elle conclut que le montant versé en numéraire par Thales se situe à l'intérieur de cette fourchette.
VII. - La commission a procédé à l'examen de l'accord industriel et commercial. Elle observe que cet accord devrait permettre à DCN de renforcer sa présence sur les futurs grands contrats à l'exportation, en s'appuyant sur un partenaire qui dispose de capacités commerciales reconnues et notamment d'un réseau bien implanté à l'étranger. L'accord est de nature à améliorer les conditions des offres qui seront présentées par la société commune, l'équilibre des contrats conclus et le respect des prévisions de coût. Par l'incitation à un renforcement de la productivité de DCN, il participe à la création de conditions de gestion favorables à la mise en place d'un statut de société de droit commun pour la DCN qui, suivant la décision du Gouvernement, doit intervenir d'ici 2003. Dans ce cadre, DCN doit pouvoir valoriser ses compétences techniques.
La commission note également que l'accord se situe dans le contexte d'une coopération déjà ancienne entre les groupes DCN et Thales et qu'il prévoit un renforcement de cette coopération à travers la conception de certains produits en commun. L'accord est de nature à approfondir la complémentarité et les synergies entre les deux groupes.
La création d'une société nouvelle par des apports d'actifs incorporels (en dehors du contrat Horizon et du numéraire) donne un caractère particulier à l'évaluation de ces apports. L'absence d'apports corporels significatifs autres que les versements en espèces de Thales ne permet pas d'appliquer des méthodes fondées sur l'actif net. Par ailleurs, il n'existe pas de société cotée comparable à la société commune, c'est-à-dire ayant une vocation exclusivement commerciale et de maîtrise d'oeuvre et soumise à un régime complexe quant à son activité géographique. L'actualisation des flux de trésorerie, fondée elle-même sur une appréciation des perspectives d'avenir de la société, apparaît dans ce contexte comme la seule méthode applicable à la valorisation des apports.
La commission note que les parties ont établi contradictoirement, après une négociation approfondie, la liste et la valorisation des perspectives de contrats futurs qui constituent les éléments de fonds de commerce apportés à la société commune. La banque conseil de l'Etat, qui a suivi ces travaux, ne formule pas de réserve sur le résultat convenu. L'Etat disposera de plus de la possibilité d'exercer la promesse de vente qui lui est consentie par Thales Naval SA.
En dehors des garanties usuelles à une pareille transaction, l'accord prévoit deux types de garanties spécifiques dont l'octroi a été autorisé par la loi :
- l'Etat peut, proportionnellement à sa participation dans la société commune, accorder sa garantie pour couvrir celle-ci des risques qu'elle souscrit vis-à-vis des clients au titre de son activité de commercialisation et de maîtrise d'oeuvre (art. 65-I de la loi de finances rectificative pour 2000) ;
- l'Etat pourra continuer à garantir la part industrielle de DCN dans les contrats désormais conclus par la société commune (art. 62 modifié de la loi de finances pour 1979 susvisée).
Ces deux dispositifs visent à permettre à l'Etat d'accompagner le fonctionnement de la société commune, tout en assurant une distinction entre les risques industriels assumés par DCN et les risques liés à la maîtrise d'oeuvre d'ensemble exercée par la société commune.
La commission estime qu'au total l'opération qui lui a été présentée respecte les intérêts patrimoniaux de l'Etat et n'est pas contraire aux intérêts de la défense nationale.
Pour tous ces motifs, et au vu de l'ensemble des éléments qui lui ont été transmis, la commission émet un avis favorable à l'opération qui lui a été présentée ainsi qu'au projet d'arrêté annexé au présent avis (1).