II. - Sur les dispositions de la loi
procédant à des validations d'actes administratifs
2. Il a été soutenu, tout d'abord, lors des débats devant l'Assemblée nationale, du moins pour celui contenu dans l'article 27 (JO, Débats, Ass. nat., 2e séance, 27 octobre 1997, intervention de M. Bourg-Broc), qu'il s'agissait de « cavaliers sociaux » comparables aux « cavaliers budgétaires » contenus dans les lois de finances et donc interdits comme ceux-ci. Cette éventualité avait déjà été évoquée par un spécialiste des questions parlementaires, le professeur Guy Carcassonne, lors de son audition par la commission spéciale chargée d'examiner la loi organique du 22 juillet 1996. Elle se réalise ici comme le reconnaissent expressément le rapporteur de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales ainsi que M. Claude Evin (tous deux cités par M. Bourg-Broc ; séance du 27 octobre 1997, p. 4739) à propos de l'article 27.
Cet article valide la cotation des actes de scanographie passés depuis 1991. Dans un arrêt du 4 mars 1996, le Conseil d'Etat a annulé une circulaire et un arrêté du 11 juillet 1991 modifiant la cotation de ces actes. Pour éviter « l'impact financier maximum du paiement de (la) différence découlant de ces annulations et dont le montant » a été évalué à 600 millions de francs, « la loi » valide l'ensemble des actes pris en application des décisions annulées et, de façon préventive, l'ensemble des décisions réglementaires portant tarification des actes de scanographie susceptibles d'être attaqués pour le même motif.
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité lors des débats à l'Assemblée nationale a soutenu qu'« en se référant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les cavaliers budgétaires, on peut dire qu'ont bien leur place dans un tel projet des dispositions qui ont une incidence sur le montant des ressources ou des charges inscrites dans le texte ». Et elle a ajouté : « Le Conseil constitutionnel ne pourrait que le reconnaître. »
Cela apparaît peu évident non seulement au regard de la jurisprudence sus-rappelée mais aussi parce que le juge constitutionnel souhaitera sans nul doute éviter, dès le début, une prolifération de ces cavaliers : en effet pour cette seule fois, il y a déjà deux cavaliers (cf. infra) et tous deux ont un objet strictement financier.
3. Là réside en effet le second motif d'inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel n'admet les mesures de validation que si est poursuivi un but d'intérêt général : dans sa récente décision du 28 décembre 1995 (no 95-369 DC, Loi de finances pour 1996, RJC I-649, § 35), il a affirmé que « la seule considération d'un intérêt financier... ne constituait pas un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, d'autres à intervenir ».
Or, le représentant du Gouvernement a bien déclaré (cf. supra) que la validation tendait à éviter le versement d'une somme de 600 millions de francs.
L'article 27 de la loi est donc contraire à la Constitution.
4. Il en va de même de la disposition qui opère la validation suivante (art. 21) :
« La base mensuelle de calcul des allocations familiales mentionnée à l'article L. 551-1 du code de la sécurité sociale est fixée à 2 078,97 F pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996. A compter de 1997, la revalorisation de cette base est calculée à partir de cette même référence. »
Cette validation fait suite à plusieurs arrêts du Conseil d'Etat dont les derniers rendus en assemblée (Ass. 28 juin 1997, deux arrêts : Req. 180943 UNAF ; Req. 180490, Fédération des familles de France) qui ont annulé des refus de revalorisation de la BMAF.
L'exposé des motifs de l'amendement fait valoir que le Gouvernement va « appliquer l'arrêt du Conseil d'Etat pour l'année 1995 mais qu'afin d'éviter de nouveaux contentieux sur les effets reports sur les années suivantes de la revalorisation qui doit intervenir au titre de l'année 1995... il est précisé que le montant de la BMAF pour l'année 1996 s'élève à 2078,97 F, soit celui en vigueur durant l'année 1996 ».
En réalité, le Gouvernement « gomme » ainsi les revalorisations pour 1996, 1997, 1998 et les années suivantes qui auraient résulté du rattrapage opéré pour 1995 (et qui aurait dû normalement se répercuter d'année en année). Le « manque à gagner » des familles serait alors de 5,5 milliards dont s'exonère ainsi le Gouvernement.
5. Cette validation n'était pas prévue dans le projet de loi gouvernemental. Elle a été introduite subrepticement en séance de nuit par voie d'amendement, en deuxième lecture.
Cela ne fait qu'accroître les doutes sur sa régularité.
1o L'article 21 doit tout d'abord être censuré parce qu'il a été adopté selon une procédure irrégulière. En effet, il a été introduit par amendement en deuxième lecture alors qu'il est exigé, en matière de lois de financement de la sécurité sociale, que le Gouvernement fasse connaître l'ensemble des dispositions et mesures qu'il entend prendre.
Et ceci paraît d'autant plus nécessaire qu'en présentant son amendement au dernier moment, en séance de nuit (3e séance du 25 novembre 1997, JO, Débats, AN, p. 6362), le Gouvernement aurait pu éviter que la question de l'irrecevabilité dudit amendement soit soulevée et contestée, ce qui aurait eu pour effet de priver les parlementaires requérants du droit de mettre en cause sa constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel (et cela en vertu de la jurisprudence inaugurée par la décision no 96-384 DC du 19 novembre 1996, RFDC 1996, p. 115, note E Oliva).
On notera d'ailleurs que le rapporteur de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour la famille constate que « la commission n'a pas examiné cet amendement » et « salue cependant l'explication de Mme la ministre ».
2o Comme pour la précédente validation, sa constitutionnalité peut être mise en cause au double motif que, d'une part, elle apparaît comme un « cavalier social » et, d'autre part, que le but poursuivi est d'ordre purement financier, comme l'a reconnu en séance le représentant du Gouvernement en précisant qu'il s'agissait par cet amendement « de prévenir d'éventuels contentieux sur les effets reports de la revalorisation de 1995 pour les années suivantes ; ces effets auraient un coût très important de 3,5 milliards pour 1996-1997 ».
6. Il en est également de même pour l'article 31 relatif au prolongement de la caisse d'amortissement de la dette sociale.
L'article LO 111-3-1 (2o) du code de la sécurité sociale exclut un vote sur le montant du RDS et sur son taux. Seules donnent lieu à un vote les recettes des régimes et des « organismes créés pour concourir à leur financement », ce qui n'est pas le cas de la CADES.
Celle-ci n'est appréhendée dans la loi organique du 22 juillet 1996, que par le biais de l'annexe « f » visée à l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale. Cette annexe décrit, s'il y a lieu, les comptes prévisionnels « des organismes » ayant pour mission de concourir « à l'apurement de la dette », au rang desquels il convient naturellement de ranger la CADES, d'ailleurs incluse dans l'annexe en cause.
La loi de financement ne peut modifier le régime juridique d'un organisme dont elle n'établit ni les recettes, ni les dépenses, ni la gestion.