Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 juillet 1995 par soixante députés)
I. - Sur le prétendu détournement de procédure budgétaire
Les requérants estiment que la circonstance que les dispositions en cause figuraient initialement dans le projet de loi de finances rectificative entache la loi attaquée d'inconstitutionnalité.
Pour autant, le déroulement de la procédure de dépôt, d'examen et d'adoption de la proposition de loi n'est pas critiqué en lui-même par les requérants.
A titre liminaire, on observera qu'un tel grief suppose que la constitutionnalité de la loi soit appréciée non au regard de son seul objet, mais en fonction de l'intention subjective des auteurs.
En tout état de cause, les critiques des auteurs du recours ne sont pas fondées.
Il convient de souligner que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la proposition de loi résulte d'une véritable initiative parlementaire. Le Gouvernement avait initialement retenu la date du 10 août pour l'entrée en vigueur du relèvement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée. Après réflexion, la commission des finances de l'Assemblée nationale a souhaité retenir une autre date, afin d'éviter une césure en cours de mois. Un simple amendement à la loi de finances rectificative n'a pas paru envisageable. En effet, la date du 1er septembre, envisagée par la commission des finances, aurait conduit à une aggravation du déficit budgétaire de l'ordre de trois milliards de francs. Quant à la date du 1er août, compte tenu des délais prévisibles de promulgation de la loi de finances rectificative, elle aurait eu un caractère rétroactif, lequel aurait entraîné des difficultés d'application considérables (factures rectificatives,
recouvrement de créances, modification des logiciels, etc.).
En conséquence, pour donner suite à la volonté parlementaire de retenir une date de début de mois, la commission des finances n'avait d'autre solution que de présenter une proposition de loi distincte.
Au total, s'il est indéniable que cette proposition de loi n'est pas sans lien avec le projet de loi de finances rectificative, et qu'elle résulte d'un dialogue entre le Gouvernement et le Parlement, elle constitue clairement l'aboutissement d'une initiative d'origine parlementaire.
Or, le pouvoir d'initiative du Parlement en matière législative, reconnu par l'article 39 de la Constitution, ne saurait connaître d'autres limites que celles qui découlent de la Constitution. Cette initiative doit donc pouvoir s'exercer à tout moment et dans tous les domaines qui relèvent de la loi, y compris le domaine fiscal, sous les seules réserves posées par les articles 40 (Incidence financière), 41 (Irrecevabilité), 47 (Projets de loi de finances) et 48 (Ordre du jour prioritaire).
A plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a confirmé que le droit d'initiative des parlementaires en matière fiscale est entier: « réserver aux seules lois de finances la création ou la modification d'une ressource fiscale en cours d'année limiterait, contrairement aux articles 39 et 40 de la Constitution, l'initiative des membres du Parlement en matière fiscale à un droit d'amendement puisque les lois de finances ne peuvent être présentées que par le Gouvernement » (no 84-170 DC du 4 juin 1984; no 91-298 DC du 24 juillet 1991).
On notera également que dans un cas qui peut être rapproché de celui ici évoqué, le Conseil constitutionnel a jugé que rien ne s'opposait à ce que le Parlement réintroduise, par voie d'amendement, dans un projet de loi en discussion en deuxième lecture, une disposition que le Gouvernement avait disjointe de son texte en première lecture (no 84-172 DC du 26 juillet 1984). En conséquence, rien n'interdit que, pour des raisons d'opportunité ou de calendrier, le Parlement reprenne et modifie, non pas par un amendement, mais par une proposition de loi, des dispositions qui figuraient initialement dans un projet de loi, même si celui-ci est en cours de discussion.
De telles circonstances, si elles peuvent paraître inhabituelles, ne sauraient mettre en cause la constitutionnalité de la loi déférée.
On observera enfin qu'il est paradoxal que des parlementaires sollicitent du Conseil constitutionnel une restriction de leur droit d'initiative.