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Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995)

Article (CONSEIL CONSTITUTIONNEL Décision no 94-352 DC du 18 janvier 1995)

Sur l'article 16:

Considérant que l'article 16 de la loi déférée insère un article 2 bis dans le décret du 23 octobre 1935 portant réglementation des mesures relatives au renforcement du maintien de l'ordre public; que le premier alinéa de l'article 2 bis permet au représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, au préfet de police, à compter du jour de déclaration d'une manifestation sur la voie publique ou si la manifestation n'a pas été déclarée, dès qu'il en a connaissance, d'interdire le port et le transport sans motif légitime d'objets pouvant être utilisés comme projectile ou constituer une arme au sens de l'article 132-75 du code pénal; qu'en vertu du deuxième alinéa du même article 2 bis, afin de s'assurer du respect de cette interdiction, les officiers de police judiciaire assistés des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints peuvent, sur instruction du préfet, procéder à la fouille des véhicules circulant sur la voie publique et saisir les objets détenus en contravention avec l'interdiction édictée par l'autorité de police; qu'en vertu du troisième alinéa de cet article l'application des règles prévues par l'alinéa précédent est soumise au contrôle des autorités judiciaires après que le procureur de la République a été informé sans délai des instructions données par le préfet; qu'enfin les modalités d'application de l'ensemble de l'article sont renvoyées, en vertu du quatrième alinéa, à un décret en Conseil d'Etat;
Considérant que les députés et sénateurs, auteurs de la saisine, font valoir en premier lieu que les dispositions ci-dessus analysées portent atteinte, du fait qu'elles autorisent la fouille des véhicules sans condition ni limite suffisantes, à l'inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée;
qu'ils soutiennent en deuxième lieu que le législateur a méconnu le principe de stricte proportionnalité des mesures de police à la gravité des troubles à l'ordre public; qu'ils allèguent en troisième lieu que, dès lors que la liberté individuelle est en cause, les éventuelles fouilles de véhicules devraient être subordonnées sinon à la direction du moins à l'autorisation du procureur de la République; que, enfin, ils affirment que le législateur, en ne définissant pas les circonstances particulières qui seules justifieraient de telles opérations de fouille, a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution;
Considérant que les mesures ainsi édictées par la loi touchent aux conditions dans lesquelles s'exercent la liberté individuelle, la liberté d'aller et venir et le droit d'expression collective des idées et des opinions; qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre,
d'une part, l'exercice de ces libertés constitutionnellement garanties et,
d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public, et notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens qui répond à des objectifs de valeur constitutionnelle;
Considérant en premier lieu que le législateur pouvait ouvrir à l'autorité préfectorale la faculté d'interdire le port ou le transport d'objets pouvant constituer une arme au sens de l'article 132-75 du code pénal dans les cas où les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public; qu'il ne peut en être usé que pendant les vingt-quatre heures qui précèdent la manifestation en cause et jusqu'à sa dispersion; qu'une telle faculté est circonscrite aux lieux de la manifestation, aux lieux avoisinants et à leurs accès, son étendue devant demeurer proportionnée aux nécessités que font apparaître les circonstances; que, sauf circonstances exceptionnelles, le législateur doit être entendu comme ne l'ayant autorisé que sur les lieux de la manifestation ou à proximité immédiate;
Considérant toutefois que si le législateur pouvait interdire le port ou le transport sans motif légitime d'objets pouvant constituer une arme au sens de l'article 132-75 du code pénal, l'extension de cette interdiction à tous les objets pouvant être utilisés comme projectile, lesquels sont susceptibles d'être saisis, est de nature par sa formulation générale et imprécise à entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle; que dès lors les mots: « ... être utilisés comme projectile ou... » doivent être regardés comme contraires à la Constitution;
Considérant en second lieu qu'en ce qui concerne les opérations de fouille de véhicules afin d'y découvrir et de saisir des armes au sens de l'article 132-75 du code pénal, celles-ci, dans la mesure où elles comportent le constat d'infractions et entraînent la poursuite de leurs auteurs, relèvent de la police judiciaire; que, s'agissant de telles opérations qui mettent en cause la liberté individuelle, l'autorisation d'y procéder doit être donnée par l'autorité judiciaire, gardienne de cette liberté en vertu de l'article 66 de la Constitution;
Considérant qu'en permettant la fouille de tout véhicule circulant sur la voie publique afin de s'assurer du respect de l'interdiction préfectorale sans prévoir l'autorisation préalable de ces opérations par l'autorité judiciaire, se bornant à indiquer que celle-ci est informée des instructions données par le préfet, le législateur a méconnu les dispositions de l'article 66 de la Constitution; que dès lors les troisième et quatrième alinéas de l'article 16 doivent être déclarés contraires à la Constitution;