Article (Circulaire du 19 juillet 1994 relative à la prise en compte de la position du Parlement français dans l'élaboration des actes communautaires)
A N N E X E
JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ETAT RELATIVE
A L'APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
Saisi par le Gouvernement de l'ensemble des propositions d'actes communautaires transmises par la commission au Conseil de l'Union européenne, le Conseil d'Etat a élaboré une jurisprudence tendant à préciser le champ d'application de l'article 88-4.
Pour conclure qu'un document relève de la procédure de consultation instituée par l'article 88-4 de la Constitution, le Conseil d'Etat procède en deux temps:
- le document est-il une « proposition d'acte communautaire »? - Dans l'affirmative, la proposition d'acte communautaire comporte-t-elle des « dispositions de nature législative »? I. - Le document est-il une « proposition d'acte communautaire »? 1. La demande d'avis du Gouvernement en vue de savoir si un projet « d'accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire » entrait dans le cadre de l'article 88-4, a permis au Conseil d'Etat de préciser que l'article 88-4 ne s'appliquait que s'il y avait transmission d'une proposition par la commission au Conseil de l'Union européenne, cette transmission constituant le premier élément d'une procédure organisée par le traité en vue de l'élaboration d'une mesure relevant des institutions communautaires. Ne donnant pas lieu à une telle transmission, le projet d'« accord interinstitutionnel » n'était pas une proposition d'acte communautaire au sens de l'article 88-4 et n'avait donc pas à être transmis au Parlement.
2. Une recommandation de la Commission européenne concernant les grandes orientations des politiques économiques des Etats membres et de la communauté constitue une proposition d'acte communautaire au sens de l'article 88-4, car elle donne lieu à transmission par la commission au conseil et constitue le premier élément d'une procédure organisée par le traité (en l'espèce, son article 103) en vue de l'élaboration d'une mesure relevant des institutions communautaires.
3.La procédure de l'article 88-4 ne s'applique pas aux propositions d'actes établies sur le fondement des titres V et VI du traité sur l'Union européenne, consacrés respectivement aux dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune et aux dispositions sur la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (« deuxième et troisième piliers »). Il s'agit, en effet, d'actes qui relèvent d'un régime juridique distinct de celui des actes fondés sur les traités instituant les communautés européennes. Cette solution a été dégagée à propos de la proposition de décision établissant la convention relative au contrôle des personnes lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres (proposition fondée sur l'article K 3 du traité de l'Union européenne).
II. - Dans l'affirmative, la proposition d'acte communautaire comporte-t-elle des « dispositions de nature législative »? 1.Par « tout acte communautaire comportant des dispositions de nature législative », il faut entendre tout acte qui, s'il devait être pris par la France, serait du domaine de la loi. Il est donc nécessaire d'examiner un projet de texte communautaire comme s'il s'agissait d'un acte de droit interne, sans se poser la question de savoir s'il devra donner matière à l'établissement d'un texte national de transposition.
C'est ainsi qu'un projet d'acte définissant des procédures budgétaires de la Communauté européenne est regardé comme comportant des dispositions de nature législative dès lors que les dispositions qu'il contient sont, mutatis mutandis, de celles qui, si elles devaient être adoptées par la France,
entreraient dans le champ d'application d'une loi de finances au sens de l'article 34 de la Constitution.
En sens inverse, une recommandation qui a pour objet d'arrêter les grandes orientations à court terme qu'il est préconisé aux Etats membres de prendre en matière monétaire, budgétaire et sociale, ne pourrait être qualifiée, si elle était élaborée en France, ni de loi de programme, ni de loi de plan et relèverait d'une simple déclaration de politique générale faite par le Gouvernement devant le Parlement. Elle ne comporte donc pas de dispositions de nature législative au sens de l'article 88-4.
2.La nature réglementaire d'une proposition est retenue lorsque les dispositions qu'elle comporte entrent dans le cadre d'une habilitation donnée par le législateur français au pouvoir réglementaire.
Ce point a été tranché dans le cas de « règles prudentielles » applicables aux établissements de crédit. Ces règles étant, en vertu de la loi du 24 janvier 1984, de la compétence du comité de la réglementation bancaire, les propositions d'acte communautaire qui contiennent des mesures du même type ne peuvent être regardées comme « comportant des dispositions de nature législative » au sens de l'article 88-4. Le même raisonnement est appliqué aux projets de règlements communautaires touchant aux matières que le code de la consommation renvoie à des décrets en Conseil d'Etat le soin d'édicter.
3.Un accord entre la Communauté et des pays tiers est de nature législative dès lors que ce même accord, s'il était conclu directement par la France,
nécessiterait une ratification par une loi en vertu de l'article 53 de la Constitution.
Toutefois, lorsque la Communauté se lie par un accord international avec un pays tiers ou avec une autre organisation internationale, selon la procédure dite « solennelle » ou « développée » (cas des accords issus du cycle d'Uruguay), il convient de distinguer entre les deux phases que comporte une telle procédure: la première phase, marquée par la signature de l'accord, ne doit pas être soumise au Parlement français en vertu de l'article 88-4; en revanche, la seconde phase, qui a pour objet la conclusion de l'accord et qui engage de façon définitive la Communauté, relève de l'article 88-4.