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Article AUTONOME (Avis du 3 décembre 2024 relatif à l'accès au téléphone dans les établissements pénitentiaires)

Article AUTONOME (Avis du 3 décembre 2024 relatif à l'accès au téléphone dans les établissements pénitentiaires)


Dans un avis publié au Journal officiel du 23 janvier 2011, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a déjà abordé la question de l'accès au téléphone en prison, énonçant alors les différentes contraintes posées par la détention pour y accéder (1). Plus récemment, en 2020, il a rappelé dans ses recommandations minimales qu'« un accès au téléphone doit être garanti aux personnes privées de liberté à tout moment, dans des conditions satisfaisantes de discrétion ou de confidentialité » (2).
A la faveur de son développement technologique, le téléphone s'est transformé, évoluant bien au-delà de sa seule fonction initiale de moyen de communication. L'accès instantané à l'information, la communication omniprésente et la diversité des applications en ont fait un outil indispensable à la population libre.
Pourtant, le milieu carcéral reste à ce jour hermétique à ces évolutions, qu'il n'a accompagnées que de loin, passant du point-phone public en coursive ou en cours de promenade au téléphone fixe en cellule, dont l'utilisation est soumise à des restrictions. Cette disparité creuse la fracture numérique entre les milieux libre et fermé, mettant en lumière le retard persistant que subissent les personnes incarcérées dans l'accès à la technologie et à l'autonomie. Alors que le monde extérieur communique toujours plus, avec un matériel toujours plus innovant, les détenus se partagent l'accès à des téléphones souvent obsolètes, et extrêmement coûteux.
Le service public de la téléphonie en prison est organisé sur la base d'une concession de service public qui, elle-même, repose sur des choix économiques et technologiques fort discutables. Il en résulte une série de discriminations infligées aux personnes détenues, qui sont entravées dans leurs relations avec l'extérieur.
Les constats effectués lors des visites et les échanges entre le CGLPL et la direction de l'administration pénitentiaire (3) confirment des dysfonctionnements relevés au sujet de la téléphonie et l'insuffisance des réponses qui y sont apportées. Aussi, le CGLPL estime-t-il nécessaire d'appeler à nouveau l'attention des pouvoirs publics sur cette question.


1. L'accès à la téléphonie et à la visiophonie est encore limité pour certains détenus


Le CGLPL a longtemps recommandé que les points-phone situés dans les espaces collectifs soient suffisamment nombreux pour faire face aux besoins d'une population pénale croissante. Progressivement, le recours à ces points-phone a régressé au profit de téléphones installés dans les cellules à compter de janvier 2019. Le chantier d'installation, qui devait se terminer fin 2020 s'est achevé, en métropole, en août 2023, faisant du centre pénitentiaire de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) le dernier établissement à ne pas en être doté.
L'installation des téléphones en cellule a assurément libéré la majorité des personnes détenues des contraintes liées aux horaires d'accès aux points-phone hors des cellules. Elles ne sont plus soumises au rythme de la détention pour appeler leurs proches à des horaires imposés, pendant lesquels ces derniers travaillent ou sont scolarisés. De même, les détenus dont les proches résident à l'étranger peuvent désormais les joindre malgré l'éventuel décalage horaire. Ce progrès ne bénéficie néanmoins pas à tous. Les détenus faisant l'objet d'une sanction disciplinaire ou affectés dans certains quartiers spécifiques (4) n'ont qu'un un accès limité au téléphone. Les premiers ne peuvent téléphoner qu'une fois par semaine, avec le point-phone du quartier disciplinaire (5) ; les seconds peuvent uniquement téléphoner pendant les plages horaires de présence des agents chargés de l'écoute de leurs communications (6). Limités par le nombre d'appels autorisés ou des plages horaires restreintes, les détenus concernés ont un accès moindre à la téléphonie sociale, à leurs conseils, aux autorités de contrôle (7). Or les contraintes d'organisation du personnel ne sauraient motiver des restrictions à l'accès au téléphone des détenus, a fortiori de ceux dont la prise en charge implique une séparation du reste de la détention, facteur identifié d'augmentation du risque suicidaire. Ceci se justifie d'autant moins que la possibilité d'enregistrer des échanges permettrait à l'administration d'assurer un contrôle sans imposer de telles restrictions.
Si les recommandations classiques du CGLPL relatives à l'élargissement des horaires d'accès aux points-phone situés dans des espaces collectifs peuvent sembler caduques, elles conservent toute leur pertinence en cas de dysfonctionnements des téléphones en cellule, qui sont loin d'être rares, ou lorsque le besoin d'intimité des détenus écroués dans des quartiers surpeuplés les contraignent, paradoxalement, à préférer ces points-phone publics.
La situation absurde des personnes placées en semi-liberté mérite également l'attention. Alors qu'elles passent la journée à l'extérieur et disposent librement, à cette occasion, de leur téléphone personnel, elles se voient généralement contraintes, à leur retour dans l'établissement, de le déposer en consigne pour la nuit ou le week-end. Dans les établissements où les téléphones personnels peuvent être conservés au quartier de semi-liberté, aucune tendance à l'accroissement des trafics ou de l'insécurité n'est constatée (8). Dans certains quartiers de semi-liberté non inclus dans le marché d'installation de la téléphonie en cellule (9), les détenus n'ont accès qu'au seul point-phone de la coursive ou de la cour de promenade et sont alors entièrement dépendants de la disponibilité des surveillants (10). Plus notable encore, le CGLPL a visité un quartier de semi-liberté dans lequel les détenus, faute d'accès à leur téléphone personnel (11), étaient privés de tout accès au téléphone, ni les cellules ni les espaces communs n'en étant équipés. Ainsi les détenus affectés dans ces quartiers supposés préparer la réinsertion se voient entravés dans des démarches qui devraient au contraire être encouragées.
Enfin, ces dernières années ont été marquées par l'installation de la visiophonie dans les établissements. Dans son avis du 12 décembre 2019 relatif à l'accès à internet dans les lieux de privation de liberté (12), le CGLPL recommandait que les personnes détenues aient accès à des appareils permettant des appels téléphoniques et vidéos, appelant toutefois les autorités à veiller à ce que cela n'entraîne pas la disparition ou la réduction des parloirs. Particulièrement utile pour les prisonniers dont les proches ne peuvent se rendre au parloir, la visiophonie a connu durant la crise sanitaire un succès notable, fournissant aux détenus un moyen précieux de maintenir un contact visuel avec leurs proches. En ce qu'il permet le recours à la langue des signes et d'autres formes de communication visuelle, ce dispositif est également adapté aux détenus ayant une déficience auditive. En pratique, l'accès à la visiophonie reste pourtant réduit. Lors de ses visites, le CGLPL constate que ce matériel n'est que peu utilisé, principalement en raison de son coût, particulièrement élevé (voir infra partie 5). Alors que la visiophonie est initialement destinée aux personnes isolées, celles-ci s'en trouvent trop souvent privées du fait de leur précarité économique. La visiophonie pâtit également de l'insuffisance de l'information délivrée aux détenus et à leurs proches sur les modalités de son utilisation. Des problèmes techniques sont par ailleurs régulièrement dénoncés.
Ainsi le CGLPL constate-t-il que certaines personnes, singulièrement les plus isolées, souffrent d'un accès limité aux technologies de communication, ce qui porte atteinte à leur droit au maintien des liens avec l'extérieur et est susceptible d'entraver l'exercice de leurs droits de la défense ainsi que leurs démarches aux fins de réinsertion.
Enfin, l'interdiction générale et absolue des téléphones portables en prison est largement contournée par les détenus (13), contraignant l'administration pénitentiaire à recourir à des brouilleurs d'ondes à l'efficacité très variable. Il est peu réaliste, assurément, d'imaginer maintenir l'interdiction aux personnes détenues de l'usage, devenu si banal, du téléphone portable. Cela est d'autant plus vrai que des téléphones vendus en cantine pourraient faire l'objet des mêmes contrôles et écoutes que les points-phone aujourd'hui - un contrôle que la circulation clandestine des téléphones portables en détention rend, à ce jour, difficile. Au même titre que les arguments d'ordre sécuritaire, ces éléments devraient être pris en compte dans le cadre d'une réflexion sur les modalités selon lesquelles un accès encadré à la téléphonie mobile en détention pourrait être envisagé.
L'accès au téléphone doit être garanti aux personnes détenues, à tout moment et quel que soit leur régime de détention. L'ensemble des quartiers, y compris disciplinaires, doit être doté de la téléphonie en cellule et de points phone accessibles dans des conditions et à des horaires compatibles avec les objectifs de maintien des liens familiaux, d'accès aux droits de la défense et de préparation à la sortie.
Une réflexion doit être engagée sur les possibilités d'un accès contrôlé à des téléphones mobiles en détention. Les personnes semi-libres ou placées dans un quartier de préparation à la sortie doivent disposer de leur téléphone personnel en cellule.
Aucun motif ne justifie de limiter le droit des personnes placées en cellule disciplinaire à passer des appels téléphoniques. L'alinéa 2 de l'article R. 235-10 du code pénitentiaire doit être abrogé (14).
Des dispositifs de visiophonie doivent être accessibles à toutes les personnes détenues qui en font la demande. Une information claire sur les modalités de leur utilisation doit être diffusée à la population pénale en plusieurs langues, dont la langue des signes.


2. La confidentialité des conversations et l'intimité des détenus ne sont pas garanties


Depuis plusieurs années, le CGLPL dénonce l'impact de la surpopulation sur l'intimité des personnes détenues et la confidentialité des appels téléphoniques. Ainsi qu'il l'a souligné dans un rapport consacré au sujet (15), les avantages des téléphones en cellule - d'accès plus simple et préservant l'intimité - se heurtent au problème de la surpopulation carcérale en maisons d'arrêt, dans les quartiers maison d'arrêt et dans certains centres de détention d'outre-mer. Dans une cellule suroccupée, la promiscuité et le bruit constant sont tels que la confidentialité des appels et toute forme d'intimité sont impossibles. Or certains appels requièrent précisément confidentialité et intimité. Il est paradoxal d'interdire la détention en cellule de tout document portant la mention d'un motif d'écrou (16) et de négliger de garantir la confidentialité des appels entre un détenu et son conseil. Le même problème d'intimité se pose lorsqu'un détenu souhaite, depuis une cellule surpeuplée, contacter un numéro d'écoute ou d'accompagnement ou simplement échanger avec ses proches. Le CGLPL a maintes fois démontré à quel point la surpopulation carcérale affectait gravement et irrémédiablement l'organisation et le fonctionnement des établissements qu'elle frappe. Il se voit désormais contraint d'en déplorer les effets sur l'utilisation du téléphone en cellule, que la surpopulation généralisée prive de ses effets les plus positifs.
Les atteintes à la confidentialité et à l'intimité sont par ailleurs aggravées par le contrôle des communications téléphoniques, dont les modalités contreviennent parfois aux principes qui les régissent. Le nombre parfois excessif d'agents autorisés à écouter les conversations, avec ou sans habilitation, constitue une première menace pour le respect de la vie privée des détenus (17). A la maison d'arrêt de Versailles (18), ce ne sont pas moins de quarante-six agents habilités à effectuer des écoutes téléphoniques sur les points-phones en cellules. Les contrôleurs ont également été informés de l'obligation faite aux personnes détenues, dans certains établissements, de n'utiliser que la langue française lors de leurs conversations téléphoniques, même si leur interlocuteur ne la maîtrise pas. Cette injonction dépourvue de fondement légal ou réglementaire et aussi de simple bon sens doit être abandonnée. Aux termes de la circulaire relative à la correspondance téléphonique des personnes détenues (19), les conversations téléphoniques tenues dans une langue autre que le français peuvent être traduites aux fins de contrôle. Il revient à l'administration pénitentiaire et non aux détenus ou à leurs proches de faire traduire ce qu'elle estime nécessaire.
Enfin, à la suite de signalements mettant en doute la désactivation du circuit d'écoute et d'enregistrement lors d'appels vers des numéros confidentiels tels que ceux des avocats, du CGLPL ou du Défenseur des droits (20), la direction de l'administration pénitentiaire a indiqué qu'une erreur avait entraîné un mauvais paramétrage du système d'écoute dans un établissement. Cette négligence a dès lors permis l'écoute et l'enregistrement d'appels passés vers des numéros protégés. Le CGLPL prend acte de la correction entreprise avec un rappel du paramétrage, pour éviter toute récurrence de cette anomalie et restera attentif à ses effets.
Les personnes détenues doivent avoir accès au téléphone dans des conditions satisfaisantes de discrétion et de confidentialité. Seul un nombre restreint d'agents doit être habilité à écouter les conversations téléphoniques et la conformité du système garantissant l'exclusion des numéros protégés du système d'écoute doit faire l'objet d'une certification par un organisme externe.


3. Les procédures d'autorisation sont longues et les exigences injustifiées


Lors de son arrivée en détention, chaque détenu doit en principe se voir remettre une carte téléphonique d'un euro, soit environ cinq minutes d'appel, lui permettant de téléphoner à la personne de son choix. Le CGLPL est régulièrement informé de situations dans lesquelles cette carte n'est pas remise, ou ne l'est que tardivement, en raison d'une arrivée nocturne ou le week-end, privant le détenu de la possibilité de prévenir un proche. Ces retards sont parfois liés, d'après les motifs avancés par l'administration pénitentiaire, à la volonté de s'assurer d'une autorisation judiciaire préalable (21). Or cette contrainte contrevient à la finalité de ce dispositif, modeste, et avant tout destiné à permettre un contact immédiat de l'arrivant avec ses proches. Par surcroît, lorsque cette carte est effectivement remise au nouvel arrivant, il n'est pas rare que ce dernier rencontre des difficultés pour accéder à son téléphone portable afin de consulter son répertoire.
Lors de la procédure d'écrou, les arrivants doivent pouvoir appeler un proche dans un délai de douze heures, y compris le week-end et les jours fériés. Ils doivent à ce titre pouvoir accéder sans entrave à leur téléphone portable, pouvoir le charger et faire enregistrer les numéros utiles (personne à prévenir, proches, avocat, médecin traitant, employeur, etc.).
Par la suite, l'impossibilité pour les détenus d'appeler leurs proches ou tout contact utile est susceptible de persister. Les détenus doivent faire la demande d'inscription d'un proche, par formulaire, auprès de l'administration pénitentiaire ou du magistrat instructeur. Le proche concerné doit par ailleurs faire parvenir au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) des factures téléphoniques afin d'attester de la propriété de la ligne. L'obtention des factures auprès des proches et la validation des numéros par les services pénitentiaires et judiciaires prennent du temps. Sur ce point également, la surpopulation a des effets néfastes en allongeant considérablement les délais d'ajout d'un nouveau numéro de téléphone à la liste des numéros autorisés (22) ou pour alimenter le compte téléphonique. Au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, de nombreux détenus avaient ainsi été privés de toute communication téléphonique pendant parfois plusieurs mois (23).
L'exigence de facture pose également de réelles difficultés pour les personnes détenues dont les proches résident à l'étranger ou utilisent des cartes prépayées. Si certains établissements cherchent à traduire des factures fournies en langues étrangères ou renoncent à contrôler les numéros étrangers, d'autres refusent d'autoriser ces appels. Dans ces situations, les personnes détenues se trouvent doublement privées de contact avec leurs proches, ne pouvant ni les appeler, ni recevoir leurs visites.
Par ailleurs, le CGLPL constate régulièrement des disparités dans les pratiques relatives aux régimes d'autorisation des appels téléphoniques. Dans certains lieux, les services pénitentiaires s'assurent de la seule existence d'une facture téléphonique sans vérification supplémentaire. Dans d'autres, les proches inscrits par la personne détenue sur le formulaire sont contactés par les services pénitentiaires aux fins de vérification de leur identité. Dans d'autres encore, seules les personnes condamnées sont dans l'obligation de fournir une facture. Les pratiques peuvent varier au sein d'un même établissement, selon les quartiers ou catégories de détenus concernées, documents et démarches requis différant d'une situation à l'autre, sans motif clairement identifiable. Au centre pénitentiaire de Saint-Etienne-La Talaudière (contrôlé en 2022) par exemple, toutes les femmes devaient fournir, en plus d'une facture de téléphone et de la pièce d'identité du correspondant, un courrier de ce dernier donnant son autorisation à être appelé. Les hommes condamnés n'avaient en revanche aucun document à fournir autre qu'une facture pour que leur demande de téléphonie soit validée.
Depuis quelques années, le CGLPL est également informé de refus systématiques des demandes d'autorisation de communiquer entre conjoints ou concubins dans un contexte de violences conjugales, même en l'absence de toute interdiction judiciaire. Il a été constaté dans plus d'un établissement que les demandes de permis de visite émanant d'une victime de violences intra-familiales étaient systématiquement refusées, comme les demandes de figurer parmi les numéros de téléphone que le détenu peut appeler. S'il relève de la responsabilité de l'administration pénitentiaire de veiller à la sécurité des victimes d'infractions en contact avec les mis en cause (24), elle ne saurait, en aucun cas, s'exonérer du cadre fixé à cet égard par la décision judiciaire, pas plus qu'il ne lui revient de se substituer systématiquement à l'appréciation des victimes.
Enfin, l'accès au téléphone d'un détenu peut être interrompu en raison d'un transfert ou d'une hospitalisation en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) ou en unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI), qui entraînent un changement d'écrou. En cas d'hospitalisation, les autorisations, aides et répertoires téléphoniques ne suivent pas toujours le double changement d'écrou qui s'effectue au départ puis au retour à l'établissement pénitentiaire. Ainsi certains détenus se voient-ils privés du versement de l'aide numéraire au titre de l'indigence, des visites et d'appels téléphoniques, alors même qu'ils peuvent se trouver dans une situation de fragilité particulière du fait de leur hospitalisation. Si la dématérialisation des fichiers de téléphonie doit permettre de remédier à ces difficultés, le CGLPL continue d'être ponctuellement alerté à ce sujet.
La preuve de l'identité des titulaires d'une ligne doit pouvoir être apportée par tout moyen pour l'examen des demandes de permis de communiquer. Il convient de mettre fin à la pratique consistant à exiger la production préalable d'une facture téléphonique pour chaque autorisation de communiquer. Lors d'un changement d'écrou l'ensemble des documents et autorisations essentiels au maintien des liens familiaux doit être immédiatement transmis et effectivement mis en œuvre d'un établissement à l'autre.
Les demandes d'autorisation d'appel téléphonique des conjoints victimes de violences qui ne sont pas concernés par une interdiction judiciaire de contact doivent faire l'objet d'un examen individualisé par l'administration pénitentiaire et ne sauraient être systématiquement rejetées.


4. Les installations téléphoniques en détention pâtissent de nombreux dysfonctionnements


Le CGLPL est fréquemment alerté de dysfonctionnements persistants ou répétés des points-phone, qu'ils se trouvent dans les cellules, les couloirs ou les zones de promenade, entravant l'accès au téléphone pour les personnes détenues pendant des périodes pouvant s'étendre sur plusieurs jours, voire des semaines.
« Aujourd'hui je fais appel à vous, car j'ai été affecté dans une nouvelle cellule, le mois dernier, et la cabine téléphonique ne fonctionne pas. Cela fait un mois […] que je fais des courriers à Sodexo, au chef de bâtiment, à la maintenance téléphonique, au service téléphonique, ainsi qu'à la SPIP. J'ai eu quelques réponses dans lesquelles on me répond que la cellule est notée pour une prochaine intervention… Les semaines passent et rien n'a avancé » (25).
Les coupures récurrentes d'appels rendent la conversation entre les personnes détenues et leurs interlocuteurs laborieuse voire impossible. Perturbants en milieu libre, bien que généralement sans conséquence, ces dysfonctionnements sont une source de tensions et de frustration en détention, d'autant qu'ils ont un coût financier significatif pour les détenus : opter pour maintenir la communication malgré de brèves interruptions répétées se traduit par une perte d'argent, tandis que raccrocher pour rappeler engendre des frais supplémentaires de mise en relation (26) et comporte le risque non négligeable de ne pas réussir à rétablir la connexion.
Sur ce point, l'administration pénitentiaire soutient qu'il est impossible de déterminer la cause des interruptions de communication, qui peuvent être liées à des défaillances techniques ou imputables aux détenus ou à leurs proches. Sans nier la complexité du sujet, le CGLPL constate régulièrement dans les relevés d'appels téléphoniques, consultés dans le cadre de visites ou d'échanges épistolaires, un nombre considérable d'appels de courte durée, de quelques secondes parfois, vers les mêmes interlocuteurs, ce qui semble plus sûrement indiquer des défaillances techniques que des coupures intentionnelles.
Par ailleurs, bien que l'administration pénitentiaire soutienne qu'un support technique est joignable en permanence afin de résoudre les incidents potentiels, les nombreux témoignages reçus sur ce point démontrent l'insuffisance des moyens déployés au titre de la réparation et la maintenance des appareils dans des délais raisonnables. Dans un établissement d'outre-mer, le délai moyen de réparation s'élevait à 29 jours, et avait pu atteindre 109 jours. Sur le territoire hexagonal, les délais d'intervention varient, mais peuvent s'étendre sur plusieurs semaines, et sont régulièrement combinés à l'absence de procédures formelles de signalement et de prise en compte des dysfonctionnements. Au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, les constats du CGLPL sont particulièrement alarmants à cet égard : « Si certains téléphones sont endommagés par les détenus, d'autres tombent en panne, notamment en raison de l'invasion de cafards qui font des appareils leur lieu de nidation privilégié. La réparation des postes peut prendre plusieurs semaines, la société Télio n'intervenant qu'une à deux fois par mois et l'information sur les appareils hors service n'étant pas toujours transmise par les responsables des bâtiments au service concerné » (27).
Face à ces dysfonctionnements récurrents, les personnes détenues sont généralement démunies. Bien que la direction de l'administration pénitentiaire précise qu'il leur est possible de demander une compensation des surcoûts engendrés par les défaillances techniques, notamment par une prolongation exceptionnelle du forfait téléphonique pour une durée identique à celle de l'indisponibilité, la majorité des détenus n'en est pas informée. Les détenus ne savent pas davantage qu'ils peuvent saisir la direction de l'établissement ou la direction interrégionale des services pénitentiaires d'un recours indemnitaire à la suite d'interruptions de leurs communications liées à un incident technique.
« Je vous fais part du manque de matériel pour les cabines téléphoniques qui sont installées dans les cellules, nous avons à répétition des problèmes avec les recharges de forfait qui ne sont jamais validées à temps. Ensuite le matériel, la cabine est incomplète, en gros il manque le système électrique pour la faire fonctionner, après plusieurs demandes faites par écrit au service de maintenance des cabines, je n'ai jamais eu de retour » (28).
Une procédure formalisée permettant de signaler les défaillances techniques des appareils et d'assurer leur maintenance dans les délais les plus brefs doit être mise en place dans chaque établissement pénitentiaire et l'information y-afférente délivrée à l'ensemble de la population pénale. Tout surcoût engendré par des défaillances techniques doit être compensé financièrement. Les personnes détenues doivent être informées de l'existence de cette compensation et de la procédure à suivre pour en faire la demande.


5. Le coût de la téléphonie et de la visiophonie est prohibitif


Le coût particulièrement élevé de la téléphonie représente une barrière considérable à l'accès au téléphone des personnes détenues. Malgré le développement de forfaits proposés par les opérateurs téléphoniques depuis plus de vingt ans, offrant des appels illimités à des tarifs bien inférieurs à ceux payés mensuellement par les personnes détenues, le marché public conclu avec le prestataire exclusif, TELIO COMMUNICATION, prévoit encore une facturation des appels à la minute. Le prix des appels pèse exclusivement sur les personnes détenues, la règlementation interdisant à ces dernières d'être directement jointes par leurs proches.
« Pour des raisons de coûts exorbitants, je ne souhaite plus participer au racket que vous organisez depuis l'installation de votre société dans le parc pénitentiaire. Je vous remets l'adaptateur qui alimente la machine à sous installée cellule 007 quartier arrivant rez-de-chaussée […] Prenez vos dispositions afin que dans la cellule du quartier d'isolement que je vais rejoindre bientôt la cabine téléphonique ne soit pas fonctionnelle (29) ».
Si un système de forfait est proposé aux personnes détenues, offrant des tarifs à la minute plus avantageux en échange d'un paiement préalable, la somme mensuelle à débourser reste excessivement élevée. Un forfait de 10 euros inclut par exemple 52 minutes d'appel vers des téléphones fixes et 36 minutes d'appel vers des téléphones mobiles de France métropolitaine, soit un total d'1h28min d'appel. Ces sommes sont plus importantes encore pour les détenus dont les proches habitent à l'étranger, allant jusqu'à décupler le prix facturé à la minute (30). Avec un forfait de vingt euros, un appel de 20 minutes à destination d'un téléphone portable de France hexagonale coûtera par exemple 3,20 euros, alors que son prix s'élèvera à 7,20 euros s'il est passé vers un téléphone portable du Maghreb. Un appel de même durée à destination du reste de l'Afrique ou de l'outre-mer sera facturé 14,40 euros s'il est passé vers un téléphone fixe, et 18 euros s'il est passé vers un téléphone portable.
Les forfaits manquent également de souplesse et de possibilité d'ajustement en cas d'imprévu. Ils doivent être consommés dans les trente jours et le forfait payé ne peut être reporté au-delà de la période mensuelle prévue. Il ne peut non plus être remboursé en cas de libération.
« Si un détenu ne souscrit à aucun forfait téléphonique, il se verra imposer une tarification de 8 centimes par minute, soit 2,40 euros pour un appel de 30 minutes, en plus du tarif de raccordement. A titre de comparaison, les tarifs nationaux moyens en vigueur, hors détention, s'élèvent à seulement 17,50 euros mensuel pour un nombre et une durée d'appel illimités » (31).
Reflet d'une logique aujourd'hui révolue, une différence de prix significative persiste entre les appels vers un téléphone fixe et un téléphone portable. A une époque où de moins en moins de personnes utilisent un téléphone fixe à l'extérieur et où aucune distinction de prix n'est faite par les opérateurs, cette disparité est anachronique.
Le coût de la téléphonie est plus élevé encore pour certaines catégories de personnes détenues, notamment celles qui sont incarcérées dans les établissements des territoires d'outre-mer et les couples de détenus. Les premiers se voient doublement facturer les appels locaux avec une application de la tarification à l'international, en raison du transit de l'appel par l'Hexagone avant de repartir vers le territoire concerné. Les contrôleurs observaient ainsi lors de leur visite du centre de détention Tatutu de Papeari en 2022, qu'« y compris lorsqu'un détenu veut joindre un correspondant en Polynésie, la communication transite par la France métropolitaine. Dès lors, un tarif est deux à trois fois plus cher pour appeler un correspondant de Tahiti ou sur une autre île de Polynésie que pour joindre un numéro en métropole ».
Les couples de personnes détenues dans un même établissement ou dans deux établissements pénitentiaires différents se voient également imposer, outre une limitation de la durée quotidienne de communication, une double facturation aussi absurde qu'inadmissible.
« Avec ma femme incarcérée, nous avons pu avoir l'autorisation de s'appeler en interne tous les soirs dans l'horaires 18h-19h. Le problème c'est que nous payons tous les deux ! On s'appelle 35 minutes. J'ai pris un abonnement de trois mois à 50 euros pour limiter le coût mais malgré ça cela me coûte 100 euros par mois et ma femme aussi donc 2400 euros par an pour s'appeler en interne » (32).
Le prix prohibitif de la visiophonie témoigne également du décalage avec les évolutions du monde extérieur, dans lequel la visioconférence s'est désormais imposée comme le moyen principal de communication à distance dans de nombreuses entreprises, écoles et organisations. Facturée à la minute en fonction du montant du forfait choisi par le détenu, la visiophonie hors-forfait coûte six euros pour vingt minutes d'appel. Alors que le dispositif est accessible par un seul branchement au réseau Internet, de tels prix semblent déraisonnables voire abusifs, a fortiori appliqués à des consommateurs fragilisés économiquement et dont l'exercice du droit au maintien des liens avec l'extérieur dépend en partie de l'accès à ces dispositifs.
Du fait de ces tarifs exorbitants, les personnes qui disposent de peu de ressources ou en sont privées se trouvent dans l'incapacité financière d'utiliser le téléphone ou la visiophonie. Cette incapacité est prégnante chez les mineurs détenus, qui se voient imposer une facturation classique de leurs communications téléphoniques alors qu'ils ne bénéficient d'aucune ressource autre que celle que leur famille est susceptible de leur apporter. Si les mineurs dépourvus de ressources suffisantes reçoivent, comme les majeurs, une allocation de trente euros par mois, cette somme est insuffisante au regard du caractère essentiel que revêt le maintien des liens familiaux, particulièrement pour des enfants et adolescents. Celle-là ne permet pas plus de 2 h 30 d'appel par mois, et ce uniquement si le détenu renonce à utiliser ces trente euros à toute autre fin, ce qui n'est que rarement le cas.
Durant la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, des mesures exceptionnelles avaient été mises en place pour garantir à toutes les personnes détenues la possibilité de maintenir un lien avec leurs proches, au moyen d'une allocation exceptionnelle et de la réduction des coûts des communications hors forfait. La suppression des frais de mise en relation et la gratuité de la visiophonie avaient également été décidées. Ces initiatives, qui suffisent à démontrer la faisabilité d'une réduction des coûts, avaient été saluées par le CGLPL, qui en avait recommandé la pérennisation. Il ne peut que déplorer l'abandon de ces mesures et de la prise en charge minimale des coûts de communication pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes. La messagerie vocale, instaurée pendant la crise sanitaire, est devenue payante, obligeant désormais le détenu à s'acquitter de frais s'il souhaite écouter le message laissé par un de ses proches.
La possibilité pour les détenus d'être appelés par leur correspondant permettrait de ne pas faire peser sur eux la charge exclusive des communications et de favoriser ainsi le maintien des liens avec l'extérieur pour les personnes les plus démunies.
Des mesures doivent être prises pour rapprocher le coût des appels téléphoniques et de la visiophonie du prix moyen du marché accessible à la population libre. Les appels en provenance de l'extérieur, depuis les numéros autorisés, doivent être rendus possibles.
Les personnes détenues doivent bénéficier de forfaits permettant un accès illimité au téléphone, sans facturation supplémentaire des appels à la minute et de l'accès à la messagerie vocale et sans différence de coût entre appels vers des postes fixes ou mobiles. La double facturation imposée aux détenus d'outre-mer ou aux appels inter ou intra-établissements pénitentiaires doit cesser. Une aide spécifique à la téléphonie doit être attribuée aux personnes sans ressources et aux personnes dont les proches résident à l'étranger ou en outre-mer. Les mineurs doivent bénéficier de la gratuité des appels téléphoniques et visiophoniques.


(1) Avis du 10 janvier 2011 relatif à l'usage du téléphone dans les lieux de privation de liberté, publié au Journal officiel du 23 janvier 2011.
(2) Recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, publiées au Journal officiel du 4 juin 2020.
(3) Au vu des multiples saisines à ce sujet, le CGLPL a adressé un courrier à la direction de l'administration pénitentiaire le 28 octobre 2022 sollicitant ses observations sur les dysfonctionnements rapportés. La direction de l'administration pénitentiaire a répondu par un courrier du 27 septembre 2023. Il est tenu compte de ces éléments de réponse dans le présent avis.
(4) Quartiers d'évaluation ou de prise en charge de la radicalisation, unités pour détenus violents, etc.
(5) Article R. 235-10 du code pénitentiaire.
(6) CGLPL, Rapport thématique Prise en charge pénitentiaire des personnes « radicalisées » et respect des droits fondamentaux, 2020.
(7) CGLPL, Rapport de vérification sur place sur la discipline à la maison d'arrêt de Bayonne, 2019.
(8) CGLPL, Rapports de visite des centres pénitentiaires de Villefranche-sur-Saône (2020), de Toulouse-Seysses (2021), du quartier de semi-liberté de Saint-Martin-lès-Boulogne (2021), de la maison d'arrêt de Chambéry (2021).
(9) CGLPL, Rapports de visite des centres pénitentiaires de Condé-sur-Sarthe (2020), de Paris-la Santé (2020), du centre de détention de Mauzac (2022).
(10) CGLPL, Rapport de la deuxième visite de la maison d'arrêt de Bourges (2019).
(11) CGLPL, Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Paris-la Santé (2020).
(12) CGLPL, Avis du 12 décembre 2019 relatif à l'accès à internet dans les lieux de privation de liberté, publié au Journal officiel du 6 février 2020.
(13) Au centre pénitentiaire des Baumettes, 693 téléphones portables ont été saisis par l'administration pénitentiaire au cours de l'année 2018. Ce nombre est supérieur à celui des saisies de stupéfiants la même année.
(14) Article R. 235-10, al. 2 du code pénitentiaire : « [Les personnes placées en cellule disciplinaire] conservent la faculté d'effectuer des appels téléphoniques au cours de l'exécution de leur sanction. Toutefois, cette faculté est limitée à un appel téléphonique par période de sept jours ou à un appel si la sanction prononcée est inférieure à sept jours ».
(15) CGLPL, L'intimité au risque de la privation de liberté, Dalloz, 2022.
(16) Article L. 331-1 du code pénitentiaire.
(17) CGLPL, L'intimité au risque de la privation de liberté, Dalloz, 2022.
(18) CGLPL, Rapport de la troisième visite de la maison d'arrêt de Versailles (2020). Le CGLPL a fait ce même constat dans la majorité des antennes du centre national d'évaluation, où il a été relevé que les conversations téléphoniques sont systématiquement écoutées, par des agents non habilités, à des fins d'évaluation. Voir sur ce point l'avis du CGLPL du 12 septembre 2022 relatif au centre national d'évaluation (CNE), publié au Journal officiel du 7 décembre 2022.
(19) Circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire relative à la correspondance téléphonique et à la correspondance écrite des personnes détenues, 9 juin 2011.
(20) Article L. 133-2 du code pénitentiaire : « la possibilité de contrôler les communications téléphoniques, les correspondances et tout autre moyen de communication ne s'applique pas aux échanges entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les personnes détenues. La méconnaissance de cette disposition constitue le délit d'atteinte au secret des correspondances passible des peines prévues par les dispositions de l'article 432-9 du code pénal ».
(21) Au centre pénitentiaire du Havre (2023), il était par exemple constaté que « la remise aux arrivants de la carte téléphonique d'un euro est différée pour les personnes écrouées pour violences intra-familiales, y compris lorsqu'il n'y a pas d'interdiction de téléphoner figurant sur la notice individuelle, de crainte que ces détenus ne l'utilisent pour faire pression sur la victime. Cette remise est alors soumise à la validation par le service de la téléphonie, déjà surchargé, des numéros de téléphone que le détenu peut appeler […] ».
(22) A titre d'exemple, au centre pénitentiaire du Havre (2023), les contrôleurs notaient que « 150 demandes restaient en attente, dont certaines dataient de six mois. Cette situation a pu priver durablement des personnes détenues d'un lien téléphonique avec leurs proches voir même avec leur conseil ».
(23) CGLPL, Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses (2021).
(24) Une responsabilité qui leur incombe de manière plus marquée dans le cadre des visites mais s'étend néanmoins aux appels téléphoniques.
(25) Saisine d'une personne détenue.
(26) Les frais de mise en relation sont de 2 centimes lorsque les appels sont à destination de la France métropolitaine et 14 centimes lorsqu'ils sont destinés à l'étranger. Ces frais s'appliquent également pour la consultation de la messagerie vocale.
(27) CGLPL, Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses (2021).
(28) Courrier d'une personne détenue.
(29) Courrier d'une personne détenue.
(30) Le prix à la minute d'un appel vers l'Afrique et les communautés d'outre-mer coûte 80 centimes, contre 8 centimes pour un appel national.
(31) Courrier d'une avocate.
(32) Courrier d'une personne détenue.